Alice vient de se poser. Jeune femme trépidante de la ville, Alice est au fait des dernières nouveautés tendances. Pas une vente privée ne lui échappe. Son smartphone la tient informée en temps réel de tout ce qui la concerne et l’intéresse ou pourrait la concerner et l’intéresser. Elle est sur Facebook et prend bien soin de mettre à jour son profil chaque jour. Inscrite à quelques fils Twitter, elle y jète un oeil régulièrement pour en suivre l’évolution voire y intervenir. Elle voyage et se documente. L’été dernier, elle a parcouru une partie de l’Europe en variant les moyens de transport mais trop absorbée par son mp3 et ses lectures en retard elle n’a que peu profité des paysages.
Alors en rentrant, elle s’est acheté des DVD sur les régions qu’elle a traversées. Elle n’a toujours pas eu le temps de les regarder et s’en inquiète un peu : elle aimerait tellement mieux connaître ces pays qu’elle a traversé de ville en ville.
Depuis, Alice a vu un film. Au fur et à mesure du film, elle a eu la vague impression qu’elle se sentait de trop sur Terre. Malgré quelques messages d’espoir en fin de projection, elle est maintenant confuse et comme immobilisée avec la peur de sombrer dans la sinistrose, elle qui emploie le mot « positiver » à bien des sauces. Avoir visionné « Home » lui a fait l’effet d’un coup de massue plus que d’un électrochoc : elle est quelque part comme hébétée.
Peu de temps après elle a crisé sur son GPS à qui elle faisait jusqu’à présent confiance. Une amie lui a indiqué un chemin plus court et plus rapide pour venir chez elle. Alors qu’avant elle aurait écouté sans écouter toute fière d’avoir cet instrument tout puissant à sa disposition comme si son amie se trompait, cette fois-ci les faits se sont imprimés en elle : jusqu’à présent elle avait posé que son GPS a toujours raison parce qu’elle ne pouvait pas supporter l’idée que cet instrument puisse l’induire en erreur. Une crise de panique s’en est suivie le soir même lors de son retour à la maison : elle a prêté attention aux indications routières et s’est retrouvée comme paralysée et indécise à un endroit qu’elle connaît pourtant bien. Le nombre d’indications proposées par les pancartes et la signalisation horizontale combinées a subitement dépassé ses capacités de compréhension et elle a dû se ressaisir violemment pour s’engager dans la bonne direction.
Alice explose : elle a l’impression brutalement d’être prise pour une incapable. Tout ce qu’elle fait passe par des médias divers et variés et tout se mélange. La zapette qui lui tombe sous la main n’est plus celle qu’elle veut, ce qui ne change pas vraiment d’avant mais maintenant elle s’en rend compte, or tout ou presque passe par une zapette chez elle. Elle en vient à regarder cet appareil banal qu’elle a toujours considéré inconsciemment comme un appendice de son organisme sans se l’avouer : l’une a jusqu’à 54 touches, l’autre 45 et elles sont toutes comme ça. Le vertige la prend. Elle réalise en mettant la machine à laver le linge qu’elle sélectionne machinalement un programme mais qu’en fait son cerveau en combine plus de trente simplement en regardant le tableau de bord. En piquant un ourlet, les boutons de sa machine à coudre lui sautent à la tête et elle reste ahurie devant autant d’informations alors que l’écran de son smartphone s’éclaire pour lui signaler qu’elle a oublié de rappeler sa mère et que le reste de la to-do-list lui vient à l’esprit. Elle a le vertige.
Alice se rappelle que bientôt il lui faudra changer toutes ses ampoules électriques pour passer en ampoules basse consommation et que ces ampoules doivent être impérativement recyclées. Pourtant, pendant son voyage au coeur de l’Europe, elle a vu de ces nouvelles ampoules éclater en atterrissant dans le lit d’un torrent asséché en pleine ville. D’ailleurs, elle n’a jamais vu ces ampoules, signes de l’ultra modernisme responsable, aussi communément utilisées que dans ces pays, et aussi innocemment rependues dans les rivières à sec ou par terre. Alice est écoeurée.
Trop d’informations affluent à son cerveau. Elle se sent envahie. Sa rage et son dépit intérieur lui pointent qu’elle passe ses journées et ses nuits submergée d’informations de toutes natures, simples et nombreuses et dans tous les sens sans qu’elle puisse savoir à quel sein se vouer. « Memory overflow » aurait affiché son écran d’ordinateur il y a quelques années. « Cache empty » lui répondent humoristiquement ses pensées : elle avait fait le blanc dans sa tête pour ne pas s’écrouler tellement elle est saturée d’informations simples relevant des « n » dimensions de l’existence.
Complexité : c’est le mot qui lui vient à l’esprit. Rien de compliqué, juste un monde complexe. Pourtant, tout dans l’information qui lui parvient semble être organisé selon une causalité linéaire. « C’est arrivé parce que », « c’est de la faute de », etc, sont matraqués par la télévision et le journal. Même les marchés financiers s’en mêlent : la bourse chute ou monte parce que telle société a dit que. Toujours une explication rationnelle simpliste. Ce qu’elle touche du doigt, ce qu’elle entend en elle, ce qu’elle voit, c’est que si tout semble simple comme les médias (encore des médias..) essaient de le faire croire, en fait tout est complexe et protéiforme. La simplification martelée la conduit à la confusion et à l’ignorance passive de peur d’ouvrir les yeux. Elle n’a jamais voulu contredire ces causalités pré-mâchées.
Humiliation : c’est l’autre mot qui lui vient. « On me prend pour une bille, toutes ces explications ne résistent pas à la multiplicité des interactions que je devine ». Ce sentiment, elle se rend compte qu’elle a toujours évité de le ressentir. Mais aujourd’hui, le vase déborde et tout, autour d’elle, cherche à la rabaisser. Elle a accumulé au fil du temps un nombre impressionnant d’instruments de confort qui lui renvoient, à chaque fois qu’elle s’en sert, le message silencieux et clair « tu ne peux rien faire sans nous ». Téléphone, mp3, électroménager, tous ces moyens destinés à la libérer lui apparaissent comme autant de prothèses à son impuissance construite malgré elle en succombant aux sirènes de slogans divers et variés. « Tu es incapable de faire par toi-même ! La preuve ? Regarde comment tu es quand nous tombons en panne » lui renvoient ces objets acquis avec fierté et parfois même arrogance.
Doute : elle y plonge. « Où suis-je ? » se demande-t-elle. Les questions existentielles affluent et elle se rappelle les premières lignes de « Jacques le fataliste », ce roman de Diderot qu’elle avait étudié au lycée. Alors, perdue dans ses pensées et sa perplexité, elle entend le craquement léger d’une feuille morte sous son pied. « C’est l’automne » se dit-elle, bientôt l’hiver. L’envie de se replier sur elle lui prend comme un réflexe douillet d’hibernation. C’est ça ce dont elle a besoin : hiberner, se reposer, décanter. En un éclair, c’est décidé : l’automne romantique et venteux sera consacré à décanter, observer, suspendre son jugement, simplement se mettre à l’écoute d’elle-même et de la nature, seulement se faire petite souris dans la civilisation qui est la sienne avec l’oeil de l’étonnement, sans jamais juger. « La joie de l’âme est dans l’action ». Elle ne se rappelle plus où, enfant, elle avait entendu cette phrase dont elle avait fait sa devise. Elle en connaît bien le sens profond que la psychologie moderne a repris à son compte et qui est fort loin de l’hyper-activisme ambiant.
Cependant, aujourd’hui et jusqu’au printemps prochain, « la joie de l’âme est dans l’observation et la suspension du jugement » se dit-elle et « vive l’automne ! Ce sera la saison de l’ennui créatif, de la passivité active, du ne rien faire et ne rien vouloir qui permet que quelque chose émerge ».
Paul-Henri Pion
Après 16 années passées dans des postes à responsabilité en entreprise, Paul-Henri Pion s’est investi dans les métiers de la relation et de l’accompagnement de la personne. Il exerce aujourd’hui comme psychothérapeute. Sa pratique s’inscrit dans la lignée des travaux du Mental Research Institute de Palo Alto (Californie) et de son Centre de thérapie brève.
Paul-Henri Pion est psychopraticien à Courbevoie. « C’est en lâchant prise que vient la maîtrise ». Paul-Henri s’intéresse aux conditions de la performance et du bien-être humains. Sa pratique s’inscrit dans la lignée des travaux du Mental Research Institut dont il a suivi les enseignements. Économiste de formation, certifié en PNL et hypnose éricksonnienne, diplômé en psychologie, il met son expérience au service de votre bien-être.
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