Un navire est bloqué au port : son moteur principal fait un bruit inquiétant et il est décidé de reporter son départ. Les meilleurs spécialistes sont convoqués à son chevet. Rien n’y fait, le bruit perdure et la cargaison commence à prendre du retard. En désespoir de cause un petit mécanicien est extrait de son garage pour venir en aide. Ce dernier parcourt la salle des machines de long en large en écoutant le moteur. Puis d’un pas décidé, il se dirige vers un point précis du moteur et donne un coup de marteau. Le bruit cesse instantanément ; tous les essais ultérieurs confirment que le navire peut partir.
Savoir où et comment intervenir, là est la question ...
L’homme est homme et le client est homme. Or l’homme est un être vivant qui doit en permanence composer avec son environnement. Quand il rencontre une bactérie, quand il se déplace dans son appartement ou sa maison, ou quand il s’habille pour aller au travail, l’homme s’adapte à la situation. L’enchaînement de ces situations constitue son contexte de vie.
De plus l’homme est un être pensant et penser influe sur ses agissements : quand je pense qu’il va pleuvoir, je prends un parapluie pour sortir ; quand je pense que mon patron va être de mauvaise humeur, j’arrive sur mes gardes ou au contraire très enjoué ; quand je pense que le robinet est sale, je me relave les mains ; ainsi de suite. Ces pensées sont en grande partie involontaires. Elles constituent aussi le contexte avec lequel l’homme doit composer.
C’est donc au sein de ce contexte fait de pensées et d’actions, de cet environnement élargi, que le client évolue et vit ce qui l’amène à solliciter l’intervention d’un spécialiste.
Le thérapeute n’en connaît rien quand le client pousse la porte de son cabinet.
Dans quel contexte, dans quel environnement, plus généralement dans quelles conditions cet homme ou cette femme qui vient consulter vit-il ou vit-elle une situation suffisamment douloureuse pour vouloir s’en défaire ?
Le thérapeute sait que cette personne évolue dans un espace physique. Il sait aussi qu’elle est accompagnée en permanence de ses pensées. Parfois, peut-être même souvent, elle est aussi en présence d’au moins un autre être vivant. Elle est donc toujours en relation avec un environnement donné. Elle est en interaction permanente.
Client 1 : La cliente déclare aimer que sa cuisine soit propre. Rien d’extraordinaire à cela et pourtant, elle vient consulter et apporte cela comme raison de sa venue. En quoi aimer que sa cuisine soit propre devient-il dysfonctionnel ? ... L’entretien montre qu’elle souhaite être à même de voir son reflet dans la surface de l’évier ...
Curieusement, quelque chose de dérangeant, voire de douloureux, émerge dans l’espace relationnel. Cela aurait pu être gratifiant ou passer inaperçu. Non, la situation est telle qu’il est important d’aller consulter. Certains des échanges entre le client et son contexte de vie font souffrir ; les messages réciproques échangés entre eux ne sont plus compris au niveau où ils pourraient l’être. Des « symptômes » sont apparus. Ils sont autant de signaux d’alerte.
Client 1 (suite) : ... et qu’elle passe tant de temps dans sa cuisine que les disputes avec son mari vont croissantes, ce dernier ne la comprenant pas et essayant de la détourner des tâches ménagères auxquelles elle apporte tant de soin ...
Ce qui apparaît n’est ni anodin ni isolé d’un contexte donné pour le thérapeute : il s’agit d’un phénomène aux modalités d’apparition précises. Le thérapeute en cherche les conditions d’émergence. Son questionnement et son écoute sont tournés vers la découverte du quotidien dans lequel il survient. Quelles situations favorisent l’émergence du problème ? Quels ingrédients font qu’il se maintient ?
Client 1 (suite) : ... le mari lui parle quotidiennement de son attitude irraisonnée, du moins est-ce ainsi qu’il la qualifie.
Quand tout se passe bien, le thérapeute dispose assez rapidement de scènes de vie dans lesquelles s’expriment les "symptômes". Autrement dit, il a à sa disposition un tableau dynamique, une succession de séquences de vie, en terme de pensées et de comportements, liés à l’expression du problème pour lequel le client consulte.
Client 2 : A chaque fois que je m’assieds à table je me dis « lave-toi les mains, cela t’évitera des malheurs » ; et je me relève pour me laver les mains et cela quatre à cinq fois avant de pouvoir commencer à toucher à la nourriture.
Alors, le thérapeute est à même de décoder, pour une situation donnée, comment son client s’insère dans ses échanges avec l’environnement. La logique qui conduit au réveil d’une souffrance ou d’un dysfonctionnement s’éclaire. Il peut comprendre comment, à un instant donné, son client adresse un message inadapté à son environnement. Mais son client semble ignorer qu’il n’aura pas satisfaction : tout se passe comme s’il n’entendait pas le retour que lui adresse le contexte de vie. Les moyens pour agir différemment lui échappent.
Client 3 : Son entourage l’amène pour des épisodes délirants dont il n’a pas souvenir. L’investigation montre que quand il sent ou imagine qu’il va y avoir une opposition ou un désaccord de la part de son entourage, il se dit « c’est un pervers » ou « ils sont pervers » et il part alors dans un monde qu’il est le seul à comprendre.
En quoi le thérapeute peut-il l’aider ?
L’introduction d’une légère différence dans les comportements ou les pensées concomitantes à l’apparition des « symptômes » change la séquence d’interactions. La succession des échanges entre le client et son contexte est alors dénaturée. Quand la différence est pertinente, les changements introduits appellent une réponse nouvelle de la part du client et des autres protagonistes quand il y a en a ... et les désordres s’atténuent voire disparaissent. Une réponse adaptative non « maladive » remplace alors la souffrance et les dysfonctionnements [1].
Où et comment donner le coup de marteau étaient les questions du petit mécanicien. Sur quelle séquence intervenir et quoi y introduire, sont les questions du thérapeute.
L’une des phases les plus délicates de l’intervention s’ouvre alors : trouver les éléments qui dépendent du client ou de son environnement et qui serviront de levier pour qu’il sorte de l’ornière dans laquelle il est tombé.
La logique déployée est la suivante : plutôt que de chercher à intervenir sur les "symptômes", le thérapeute cherche à obtenir une intervention sur leurs conditions d’apparition. Il cible cette intervention pour qu’une réponse adaptative nouvelle et fonctionnelle prenne place. Le fait qu’une telle réponse s’installe valide la pertinence de son intervention.
Client 4 : Je ne peux m’empêcher d’y penser ...
La modification doit être la plus économique possible à mettre en place. Plus l’effort fourni par le client ou son entourage est faible, plus la modification a des chances d’être mise en oeuvre
Client 4 (suite) : Dans le cas énoncé précédemment, le thérapeute peut demander à son client de rendre volontaire ce qui lui était involontaire. L’irrépressible incontrôlé tombe alors sous contrôle.
Le cas immédiatement ci-dessus met en évidence un autre élément d’importance : il n’est aucunement demandé au client de stopper ce qu’il fait. Il n’a pas réussi à arrêter jusqu’à présent, pourquoi changerait-il ? Il lui est demandé de modifier la forme [2] de ce qu’il fait.
Respecter le point de vue du client permet qu’il fasse quelque chose de nouveau à l’intérieur de ce qu’il fait déjà. C’est en cohérence avec sa représentation initiale du problème qu’il quitte le cabinet du psychothérapeute.
Il part fréquemment avec une demande explicite de faire quelque chose à un moment donné. Il ressort aussi souvent avec une façon de voir différemment la situation.
Dans les deux cas, une légère modification a été introduite au sein des séquences « pathogènes ». Cette « simple » modification conduit à une séquence d’interactions avec son contexte de vie différente. L’automatisme irrépressible est alors invalidé. Le processus émotionnel associé dans lequel le client se débat est déjoué. Une situation nouvelle prend place.
La thérapie se déroule avec satisfaction quand le client décrit, lors de la séance suivante, une ou des situations modifiées. Antérieurement accompagnées de l’apparition des "symptômes", elles se sont déroulées, « comme par magie », sans apparition des "symptômes" ou avec une diminution de leur intensité telle que le thérapeute peut la relever.
Client 5 : « j’ai lu dans le train », exprime le client qui auparavant restait replié sur lui-même persuadé d’être regardé par quelqu’un qui chercherait à lui nuire.
Le thérapeute veillera alors à créer les conditions pour que le client s’approprie cette nouvelle attitude. Il est aidé par la propension naturelle qu’a le vivant d’adopter toute nouvelle pratique plus adaptée que la précédente, même si cette dernière était utilisée depuis de nombreuses années.
Alors, l’angoisse qui accompagne nécessairement l’idée de voir apparaître les "symptômes" et motive la demande auprès du thérapeute s’allège. « J’ai pu vivre normalement !... » s’étonne le client.
Les conditions contribuant à l’émergence des « symptômes » ne sont plus réunies : certains éléments propres au client et nécessaires à leur manifestation ont disparus. Le mal a été stoppé.
L’atténuation des « symptômes », voire leur disparition, donne une nouvelle liberté au client. Toute l’énergie qu’il consacrait antérieurement à leur gestion est à présent disponible pour d’autres sujets. Pourtant il arrive qu’il ne sache pas à quoi consacrer l’énergie libérée et reste un peu désemparé.
L’étonnement du client face à sa capacité à traverser le contexte d’émergence des "symptômes", sans que les "symptômes" ne se manifestent, est parfois si grand qu’il en perd ses moyens. Un peu comme le randonneur qui, habitué à porter un lourd sac à dos, se sent grandir quand il le pose. Le client n’a plus à porter le fardeau de situations dont la gestion devenait envahissante voire invalidante. Il se sent plein de force et ne sait qu’en faire. Il va lui falloir inventer de nouvelles façons de vivre. Il en est de même pour son entourage qui le découvre sous un jour nouveau et doit adopter de nouvelles manières de faire à son contact.
Client 6 : « je mange et ne suis pas si gros que cela » c’est très étonnant quand je passe devant un miroir.
Le randonneur, une fois son sac à terre, doit réapprendre à doser sa force dans ses mouvements ou ses déplacements. De même, le client doit apprendre à calibrer ses gestes et ses échanges dans sa nouvelle vie, libre du dysfonctionnement pour lequel il consultait. Le thérapeute est là pour l’accompagner.
Commence une autre phase délicate de la thérapie. Le client se sentant plus léger est tenté de mettre fin à la thérapie. Le thérapeute, pour sa part, doit permettre que son client, même s’il va mieux, poursuive la démarche engagée. Le thérapeute sait en effet que toute fin prématurée de la thérapie comporte un risque de rechute significatif. Les tâtonnements pour vivre sans les "symptômes" peuvent engendrer des déceptions. La tentation de renoncer peut apparaître. Le risque de se réfugier de nouveau dans un comportement ou une attitude dysfonctionnelle connue et sans surprise approche. Parfois, c’est l’environnement du client qui ne supporte pas que ce dernier ait changé et tente de le faire revenir en arrière.
Le thérapeute considère le client comme une personne normale qui, en cherchant la meilleure adaptation possible à un instant donné dans un contexte à découvrir, est tombé dans l’ornière d’une réponse dysfonctionnelle dont il ne sait plus sortir.
Dans quel contexte de vie cette réponse apparaît-elle ? Qu’est-ce qui fait que cela perdure ? Voici les questions guides du thérapeute.
Une fois les réponses à ces questions découvertes, le thérapeute cherche à construire un cadre dans lequel son client pourra vivre l’expérience d’une vie sans le problème pour lequel il vient consulter. Le thérapeute l’accompagnera ensuite dans l’apprentissage de la vie sans ce problème.
L’apprentissage suit alors l’expérience. Cet aspect distingue singulièrement la thérapie brève des autres thérapies.
Expression commune |
Ce qu’elle signifie en thérapie brève |
Maladie | Période d’un processus adaptatif du vivant pendant laquelle les moyens mis en oeuvre par le vivant ne sont pas encore pleinement efficaces et qui s’accompagne d’une souffrance ou d’un dysfonctionnement. |
"Symptômes" | Manifestation du processus adaptatif en cours qui s’accompagne de souffrance ou de dysfonctionnement soit pour le client soit pour son entourage. |
Il/elle est schizophrène, paranoïaque, dépressif, a des TOC , des TCA ... | Les messages échangés par le client et son environnement sont suffisamment typiques pour que, dans une vision monadique de la situation, le client puisse être qualifié selon des étiquettes cliniques déterminées. En thérapie brève c’est le processus d’échange entre le client et son environnement qui est étudié et est susceptible de donner lieu à une classification. Ce n’est pas le client isolé. |
Après 16 années passées dans des postes à responsabilité en entreprise, Paul-Henri Pion s’est investi dans les métiers de la relation et de l’accompagnement de la personne. Il exerce aujourd’hui comme psychothérapeute. Sa pratique s’inscrit dans la lignée des travaux du Mental Research Institute de Palo Alto (Californie) et de son Centre de thérapie brève.
[1] Cette approche ouvre le champ de la thérapie indirecte dans laquelle l’intervention est conduite avec l’entourage du « malade » et en l’absence de celui-ci
[2] La construction de cette forme nouvelle fait l’objet d’un article séparé
[3] Thérapie brève ou Thérapie Systémique et Stratégique Brève (TSSB) au sens du modèle d’intervention de Palo Alto
Paul-Henri Pion est psychopraticien à Courbevoie. « C’est en lâchant prise que vient la maîtrise ». Paul-Henri s’intéresse aux conditions de la performance et du bien-être humains. Sa pratique s’inscrit dans la lignée des travaux du Mental Research Institut dont il a suivi les enseignements. Économiste de formation, certifié en PNL et hypnose éricksonnienne, diplômé en psychologie, il met son expérience au service de votre bien-être.
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