Le stress et le harcèlement moral au travail sont deux fléaux que l’organisation moderne du travail favorise. L’article suivant appartient à une série d’articles sur le sujet et tend à décrire de la façon la plus fidèle qui soit ce que le thérapeute peut rencontrer en la matière. C’est aussi l’occasion de présenter ce qui peut être mis en oeuvre avec pragmatisme pour y répondre.
Elle se présente à mon cabinet envoyée par son mari et ses collègues. Ils ne cessent de lui répéter depuis plusieurs semaines :« Il faut que tu fasses quelque chose, il faut que tu t’arrêtes, il faut que tu vois le médecin du travail ». Elle, elle n’en a pas besoin, de son point de vue.
Un soir, elle se rend compte qu’elle a honte de rentrer à la maison. Sa journée n’a été qu’une suite d’humiliations et elle hésite sur le chemin du retour. « Je rentre ou j’en finis ? ». Finalement elle est rentrée chez elle, lentement, très lentement dans la nuit déjà bien avancée. Elle avait été retenue au bureau jusqu’à vingt deux heures passées, car on aurait pu avoir besoin d’elle. De fait, il lui a été demandé quelques photocopies, tardivement, pour toute action productive. Cela a fini par faire déborder le vase. Elle est rentrée. Le lendemain, elle a pris rendez-vous pour venir me voir.
Elle a mauvaise tête. Son visage est sombre et ses traits se marquent de souffrance quand elle essaie de me raconter son histoire.
Elle voulait ce poste. Après 23 ans de parcours honorable dans l’entreprise qui l’emploie, elle voyait ce poste comme la suite logique d’une trajectoire intelligemment gérée et la marche vers une nouvelle phase de sa vie professionnelle. Au moment de quitter son poste précédent, le DRH dont elle dépendait avait dit « on va nous la casser ». Le site qu’elle rejoignait était réputé pour sa sale ambiance. Toutefois, elle y connaissait quelques collègues avec qui elle avait noué de bonnes relations dans le passé et qui ne cherchaient pas pour autant à fuir. Cependant, ils étaient clairs. Quand elle leur parlait du poste qu’elle allait rejoindre avec enthousiasme, elle s’entendait dire que de toutes façons, si quelqu’un devait y réussir, c’était bien elle, équilibrée et indestructible comme ils la connaissaient.
Rétrospectivement, elle reconnaît que des avertissements lui avaient été lancés, mais elle était tellement motivée par la perspective de ce poste qu’elle ne les avait pas entendus.
Les premières semaines furent celles de la surprise. L’une de ses collègues, faisait l’objet de reproches ouverts et violents de la part de la chef de service. Un jour, alors que cette collègue était en vacances il avait été décidé de « pique-niquer » au bureau, chacune – l’équipe était exclusivement féminine - apportant une contribution personnelle pour le déjeuner. La date choisie était celle du retour de vacances de sa collègue. Le jour venu, cette dernière était rentrée les yeux rouges. Les autres en avaient conclu à une maladie contagieuse et l’avaient conviée au « pique-nique » mais tenu à l’écart, sur un bureau à part et l’avaient maintenue hors des conversations. Choquée, ma cliente était restée sans voix, et s’était inquiétée de ce qui lui était alors apparue comme une discrimination humiliante à l’égard de sa collègue.
Elle a discuté de cette anecdote, et s’en est ouvert en particulier à l’un de ses anciens collègues devenu représentant syndical. La consternation a été unanime. On raconte que sa chef bénéficierait de protections à un niveau élevé. Les contraintes semblent supérieures aux issues et le courage manque pour agir. Cependant, ma cliente a trouvé en la personne du représentant syndical une oreille bienveillante et déterminée à lui apporter son soutien.
Il lui faut un jour prendre un rendez-vous médical pour l’un des ses enfants. Elle vérifie auprès de sa chef de service les dates et horaires compatibles avec la bonne marche du service. Trois jours plus tard, alors qu’elle signale partir à 16h30 pour accompagner son enfant, elle se fait dire sur un ton qui ne supporte pas de réplique, qu’on ne prend pas de rendez-vous pendant les heures de service, que seul un cas de force majeure peut le justifier, etc, au point de perdre la volonté de partir et de devoir se faire violence pour aller malgré tout s’occuper de son enfant. Pourtant, elle avait été très claire sur sa demande. Elle ne comprends pas.
La suite ne tarde pas. L’équipe doit intervenir en soutien d’une manifestation à l’étranger. La nature de son poste la destine à être présente directement au coeur de la manifestation. Non, il n’en est rien, elle est affectée à la surveillance des bagages. C’est sa collègue dont elle a entendu tant de mal qui est à la place qu’elle aurait dû tenir. Aucune explication, aucune possibilité pour remédier à la situation. C’est un ordre irrévocable !
« Mais qu’ai-je donc fait de mal pour être traitée ainsi ? ». Les piques se succèdent. Ma cliente s’inquiète. Pourtant son travail n’appelle pas de reproche. Le doute s’insinue. « Qu’ai-je fait pour être traitée ainsi ? ». Sans réponse, elle cherche à être encore plus irréprochable. Les humiliations s’accumulent. Elle perd confiance en elle, et tombe dans la culpabilisation. Le temps passe, son estime d’elle-même est atteinte.
Ses collègues des autres services l’appellent, l’invitent de temps à autre à prendre un café. Ils savent être très directifs et fermes et la forcer à garder le contact et elle en a bien besoin. Tout est organisé pour qu’elle n’entretienne aucune relation en dehors de l’équipe. Ils l’ont compris. Ils ont compris qu’elle est la énième victime d’un chef pathogène a priori indéboulonnable.
Que faire face à cela ?
Heureusement, ma cliente arrive en consultation après à peine six mois de souffrance dont trois particulièrement difficiles. Elle est à bout mais pas encore médicalisée.
Je l’invite à suivre les conseils de ses collègues et du représentant syndical : se faire mettre en arrêt de travail par son médecin de famille et coordonner cet arrêt avec le médecin du travail.
Le recours à un avocat a été vite écarté : ma cliente avait confiance dans les instances de régulation internes de l’entreprise et mettait un point d’honneur à ce que la question soit traitée par et dans l’entreprise.
Elle revient de chez le médecin avec un arrêt de travail de trois jours. Plus est inconcevable, il y a tant à faire. Cependant, le médecin lui a demandé de revenir le voir avant de reprendre le travail. Ce qu’elle fera. L’arrêt de travail se prolongera de renouvellement en renouvellement pour durer cinq semaines.
Dès les premiers jours d’éloignement de son travail, elle a tout de suite remonté la pente : ses traits, son teint et sa posture se sont nettement améliorés. Toutefois, il suffisait de la mettre en situation de penser à son contexte de travail pour avoir en face de soi une femme en souffrance, prête à éclater en sanglot. Sous la façade, les ravages étaient faits. Il suffisait de gratter légèrement pour faire apparaître la misère. Pas question qu’elle retourne au travail dans ces conditions.
Par ailleurs, il était impensable pour elle d’absorber un quelconque médicament. Heureusement, elle se sentait tellement coupable de ne pas aller au travail qu’il a été facile de la mobiliser pour un épisode psychothérapeutique aigu.
De quoi dispose-t-on ?
Cette femme a un passé professionnel plutôt honorable : ce sera un levier pour l’estime de soi. Il faudra y accéder le plus rapidement possible. Elle est organisée et plutôt bien structurée : ce sera un moyen pour obtenir qu’elle se prenne en charge au même titre qu’elle prend en charge les dossiers qui lui incombent. Elle a un vaste tissu relationnel dans l’entreprise : il sera à mobiliser. Sa famille en a mare et son mari est prêt à « faire quelque chose » : ils deviendront mes co-thérapeutes. Elle a honte et se cache en cherchant à faire la forte alors qu’elle est au bout du rouleau : il y aura lieu de la mettre en face de sa faiblesse et qu’elle s’épanche à son sujet. Pour ce qui est du repos, l’arrêt de travail est là pour ça. Elle a peur des conséquences : il lui faudra prendre ses responsabilités. Elle est très en colère contre tout : il faudra la canaliser.
Comment l’organiser ?
Manifestement, cette femme a un fort sentiment de culpabilité vis à vis de la situation. Le harcèlement moral a fonctionné à plein. La victime ne se reconnaît pas comme victime. A chaque fois qu’elle accède au fait qu’elle pourrait avoir été victime des agissements de sa chef, à chaque fois elle trouve de quoi se décrire coupable et déculpabiliser sa chef. Elle lui « pardonne » même de se comporter de la sorte parce qu’elle, sa chef, serait manifestement malade pour agir ainsi. Elle ne se rend plus compte qu’elle, ma cliente, est tombée malade à cause de celle que, de fait, elle protège.
Toute tentative d’aller à l’encontre de sa culpabilité se heurte à la mise en place de protections en faveur de sa chef et empêche le progrès.
Il me faut donc utiliser sa culpabilité. Tâche délicate qui fut faite : je l’ai rendue coupable vis à vis de sa famille, de son mari et du futur, plus coupable que vis à vis de sa chef et de la situation. Elle a fini par avoir plus peur des conséquences de son inaction que de son action elle-même. Moyennant quoi, elle a pu se mobiliser pour traiter son problème présent au travail.
Son énergie est focalisée sur la destruction : le harcèlement vise à détruire, elle l’a bien intégrée en entrant dans l’auto-destruction. Devenue consciente de ce qui se passe et forte de l’impuissance à en changer le cours elle s’est mise en colère. Une fois mise en mouvement, elle se dresse pour raser tout. Sa colère embrasse tout : elle, sa chef, l’entreprise qui ne fait rien, sa famille qui ne l’a pas préparée à ça et la terre entière qui lui en veut. La colère et la violence sont là.
La colère ne peut se contrer : elle est destructrice et tant qu’elle n’a pu s’exprimer, elle ravage. Inutile de la cacher ou de la retenir, elle est entendue des autres qui finissent toujours par s’en protéger. Il y a donc lieu de lui permettre de l’exprimer. C’est là tout le sens des lettres de colère. Je lui demande donc d’écrire chaque jour une lettre de colère destinée à la figure à qui elle en veut le plus. Cette lettre est d’autant plus libre qu’elle la détruira ensuite. Elle en rédigea contre sa chef et contre elle-même.
Une fois l’espace libéré de sa colère, je lui ai demandé d’invoquer dans un rituel quotidien ses peurs et de s’efforcer d’en empirer les conséquences jusqu’à être en situation de se sentir très mal. Il s’agit là de saturer la peur volontairement. Comme un feu de bois trop chargé qui s’étouffe et s’éteint, empirer ses peurs volontairement conduit à les dévitaliser. Jamais elle ne réussit à se sentir mal, et rapidement le rituel est devenu un exercice mental manquant de matière. Colère et peur se sont apaisées et les évènements se sont relativisés. Parallèlement, je lui ai demandé de décrire les misères qui ont émaillé sa vie, sous forme d’une sorte de journal. Elle écrivit peu, mais se remémora beaucoup et décida qu’une fois sortie du trou dans lequel elle se débattait elle irait visiter son passé à l’aune de ce qu’elle venait de vivre.
Alors ce fut l’action. Dire plutôt que cacher. Prendre conseil par téléphone auprès de son ancien N+1 après l’avoir informé de la situation. Reprendre contact avec le responsable syndical et avec les collègues qui l’avaient soutenue. Sur ce dernier point, si elle s’est sentie soutenue, cela a contribué à raviver la plaie et a été douloureux. Alors, avec l’aide de son mari je l’ai focalisée sur un bilan professionnel au format accéléré : deux semaines pour le réaliser à rythme soutenu.
Oui elle avait eu une contribution positive tout au long de sa carrière. Oui, elle pouvait regarder son parcours professionnel avec une certaine fierté. Oui, cela s’était réalisé en respectant l’importance qu’elle accordait à sa vie familiale. Oui, elle avait gravi les échelons tranquillement avec une richesse d’expériences assez atypique pour l’entreprise et qu’il lui faudra valoriser dans les années futures. Oui, elle avait voulu ce poste et y était reconnue de l’extérieur comme une vraie professionnelle au relationnel agréable, malgré tous les efforts déployés par sa chef pour l’isoler.
Alors, il a été possible d’envisager l’impossible : prendre rendez-vous avec la N+2. Sa décision était prise, elle quitterait ce poste rapidement et la tête haute. Elle prit donc rendez-vous avec sa N+2. Si elle s’est sentie bien accueillie, elle s’est rendue compte qu’elle risquait de quitter le poste actuel avec un goût amer. Sa N+2 l’a assurée de son soutien pour trouver un nouveau poste. Le motif du départ serait une incapacité à se rendre disponible au niveau demandé par le poste actuel. Elle s’est sentie mal comprise et comme prisonnière d’un jeu qui la dépassait et visait à se protéger d’avoir à traiter un dossier désagréable.
Je l’ai alors conduite à regarder de nouveau les faits : les relevés horaires, vieille habitude qu’elle avait prise quand elle était consultante pour le compte d’une filiale du groupe quelques années auparavant, étaient sans appel quand à sa capacité à se rendre disponible. Les demandes formulées par sa chef étaient elles aussi très limpides quand à l’incapacité de cette dernière à gérer un ordonnancement des tâches efficient et à maintenir ses ressources principales, c’est à dire son équipe, en état de produire. Elle compris alors qu’elle n’avait pas été entendue par sa N+2, qu’après elle il y en aurait un ou une autre donné(e) en pâture à cette femme qui avait failli la détruire. Son action est alors devenue citoyenne.
« On m’a ramolli le cerveau, on m’a enlevé mon libre arbitre. Tout ce qui s’est passé visait à me rendre captive de cette femme. L’entreprise semble la cautionner ! ». De l’entreprise, son discours en est sorti : « le harcèlement moral vise à faire perdre son libre arbitre, c’est une atteinte à la démocratie ! ». Alors il lui a fallu construire sur deux fronts : trouver un nouvel emploi et remettre entre les mains des syndicats la situation. En effet, pour ma cliente, il revenait aux partenaires sociaux de trouver des solutions.
La fin de l’arrêt de travail approchait, le CV était prêt, les contacts pour un nouveau poste étaient repérés. Il lui fallait rejoindre son travail après cinq semaines d’absence et un entretien avec sa N+2.
Le retour fut froid. L’ambivalence commença à prendre forme : « nous ne te retiendrons pas mais tu dois continuer à contribuer à ce que je te demanderai de faire selon le rythme qui me semblera bon ». « Tu pars parce que tu n’as pas su t’intégrer ». « J’ai envie d’avoir le temps de chercher et j’ai l’impression qu’on m’isole en me tenant à l’écart de ce qui se passe ». « Je pars parce que ton mode de management m’a rendu malade », « j’aimerais participer à cette équipe »....
La plaie n’était pas refermée, loin de là, et la chef était toujours elle-même. Le cercle destructeur ne demandait qu’à repartir. Ce fut un moment critique pendant lequel il a fallu mettre ma patiente en face de la moindre situation, du moindre geste capable de raviver le problème. L’appui de son mari fut une aide précieuse. Il était en effet celui qui avait droit au compte rendu quotidien de la journée et au flot de lamentations qui l’accompagnait. Fort de son retour d’expérience, j’ai pu lui demander de limiter les épanchements du retour à la maison, ceux-ci semblant contribuer à envenimer le mal être plutôt que le soulager. Je lui demandai aussi de pointer à son épouse ce qui semblait se répéter de pernicieux.
Ma cliente passa quelques coups de fils et les entretiens s’enchaînèrent pour déboucher rapidement sur un transfert vers une nouvelle unité. Un mois et demi s’était écoulé depuis la fin de l’arrêt de travail. La plaie était encore vive. Ma cliente faisait comme si de rien n’était.
Un jour, dans son nouveau poste, l’une de ses proches collègues était présente lorsqu’elle essaya de prendre contact avec son ancien service. Il lui fallait en effet solder quelques détails administratifs comme la remise du portable ou des clés. Passer cet appel qu’elle avait repoussé jusqu’alors, la replongea quelques mois auparavant au coeur de la souffrance. Elle aurai été seule, elle se le serait certainement cachée. Là, en open-space, avec quelqu’un auprès d’elle, sa souffrance a été vue, sentie, et même pointée. « Je pense que j’ai réellement été malade » me confia-t-elle à la suite de cet événement. Elle doutait toujours d’avoir été malade. Un peu de plus, et elle niait avoir dû s’arrêter.
Quelques temps plus tard, ce fut la rencontre avec les représentants syndicaux pour leur passer la main. Sa démarche visait à empêcher que d’autres tombent dans le piège dont elle était sortie. Sans qu’elle ne voit rien venir, elle retomba massivement dans la souffrance au cours de cet entretien. De son point de vue, elle était sortie d’affaires et pourtant la plaie s’est réouverte béante et douloureuse.
C’est alors que j’ai pu aborder avec elle son histoire. Ce fut l’occasion de mettre un peu d’ordre dans son histoire, en particuliers, de remettre dans le passé certaines expériences qui, bien que lointaines, continuaient à oeuvrer de façon limitante dans le présent.
Quelques mois plus tard, ma cliente poursuivait son cheminement dans son nouveau poste et s’était mise à réfléchir sur le sens de tout cela pour son futur.
Après 16 années passées dans des postes à responsabilité en entreprise,
Paul-Henri Pion s’est investi dans les métiers de la relation et de l’accompagnement de la personne. Il exerce aujourd’hui comme psychothérapeute. Sa pratique s’inscrit dans la lignée des travaux du Mental Research Institute de Palo Alto (Californie) et de son Centre de thérapie brève.
Paul-Henri Pion est psychopraticien à Courbevoie. « C’est en lâchant prise que vient la maîtrise ». Paul-Henri s’intéresse aux conditions de la performance et du bien-être humains. Sa pratique s’inscrit dans la lignée des travaux du Mental Research Institut dont il a suivi les enseignements. Économiste de formation, certifié en PNL et hypnose éricksonnienne, diplômé en psychologie, il met son expérience au service de votre bien-être.
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