Aventure d’automne

Par Paul-Henri Pion


Aventure d'automne

Alice vient de se poser. Jeune femme trépidante de la ville, Alice est au fait des dernières nouveautés tendances. Pas une vente privée ne lui échappe. Son smartphone la tient informée en temps réel de tout ce qui la concerne et l’intéresse ou pourrait la concerner et l’intéresser. Elle est sur Facebook et prend bien soin de mettre à jour son profil chaque jour. Inscrite à quelques fils Twitter, elle y jète un oeil régulièrement pour en suivre l’évolution voire y intervenir. Elle voyage et se documente. L’été dernier, elle a parcouru une partie de l’Europe en variant les moyens de transport mais trop absorbée par son mp3 et ses lectures en retard elle n’a que peu profité des paysages.

Alors en rentrant, elle s’est acheté des DVD sur les régions qu’elle a traversées. Elle n’a toujours pas eu le temps de les regarder et s’en inquiète un peu : elle aimerait tellement mieux connaître ces pays qu’elle a traversé de ville en ville.

Depuis, Alice a vu un film. Au fur et à mesure du film, elle a eu la vague impression qu’elle se sentait de trop sur Terre. Malgré quelques messages d’espoir en fin de projection, elle est maintenant confuse et comme immobilisée avec la peur de sombrer dans la sinistrose, elle qui emploie le mot « positiver » à bien des sauces. Avoir visionné « Home » lui a fait l’effet d’un coup de massue plus que d’un électrochoc : elle est quelque part comme hébétée.

Peu de temps après elle a crisé sur son GPS à qui elle faisait jusqu’à présent confiance. Une amie lui a indiqué un chemin plus court et plus rapide pour venir chez elle. Alors qu’avant elle aurait écouté sans écouter toute fière d’avoir cet instrument tout puissant à sa disposition comme si son amie se trompait, cette fois-ci les faits se sont imprimés en elle : jusqu’à présent elle avait posé que son GPS a toujours raison parce qu’elle ne pouvait pas supporter l’idée que cet instrument puisse l’induire en erreur. Une crise de panique s’en est suivie le soir même lors de son retour à la maison : elle a prêté attention aux indications routières et s’est retrouvée comme paralysée et indécise à un endroit qu’elle connaît pourtant bien. Le nombre d’indications proposées par les pancartes et la signalisation horizontale combinées a subitement dépassé ses capacités de compréhension et elle a dû se ressaisir violemment pour s’engager dans la bonne direction.

Alice explose : elle a l’impression brutalement d’être prise pour une incapable. Tout ce qu’elle fait passe par des médias divers et variés et tout se mélange. La zapette qui lui tombe sous la main n’est plus celle qu’elle veut, ce qui ne change pas vraiment d’avant mais maintenant elle s’en rend compte, or tout ou presque passe par une zapette chez elle. Elle en vient à regarder cet appareil banal qu’elle a toujours considéré inconsciemment comme un appendice de son organisme sans se l’avouer : l’une a jusqu’à 54 touches, l’autre 45 et elles sont toutes comme ça. Le vertige la prend. Elle réalise en mettant la machine à laver le linge qu’elle sélectionne machinalement un programme mais qu’en fait son cerveau en combine plus de trente simplement en regardant le tableau de bord. En piquant un ourlet, les boutons de sa machine à coudre lui sautent à la tête et elle reste ahurie devant autant d’informations alors que l’écran de son smartphone s’éclaire pour lui signaler qu’elle a oublié de rappeler sa mère et que le reste de la to-do-list lui vient à l’esprit. Elle a le vertige.

Alice se rappelle que bientôt il lui faudra changer toutes ses ampoules électriques pour passer en ampoules basse consommation et que ces ampoules doivent être impérativement recyclées. Pourtant, pendant son voyage au coeur de l’Europe, elle a vu de ces nouvelles ampoules éclater en atterrissant dans le lit d’un torrent asséché en pleine ville. D’ailleurs, elle n’a jamais vu ces ampoules, signes de l’ultra modernisme responsable, aussi communément utilisées que dans ces pays, et aussi innocemment rependues dans les rivières à sec ou par terre. Alice est écoeurée.

Trop d’informations affluent à son cerveau. Elle se sent envahie. Sa rage et son dépit intérieur lui pointent qu’elle passe ses journées et ses nuits submergée d’informations de toutes natures, simples et nombreuses et dans tous les sens sans qu’elle puisse savoir à quel sein se vouer. « Memory overflow » aurait affiché son écran d’ordinateur il y a quelques années. « Cache empty » lui répondent humoristiquement ses pensées : elle avait fait le blanc dans sa tête pour ne pas s’écrouler tellement elle est saturée d’informations simples relevant des « n » dimensions de l’existence.

Complexité : c’est le mot qui lui vient à l’esprit. Rien de compliqué, juste un monde complexe. Pourtant, tout dans l’information qui lui parvient semble être organisé selon une causalité linéaire. « C’est arrivé parce que », « c’est de la faute de », etc, sont matraqués par la télévision et le journal. Même les marchés financiers s’en mêlent : la bourse chute ou monte parce que telle société a dit que. Toujours une explication rationnelle simpliste. Ce qu’elle touche du doigt, ce qu’elle entend en elle, ce qu’elle voit, c’est que si tout semble simple comme les médias (encore des médias..) essaient de le faire croire, en fait tout est complexe et protéiforme. La simplification martelée la conduit à la confusion et à l’ignorance passive de peur d’ouvrir les yeux. Elle n’a jamais voulu contredire ces causalités pré-mâchées.

Humiliation : c’est l’autre mot qui lui vient. « On me prend pour une bille, toutes ces explications ne résistent pas à la multiplicité des interactions que je devine ». Ce sentiment, elle se rend compte qu’elle a toujours évité de le ressentir. Mais aujourd’hui, le vase déborde et tout, autour d’elle, cherche à la rabaisser. Elle a accumulé au fil du temps un nombre impressionnant d’instruments de confort qui lui renvoient, à chaque fois qu’elle s’en sert, le message silencieux et clair « tu ne peux rien faire sans nous ». Téléphone, mp3, électroménager, tous ces moyens destinés à la libérer lui apparaissent comme autant de prothèses à son impuissance construite malgré elle en succombant aux sirènes de slogans divers et variés. « Tu es incapable de faire par toi-même ! La preuve ? Regarde comment tu es quand nous tombons en panne » lui renvoient ces objets acquis avec fierté et parfois même arrogance.

Doute : elle y plonge. « Où suis-je ? » se demande-t-elle. Les questions existentielles affluent et elle se rappelle les premières lignes de « Jacques le fataliste », ce roman de Diderot qu’elle avait étudié au lycée. Alors, perdue dans ses pensées et sa perplexité, elle entend le craquement léger d’une feuille morte sous son pied. « C’est l’automne » se dit-elle, bientôt l’hiver. L’envie de se replier sur elle lui prend comme un réflexe douillet d’hibernation. C’est ça ce dont elle a besoin : hiberner, se reposer, décanter. En un éclair, c’est décidé : l’automne romantique et venteux sera consacré à décanter, observer, suspendre son jugement, simplement se mettre à l’écoute d’elle-même et de la nature, seulement se faire petite souris dans la civilisation qui est la sienne avec l’oeil de l’étonnement, sans jamais juger. « La joie de l’âme est dans l’action ». Elle ne se rappelle plus où, enfant, elle avait entendu cette phrase dont elle avait fait sa devise. Elle en connaît bien le sens profond que la psychologie moderne a repris à son compte et qui est fort loin de l’hyper-activisme ambiant.

Cependant, aujourd’hui et jusqu’au printemps prochain, « la joie de l’âme est dans l’observation et la suspension du jugement » se dit-elle et « vive l’automne ! Ce sera la saison de l’ennui créatif, de la passivité active, du ne rien faire et ne rien vouloir qui permet que quelque chose émerge ».  

Paul-Henri Pion


- Après 16 années passées dans des postes à responsabilité en entreprise, Paul-Henri Pion s’est investi dans les métiers de la relation et de l’accompagnement de la personne. Il exerce aujourd’hui comme psychothérapeute. Sa pratique s’inscrit dans la lignée des travaux du Mental Research Institute de Palo Alto (Californie) et de son Centre de thérapie brève.


- Réagir à cet article dans nos forums

Publication proposée par : Pion Paul-Henri

Paul-Henri Pion est psychopraticien à Courbevoie. « C’est en lâchant prise que vient la maîtrise ». Paul-Henri s’intéresse aux conditions de la performance et du bien-être humains. Sa pratique s’inscrit dans la lignée des travaux du Mental Research Institut dont il a suivi les enseignements. Économiste de formation, certifié en PNL et hypnose éricksonnienne, diplômé en psychologie, il met son expérience au service de votre bien-être.

- Tél. 06 03 10 66 90 - 01 43 34 12 39
- Courriel : phpion.tb@free.fr
- France - Courbevoie
- Site : http://pion.tb.free.fr/

Du ou avec le même auteur

Pourquoi et comment fonctionne la thérapie brève ?
Même après 50 ans d’existence, la thérapie brève, souvent appelée aussi thérapie stratégique pour la distinguer des thérapies courtes développées depuis (...)

Paul-Henri Pion - Thérapie brève
« C’est en lâchant prise que vient la maîtrise ». Paul-Henri Pion s’intéresse aux conditions de la performance et du bien-être humains. Sa pratique (...)

Quand la raison nous piège
« Mais il me semble qu’il n’a pas du tout d’habit » observa un petit enfant. Et bientôt, on chuchota dans la foule « l’empereur n’a pas d’habit du tout (...)

Peut-on déjouer le piège de la souffrance mentale ?
La demande de thérapie naît d’une souffrance ou d’un dysfonctionnement qui s’installent de telle sorte qu’ils deviennent envahissants, jusqu’à devenir (...)

Le lâcher prise : un renoncement ou un moyen de se dépasser ?
L’expression lâcher prise renvoie l’image de quelqu’un qui s’agrippe désespérément et finit par renoncer à sa proie ou à sa prise. Elle porte en elle (...)

Quatre secrets pour vivre heureux avec soi, les autres, le monde
Vous voulez vous sentir acteur de votre vie, contrôler sans vouloir tout maîtriser, sentir quand vos qualités peuvent devenir des défauts, faire (...)

Lâcher-prise, moi ? Jamais !
« Lâche-prise ! » « Mais lâche donc prise ! ». Que de fois cela m’est-il rapporté dans mon cabinet ! Et à chaque fois ma réponse reste la même : « (...)

La nature et la logique : histoire d’une expérience
Parfois, "et" paraît violent pour un esprit logique éduqué à l’école d’Aristote. Utiliser "et" à la place de "mais" "fait mal aux oreilles. (...)

Arrêtons de vouloir changer !
Quand Arlette s’est présentée effondrée en demandant mon aide, sa situation lui paraissait désespérée. L’ambiance familiale était devenue telle qu’il (...)

Faire voler en éclats le plafond de verre
Ou, comment déjouer les effets pervers de la régression. Jean m’est adressé par une consœur. Il a un solide parcours en développement personnel à (...)

Lâcher-prise ou vivre avec son stress ?
L’été se termine. Les mouches se font discrètes. Il faudra attendre l’année prochaine pour s’émerveiller devant l’obstination de ces insectes à vouloir (...)

Un emplâtre sur une jambe de bois...
Bien souvent le praticien reste perplexe quant au résultat atteint par ses accompagnements. Son client va mieux ; il s’est libéré des problèmes (...)

Bonne route pour 2015 !
Et si pour cette année nous apprenions à respecter notre nature plutôt qu’à la forcer ? Voici quelques propositions directement issues du mode (...)

Lâcher prise
"Ne renonce jamais, lâche prise, et la voie s’éclaire", telle est la proposition de ce livre. Car nous avons du mal à vivre le moment présent, (...)

10 clés pour bien vivre 2014
2014 n’aura que 365 jours, c’est à dire 365 opportunités de construire son propre enfer ou 365 occasions de construire son bonheur et celui d’autrui. (...)

La prescription du symptôme par Paul-Henri Pion
Derrière la prescription de symptôme comme derrière toutes les approches dites paradoxales se cache l’accueil inconditionnel de l’autre et donc la (...)

2013 année de la Prescription de Symptôme ?
Demander à quelqu’un de faire ce qu’il cherche à ne pas faire peut paraître bizarre. Pourtant, quand ce qu’il ne veut pas faire le dérange, c’est là (...)

L’empathie - Par Paul-Henri Pion
Penser avec empathie, interagir avec empathie est synonyme de tenir compte de l’émotion de l’autre que notre organisme encode. Être empathique (...)

Pour des standards professionnels - Partie 2
Dans la première partie publiée dans ces colonnes le 25 mars dernier, je livrais quelques invariants et en tirais des implications sur la façon de (...)

Pour des standards professionnels - Partie 1
À l’heure où le film "Le Mur" défraye la chronique de nos professions, chacun est passible de s’inquiéter de voir sa pratique dénigrée, tant au niveau (...)

La relation d’aide, une expérience ?
“Le fait de refaire l’expérience de l’ancien conflit laissé en suspens, mais avec un dénouement nouveau, c’est là le secret de tout résultat (...)

Rester sain d’esprit : pensez-y !
Se sentir acteur de sa vie est un ingrédient majeur de la santé mentale. Une vie sain d’esprit et heureux repose essentiellement sur notre capacité (...)

Il ou elle va mourir, comment m’y préparer ?
La maladie, l’âge, les blessures ou les conditions météorologiques vont avoir raison de son organisme et vous allez perdre un proche. Que vous le (...)

Manuel du Lâcher Prise
Dans le Manuel du Lâcher Prise, Paul-Henri Pion traite la question de sortir des ornières relationnelles avec soi, les autres ou le monde. Il y est (...)

Question de confiance
Parfois, on entend dire à propos d’une personne affirmée, c’est un mâle dominant ou une femelle dominante. Je vous en propose une autre lecture, basée (...)

Parents, c’est la rentrée !
« Sois plus ferme avec moi » ou « tu n’es pas assez dure avec moi », sont des cris d’appel au secours que j’entends en général autour de Pâques quand (...)

Devoir de mémoire
Dans une très belle conférence intitulée « la dimension d’aimer », le psychanalyste jungien Elie G. Humbert, s’exprimait ainsi : « ...il y a un type (...)

Journal intime ou journal intime ?
« Chaque jour, dans un grand cahier, à un moment que vous avez choisi, vous écrirez la date et le lieu, puis une fois la date et le lieu inscrits, (...)

50 exercices pour lâcher prise
Articulé en quatre parties, ce manuel regroupe 50 exercices construits rigoureusement dans la logique de l’arrêt des tentatives de solutions (...)

Arnaque au mieux-être
Mieux-être passe par exercer son intelligence avec bon sens et sortir de l’aveuglement pour voir les évidences. « J’ai tout essayé, je ne vois plus (...)

Bonnes résolutions...
Le passage de l’année est propice aux bonnes résolutions. Seulement voilà, avec le temps, ces résolutions prennent l’allure de trop bonnes résolutions (...)

Les émotions de l’été : Saynètes et décryptage
Voici avec l’été, le relâchement tant attendu pour récupérer de la fatigue de l’année. Mais voilà, qui dit relâchement, dit retour au galop de la nature. (...)

Le plaisir est dans le pré ...
Après avoir fait un long détour au fin fond de son trouble, le client revient à la vie ambiante et doit en réapprendre les usages et les saveurs. Le (...)

Je t’aime, un peu, beaucoup, énormément …
La vie à deux est une aventure pleine de satisfactions et de désillusions douloureuses. Partager son espace, ses envies ou ses humeurs est un (...)

C’est le jour des morts ...
Selon la tradition chrétienne, les premiers et deux novembre sont devenus des jours privilégiés pour se rappeler aux morts et se rappeler d’eux. (...)

C’est la rentrée !
Les vacances sont passées. Au détour d’une rue, d’une lumière ou d’un visage, l’esprit s’évade et retourne en vacances. Les vacances... c’est souvent le (...)

Harcèlement, stress, ou peur ? Un exemple pour comprendre
Le stress et le harcèlement moral sont deux fléaux que l’organisation moderne du travail favorise. L’article suivant appartient à une série (...)

Harcèlement moral au travail : un exemple pour comprendre
Le stress et le harcèlement moral au travail sont deux fléaux que l’organisation moderne du travail favorise. L’article suivant appartient à une (...)

Stress au travail : un exemple pour comprendre
Le stress et le harcèlement moral au travail sont deux fléaux que l’organisation moderne du travail favorise tant et si bien que le législateur s’en (...)

Vers une approche psychanalytique de la Thérapie Brève
Les approches analytiques semblent parfois considérer avec dédain les apports de la thérapie brève. Certain praticiens en thérapie brève considèrent (...)

Dans ce que je lui dis ... qu’est-ce qui l’intéresse ?
Le client passe la porte du cabinet du thérapeute avec la demande minimale « que « ça » s’arrête » voire « que « ça » aille mieux ». Il confère au (...)

Position du thérapeute et dynamique en Thérapie Brève (1)
Que ce soit par soucis du secret professionnel ou par l’utilisation d’une langue obscure, ce que le thérapeute fait en séance reste difficile (...)

Le fil conducteur du thérapeute en Thérapie Brève
En thérapie brève, le thérapeute considère le client comme une personne normale qui, en cherchant la meilleure adaptation possible à un instant donné (...)

Avertissement
L'information diffusée sur Mieux-Etre.org est destinée à encourager, et non à remplacer, les relations existantes entre le visiteur du site et son médecin ou son thérapeute.
Mieux-Etre.org
© sprl Parcours
Tous droits réservés
Mentions légales