Les vacances sont passées. Au détour d’une rue, d’une lumière ou d’un visage, l’esprit s’évade et retourne en vacances.
Les vacances... c’est souvent le moment privilégié de cohabitation de trois générations. Les plus jeunes apprennent à connaître leurs grands-parents. Les souvenirs d’enfance remontent pour la génération du milieu. Le chemin parcouru prend forme pour la génération qui approche de la sagesse.
Elles sont là toutes ces expériences oubliées de l’enfance et des jours précédents. Elles s’invitent en nous sans préavis. Fugace ou prégnant, l’instant passé s’impose et se sur-imprime à l’instant présent. Le passé se fait présent.
La rentrée, c’est le moment privilégié du passé, en plein milieu de la construction du futur.
Que ce soit en classe ou au travail, avec des amis ou en train de vaquer aux tâches quotidiennes, les souvenirs titillent notre attention.
Alors le mouvement le plus fréquemment rencontré est de chercher à occulter ce qui vient perturber le cours du présent. Que ce soit par soi-même, « revient à tes moutons » ou que ce soit par quelqu’un d’autre, « quand vous aurez fini de rêver... », le rappel à l’ordre fait partie de la rentrée.
Pourtant même chassé, éloigné et occulté, le passé reste présent... sans qu’on le sache.
Éric Berne l’a pointé en analyse transactionnelle : un certain nombre d’injonctions passées oeuvrent dans le présent. « Sois fort », « sois parfait », « fais plaisir », par exemple, semblent guider la vie de certaines personnes.
Ce phénomène pointé par Éric Berne est particulièrement utile en ces temps de rentrée : j’ai beau faire tous les efforts possibles pour être présent dans mes activités de la rentrée, la cohabitation des générations hors des contraintes usuelles de l’année a réveillé les messages de l’enfance. Je vous en propose une lecture au travers de ce qui ressemble fort à des loyautés familiales.
Bien sûr, je prendrai des exemples potentiellement douloureux de ces messages dans ce qui va suivre. Heureusement, chacun des exemples douloureux a son pendant bienheureux, et j’implore votre indulgence face au choix partial que je fais de ne présenter que des versions « pathogènes ».
« Réussis ma fille », « réussi mon fils » : quel parent n’a jamais formulé ce voeux pour sa progéniture. Quelle école et quel professeur ou instituteur n’a jamais intimé à ses élèves de réussir.
Mais voilà... petit, quand j’ai commis une erreur, quand les grands ne m’ont pas compris, non seulement ils m’ont grondé, mais pour être sûr que je comprenne ils ont cherché à me faire mal. « Comme ça au moins, il ne sera pas tenté de recommencer » qu’ils se disaient entre eux. C’est vrai, je les ai entendu.
Alors, j’ai entendu des choses comme « tu es nul », « tu n’y arriveras jamais », « mais tu es bouché ou quoi ? », « quand comprendras-tu ? » ; Parfois même, je devenais l’empêcheur de tourner en rond de la famille ou de la classe.
Même que je pouvais lire sur leurs visages, dans leurs silences et leurs soupirs que c’était vrai ce qu’ils disaient. De toutes façons les grandes personnes ont toujours raison, surtout quand elles se trompent.
Rappelez-vous : dans l’éducation de la seconde moitié du vingtième siècle, l’enfant était souvent affublé des qualificatifs attribuables à ses actes. Il en était de même pour les collaborateurs dans les entreprises.
L’enfant est donc bercé par un message officiel « réussis ! » et par un message tout a fait clair mais officieux « tu es un bon à rien ».
L’adulte est parfois confronté aussi à cela.
Il y a 25 ans, j’ai rencontré un patron imprégné de la culture de l’effort et du dépassement de soi au point que toute solution trouvée rapidement et simplement était suspecte et condamnée à attendre au moins trois semaines avant d’être examinée. Il avait pour habitude de dire à ses collaborateurs qu’ils n’y arriveront pas. Lesquels collaborateurs m’avaient expliqué qu’ainsi il avait toujours raison : si un de ses collaborateurs était en échec, il l’avait prédit, et si un de ses collaborateurs trouvait une solution, alors c’était grâce à lui qui l’avait si bien piqué au vif.
Ce qui conduisait ses collaborateurs à être baignés par le message qu’ils étaient des incapables.
Lors de vacances passées chez les grands-parents de ses enfants, les injonctions passées et entendues de façon répétée frayent leur chemin à la surface, plus ou moins visiblement.
Avec des yeux d’adulte et un peu de recul, le programme « réussis alors que tu es un incapable » peut faire sourire.
Cependant, un nombre certain de difficultés professionnelles y trouvent leur source.
Un degré supplémentaire est atteint quand le message officiel est « respecte moi » voire « ne fais pas mieux que moi ». Combien de parents ont à coeur d’avoir une longueur d’avance sur leurs enfants et le leur montrent. Tel père est mauvais perdant aux échecs, ou telle mère refuse qu’on pointe ses fautes d’orthographe. « Un peu de respect, voyons ».
Tels parents répètent le message « tu dois réussir », d’autant plus qu’ils vivent des difficultés professionnelles que l’enfant voit ou perçoit.
Alors, réussir pour l’enfant, revient à dépasser le niveau du père ou de la mère, et donc à ne plus les respecter.
La dynamique du diplôme a propulsé bien des individus dans des situations sociales inespérées qui font la fierté de leurs parents.
Cependant, nombre d’entre eux vivent douloureusement le message silencieux « tu n’es plus des nôtres ».
En rentrant de vacances, l’incompréhension entre génération prend parfois la forme d’une colère sourde ou ouverte, contre ces parents qui ont tout fait pour que je réussisse et m’ont inculqué tant de freins.
Je retourne au travail avec des pieds de plomb et j’ai de bonnes raisons. Ce poste que j’aurais dû avoir, pour lequel j’avais l’expérience et les qualifications m’a été soufflé par untel qui a prouvé qu’il était moins qualifié que moi. Alors pourquoi vouloir rentrer enthousiaste ?
Mais voilà, accéder à ce poste aurait signifié une sorte de déloyauté par rapport à mon groupe d’origine. Alors, au pire, je me suis sabordé, au mieux j’ai envoyé des signaux faibles mais perceptibles que ce n’était pas pour moi. Mon malheur est que cela a été entendu. Mon double malheur, c’est que je ne sais pas que j’ai adressé ces signaux. Ce que je sais au bout d’un certain temps, c’est que je commence à souffrir.
Ces cas sont nombreux, et j’en reçois fréquemment. L’intervention peut porter alors sur l’attitude au travail, sur la communication effective au travail, c’est à dire sur ce qui est fait, pensé ou dit ou pas, de redondant dans les relations de travail et qui est concomitant à la souffrance. Cela donne souvent des résultats visibles à court terme.
L’entourage perçoit alors un changement, comme une ouverture vers une évolution professionnelle possible et elle est souvent concrétisable. Cependant, dans ce type d’intervention, le sentiment de déloyauté n’est que rarement revisité, restructuré comme le disent certains champs d’accompagnement. Dans ce dernier cas, le nouveau promu peut se saborder. Si ce n’est pas le cas, la plaie se réouvre souvent plus tard et en plus grand. Le « tu ne réussiras pas », ou le « respecte moi » continuent à oeuvrer en sourdine.
Comment faire alors ?
Le premier pas est certainement de traiter ce qui apparaît en surface : quand je rentre de vacances, espace de relative autonomie, pour retourner au travail avec ce qui s’est ravivé de mon enfance en tête, il y a de forte chance que la première contrainte imposée déclenche de la colère ou du moins une rage rentrée.
Parfois, c’est une attitude d’abattement, une sorte de mini dépression qui apparaît.
Dans un cas comme dans l’autre, colère ou douleur font écran et peuvent prévenir l’accès au conflit de loyauté à l’oeuvre.
Écrire sa colère ou sa douleur peut être une bonne chose, pour autant que cette écriture est à un moment choisi et non en réaction et sous l’emprise immédiate de la douleur ou la colère. L’écriture est alors à contenir dans une durée limitée, c’est à dire qu’une fois l’écriture terminée, il n’est jamais revenu dessus : toute pensée nouvelle à ce sujet doit être accueillie pour lui donner rendez-vous à la prochaine séance d’écriture.
Alors, une fois l’effet de l’écriture ressentie, il est plus aisé d’accéder à l’injonction de loyauté qui s’est ravivée au contact de ses géniteurs.
Quelle est la logique de ce qui se déroule ?
Volontairement, je veux accéder à cette évolution professionnelle, ou à ce diplôme.
Involontairement, je pense que « je ne dois pas réussir », c’est le programme officieux que je dois suivre.
Pour réaliser consciemment mon objectif d’évolution, je dois occulter le programme officieux et tout faire pour le bloquer.
Donc involontairement et de façon continue pourrait-on dire, toute situation, pensée, action, parole d’évolution professionnelle est accompagnée d’une ritournelle involontaire et inconsciente destinée à me faire oublier ou à occulter que « je ne dois pas réussir à évoluer ». Sans elle, je ne peux pas me lancer dans le programme officiel.
La logique de la thérapie brève stratégique permet de construire une réponse sous la forme d’une tâche ritualisée. Il s’agira, en suivant le fil logique de la « ritournelle dysfonctionnelle », de regarder volontairement, et de façon concrète et contextualisée, les injonctions de ne pas réussir.
Comme toute tâche destinée à capturer une dynamique involontaire et dysfonctionnelle, elle aura un cadre temporel et spatial déterminé et fini, choisi volontairement.
Cependant, une loyauté familiale est chargée d’un très fort enjeu. La psychanalyse nous a légué le concept de patient qui résiste, et là il y a de fortes chances que vouloir y toucher soulève des résistances. Il est donc recommandé d’y aller avec tact et délicatesse.
Une façon élégante de mettre de l’ordre dans les injonctions intégrées dans l’enfance est de simplement conduire la personne à se promener, pendant un temps donné et à un moment choisi par elle, dans ses souvenirs d’enfance.
Attention, la psychanalyse nous a appris que les défenses guettent. Donc à ce stade, les souvenirs d’enfance remontés concerneront certainement tout, sauf ce qui à trait à ces injonctions. D’où l’importance de préciser alors que les souvenirs porteront sur les parents en général, papa et maman, seuls ou ensemble, que le souvenir ait été vécu ou construit à partir de ce qui a été vécu ou entendu.
Il sera précisé de laisser venir ce qui vient, bons ou mauvais souvenirs : le piège courant est de vouloir trouver des bons souvenirs car seuls les mauvais viennent ; l’inverse existe aussi, mais est plus rare. Toute tentative de forcer la remontée des souvenirs la tarit. La pensée doit accueillir ce qui vient, comme ça vient.
Il s’agit d’un lieu miné et protégé propre à faire se dresser les résistances les plus coriaces. Il va donc falloir y aller pas à pas, comme pour un long voyage à pied : pas après pas, petit à petit, le chemin est parcouru jusqu’à destination. Le recours à un rituel quotidien de visite de ses souvenirs de ses parents est donc préconisé.
Le retour d’expérience des personnes qui expérimentent cette tâche est similaire à une réorganisation de la ligne du temps chez les adeptes de la PNL ou pour certains hypnothérapeutes.
Enfin, avec l’expérience des yeux d’adulte, l’histoire passée prend un sens nouveau et l’élaboration observée en psychanalyse est stimulée.
Je dois à Giorgio Nardone [1] la prescription qui suit, dans son esprit. Je vous la livre, c’est l’une des plus belles que je connaisse dans ses effets.
Chaque jour, à un moment qui est bon pour vous, vous allez faire ce que toute les familles font à un moment ou à un autre, sous une forme ou sous une autre et qu’il est possible de rencontrer de temps à autre, souvent dans des vieilles demeures ou dans les histoires familiales qui se transmettent de bouche en bouche, vous allez donner vie à votre galerie de souvenirs familiaux et vous ouvrirez intérieurement, dans votre tête, cette galerie, c’est une tâche mentale. Vous ouvrirez l’aile consacrée à vos parents, et de chaque souvenir qui vous reviendra de vos parents, votre père, votre mère, séparément, ensemble, avec ou sans vous, chaque souvenir qui vous reviendra que vous l’ayez vécu ou construit à travers ce qu’on vous a dit, vous en ferez un beau tableau.
Vous raviverez cette image, ses couleurs, ses formes, ses sons, ses odeurs, son goût, toutes ces sensations qui font que c’est votre souvenir à vous, et quand ce souvenir sera présent pour vous, même si vous ne pouvez pas le dessiner ni le décrire à quelqu’un d’autre, quand ce souvenir est bien présent pour vous, alors vous l’encadrez et vous l’installez dans votre galerie. Si c’est un bon souvenir, vous le mettez sur l’un des murs, si c’est un mauvais souvenir, vous le mettez sur l’autre mur, et vous faites cela de jour en jour en laissant venir naturellement les souvenirs qui viennent et si vous ne remplissez qu’un mur, ce n’est pas grave. Chaque jour vous prenez un instant pour ouvrir et entrer dans cette galerie, la visiter, y installer de nouveaux tableaux ou pas, éventuellement la réorganiser, la revisiter et en ressortir et la refermer.
Et c’est terminé, quand vous en êtes sorti toute nouvelle idée qui vous vient, vous l’accueillez et lui donnez rendez-vous pour la prochaine fois où vous constituerez vos tableaux pour ensuite aller les installer dans votre galerie, la prochaine fois, au moment que vous aurez choisi. Et chaque jour vous l’ouvrez, vous la visitez, vous y installez de nouveaux tableaux ou pas, et vous en ressortez et la refermez derrière vous. Ainsi, chaque jour pendant le mois qui vient.
Je vous souhaite une belle rentrée.
Paul-Henri Pion
Après 16 années passées dans des postes à responsabilité en entreprise,
Paul-Henri Pion s’est investi dans les métiers de la relation et de l’accompagnement de la personne. Il exerce aujourd’hui comme psychothérapeute. Sa pratique s’inscrit dans la lignée des travaux du Mental Research Institute de Palo Alto (Californie) et de son Centre de thérapie brève.
Paul-Henri Pion est psychopraticien à Courbevoie. « C’est en lâchant prise que vient la maîtrise ». Paul-Henri s’intéresse aux conditions de la performance et du bien-être humains. Sa pratique s’inscrit dans la lignée des travaux du Mental Research Institut dont il a suivi les enseignements. Économiste de formation, certifié en PNL et hypnose éricksonnienne, diplômé en psychologie, il met son expérience au service de votre bien-être.
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