« Mais il me semble qu’il n’a pas du tout d’habit » observa un petit enfant. Et bientôt, on chuchota dans la foule « l’empereur n’a pas d’habit du tout ». Dans le conte « les habits neufs de l’empereur » Hans Christian Andersen nous rappelle que l’enfant voit avec les yeux de l’innocence et la candeur de celui qui a un accès direct aux informations transmises par ses sens. Il ose voir que le roi (l’empereur) est nu alors que tout le peuple, la cour et le roi lui-même se confondent en compliments sur les habits qu’ils croient que le roi porte alors qu’il n’en porte pas.
Que se passe-t-il donc entre l’enfant et l’adulte pour que l’un voit ce qui est et que l’autre croit voir ce qui n’est pas ? L’enfant, dans sa pureté, sent avec ses sens et se crée une représentation mentale sur la base de ce que ses sens lui communiquent ; puis il agit en fonction de cette représentation, en toute simplicité. Quand il va à l’école, il apprend à se méfier de ses sens, car en plus de ce qu’il peut percevoir directement, on lui demande de percevoir des choses qu’il ne peut rencontrer physiquement. On lui demande d’apprendre Vercingétorix ou qu’il existe des adjectifs qualificatifs épithètes du nom. On lui enseigne la distributivité de la multiplication par rapport à l’addition ou que les électrons circulent. Il lui faut croire. Il ne rencontrera jamais ni Vercingétorix ni un adjectif pas plus qu’une distributivité ou un électron. Il lui faut concevoir que ce que ses sens lui véhiculent est insuffisant. Il lui faut arriver à se créer une réalité au-delà de l’immédiatement sensible. Il commence alors à s’équiper de filtres divers pour relativiser ce qu’il perçoit naturellement.
Au fil du temps, il s’approprie, par les enseignements divers qu’il reçoit, un peu de l’expérience des autres pour compléter sa propre expérience. C’est ainsi qu’il finit par s’orienter plus par ce qu’il croit que par ce qu’il perçoit directement : la somme de ses savoirs dépasse largement la somme de ses expériences. Il finit adulte, par vivre en fonction de ce qu’il croit plutôt que sur la base de ce qu’il connaît. L’enfant voit, l’adulte croit. L’un a des yeux et voit, l’autre non.
Là est le piège : il est vite fait de tordre les faits pour les faire entrer dans ses croyances ; c’est la source de bien des difficultés. Plutôt que de faire selon ce qu’un enfant aurait vu, l’adulte cherche à faire entrer la nature qu’il perçoit dans ses « théories ». Voici deux exemples de pièges dans lesquels l’adulte tombe et s’enferre malgré lui.
Quand l’adulte pose que son enfant doit apprendre à respecter des limites, il peut choisir de l’éduquer à coup de « ne pas faire – ne pas être – ne pas penser ». Cependant, la simple observation des flux de pensées indique que l’organisme ne connaît pas la négation : essayez de ne pas penser à une jolie fille ou à un bel adonis dans leur plus simple appareil ; l’image de la jolie fille ou du bel adonis dans leur plus simple appareil a nécessairement été formée par votre cerveau en lisant cette instruction quand bien même il était demandé de ne pas le faire.
Ne pas vouloir penser à quelque chose conduit à en construire l’image mentale et donc à y penser. En conséquence de quoi le cerveau de son enfant crée l’image de ce qui est interdit, ce qui a pour effet de l’inciter à agir selon cette nouvelle image mentale. Chacun le sait, l’interdit attire. En conduisant à penser encore plus à ce à quoi il ne faut pas penser, penser à ne pas penser contribue à cette attirance. L’enfant confronté à tous ces « ne pas... » a donc tendance à faire tout ce que l’adulte ne veut pas qu’il fasse. L’adulte ne veut pas. L’enfant le fait. La guerre est ouverte. L’adulte sait d’expérience, car il a été enfant avant de devenir adulte, que « ne pas vouloir faire » conduit à faire. Il continue de l’expérimenter adulte quand par exemple il « ne veut pas faire comme ses parents » et constate qu’il se met à faire ce qu’il leur reprochait et ne voulait pas reproduire.
Curieusement, alors qu’il a une information concrète que vouloir ne pas faire conduit à faire et donc « ne marche pas », il s’obstine à mettre en œuvre ce qui « ne marche pas ». Il suit ce qu’il croit « devoir » faire et que sa culture véhicule alors qu’il en expérimente l’invalidité.
Pourtant, plutôt que d’essayer d’empêcher de faire, il pourrait adopter une attitude alternative qui réponde à son attente : par exemple, au moment des repas, au lieu d’insister sans effet pour que son enfant reste assis à table alors qu’il est à moitié debout et à moitié assis sur sa chaise, situation que bien des parents ont vécue, il peut tout simplement lui signifier qu’il a compris qu’il est important pour lui de manger debout et lui enlever la chaise ; il découvrira rapidement que son enfant demandera à manger assis sur une chaise, comme tout le monde ; l’adulte aura atteint son objectif... sans conflit. C’est certainement ce qu’aurait fait son arrière grand-père paysan : il se serait servi des enseignements que l’observation quotidienne de la nature lui prodigue et aurait composé avec l’opposition plutôt que cherché à s’y opposer.
Bien des souffrances découlent de cette incapacité apprise à voir ce qui est tel que c’est. Bien des maux en sont issus. Voici un exemple banal d’un autre genre. Dans ce cas, croire qu’il ne faut pas avoir peur dégénère et conduit à un comportement phobique.
Un arrêt de bus un matin. Elle attend patiemment perdue dans ses pensées. Soudain, quelque chose lui passe au ras des yeux. Elle rejette sa tête en arrière en criant, bouscule la personne qui était derrière elle, manque de lui tomber dessus et reprend son équilibre pour constater qu’il s’agissait... d’un avion en papier. Elle cherche du regard le garnement qui a osé faire cela. Il a disparu sans se laisser prier. Elle a eu bien peur. Elle en tremble encore. Elle se raisonne : ce n’était qu’un avion en papier. Elle se calme. Elle se dit qu’elle fera bien rire ses collègues en racontant cela au bureau.
Pendant son trajet, tout en regardant par la fenêtre du bus, elle se sent prise d’un sentiment bizarre. Un sorte de tristesse se diffuse lentement en elle. Petit à petit elle se sent honteuse de ce qui lui est arrivé. Elle décide alors de n’en souffler mot à quiconque. Elle a trop peur qu’en voulant faire rire elle ne devienne l’objet de moquerie. Elle chasse le souvenir de cet événement ridicule. Elle veut l’oublier. Elle l’oublie. Elle se contrôle.
Un matin, elle arrive alors que l’abri de bus est déjà bien plein et elle se positionne machinalement le long du trottoir, les autres voyageurs se protégeant de la bruine sous l’auvent. Elle se sent mal. Elle cherche à s’éloigner du bord de la voie. Elle n’en peut plus, elle se décale de façon à être loin du bord, et reste là à se mouiller en attendant le bus. Elle prend conscience de cela. Ce qui la frappe par dessus tout est qu’elle se soit sentie obligée de se déplacer alors que cela ne lui était jamais arrivé jusqu’alors. Elle se raisonne : « je dois être fatiguée ». Quelques semaines plus tard, sa fille lui demande alors qu’elles vont ensemble au marché :« pourquoi tu marches le long du mur ? » Elle n’avait pas remarqué. Elle veut s’en éloigner, et c’est comme si elle devait faire un effort pour s’arracher à l’attraction des immeubles. Elle se contrôle : « il n’y a pas de raison à frôler les murs ainsi ». Elle veille à suivre sa fille comme si de rien n’était. Il n’y a pas d’explication à son envie d’être loin du bord du trottoir. Les mois passent. Elle se sent fatiguée. Elle laisse de plus en plus souvent son mari aller faire les courses. Elle ne comprend pas ce qui lui arrive et essaie de faire bonne figure de temps en temps. Elle finit par se contrôler suffisamment pour ne rien montrer et reprendre une vie normale en apparence.
Sa famille lui pointe qu’elle est de plus en plus exigeante et irascible. Elle réalise par ailleurs qu’elle revient plusieurs fois sur son travail et cherche à le vérifier plus que de coutume. « Ce n’est rien, un petit passage difficile à traverser, se dit-elle, une mini dépression à laisser passer ».
Le temps passe. Elle sursaute quand elle découvre qu’elle a commis une erreur. Elle culpabilise anormalement quand son patron ou ses collègues lui pointent une bévue de sa part. Elle entend sa famille lui reprocher son irritabilité et ses exigences injustifiées. Elle se sent mal. Elle craint de perdre le contrôle. Elle cherche à éviter l’erreur. Elle n’y arrive pas. Elle redouble d’efforts. Elle nourrit à présent la peur de perdre le contrôle d’elle-même. Sourd alors en elle une peur encore plus effrayante : elle a peur de devenir folle.
C’est alors qu’elle vient consulter sous la pression de son entourage. Au fil des séances elle découvre incidemment ce qui précède et sursaute à la fois d’étonnement et d’émerveillement devant la nature et ses pièges. À vouloir raisonner le primate qui vit en elle, elle s’est tendue un sacré piège et y est tombée à pieds joints. C’est promis, elle composera avec ce dont la nature l’a équipée et ne cherchera plus à s’y opposer, ni à l’ignorer, aussi raisonnable cela puisse-t-il paraître !
Cette faculté à entrer en conflit avec ce que la nature nous a légué au fil de l’évolution est à la base de bien des pathologies. Elle repose en partie sur la capacité apprise à suivre ce qu’on croit, ici devoir ne pas avoir peur, plutôt que ce qui est, ici la peur a besoin d’être reconnue pour suivre son cycle naturel dans l’organisme. C’est en apprenant à suspendre son jugement pour agir (ou ne pas agir) en fonction de ce qui est et non de ce qu’on croit, qu’il est possible de sortir de ce conflit entre nature et raison. N’est-ce pas là une voie de lâcher prise ?
Paul-Henri Pion est psychopraticien à Courbevoie. « C’est en lâchant prise que vient la maîtrise ». Paul-Henri s’intéresse aux conditions de la performance et du bien-être humains. Sa pratique s’inscrit dans la lignée des travaux du Mental Research Institut dont il a suivi les enseignements. Économiste de formation, certifié en PNL et hypnose éricksonnienne, diplômé en psychologie, il met son expérience au service de votre bien-être.
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