Selon la tradition chrétienne, les premiers et deux novembre sont devenus des jours privilégiés pour se rappeler aux morts et se rappeler d’eux. Dans le cabinet du psychothérapeute, la déchirure encore vive du départ d’un proche est souvent là. L’ignorer revient à soulager le client en surface. La débusquer et la prendre en charge est délicat. Comment faire ?
Rares sont les personnes qui viennent consulter parce qu’elles sont en deuil. Tout se passe plutôt comme si aujourd’hui être en deuil devait être caché aux autres, voire à soi-même. La porte du cabinet du psychothérapeute est poussée pour dépression, mal-être indéterminé, insomnies, difficultés relationnelles etc, excessivement rarement parce qu’un proche vient de partir. Fréquemment, le cheminement révèle derrière le problème présent un deuil non cicatrisé.
A partir de quelques cas, je vais tenter de décrire comment les demandes d’accompagnement m’ont été formulées et comment un deuil non élaboré a pu être pris en charge.
Cas 1 : elle vient en consultation avec sa mère et sur suggestion de cette dernière. Elle s’est dit « pourquoi pas ? » et a accepté la démarche. La mère me décrit le problème de sa fille comme étant celui de quelqu’un qui n’arrive pas à trouver sa place dans la famille recomposée et la mère en vit une culpabilité profonde. Elle décrit sa fille comme désordonnée et en difficultés scolaire. Elle ajoute que tout s’est cumulé : à l’occasion de la recomposition de son ménage avec un homme ayant des enfants de l’âge de sa fille, cette dernière a dû changer de style de vie, de région d’habitation et d’organisation familiale. Elle sent, entre sa fille et les enfants de son compagnon, une forme de concurrence dans l’appropriation du nouvel espace familial. Elle insiste aussi sur le fait que, manifestement malheureuse, sa fille n’a pas les résultats scolaires espérés. Puis elle ajoute qu’au déménagement s’est ajouté le décès accidentel d’un ami proche et confident de sa fille. Cette dernière valide entièrement les dires de sa mère et précise qu’elle souhaite a minima deux choses : que sa mère la laisse tranquille et qu’elle puisse de nouveau se concentrer lors des devoirs en classe. Elle explique à ce propos qu’à chaque devoir en classe, elle a un blanc de vingt minutes avant de pouvoir commencer à traiter le sujet.
Cas 2 : ses parents viennent et sont inquiets. Leur fille se cloître et ne va plus à l’école depuis trois mois. Elle reste au lit. Elle envisage de passer d’une filière générale à une filière technique et ne veut surtout pas redoubler. Ils m’expliquent qu’elle a énormément travaillé au premier trimestre et qu’elle n’a eu que le tableau d’honneur alors que d’autres, beaucoup plus dilettantes, ont eu les félicitations. C’est de là que tout est parti. Ils me précisent quand même, au cas où, que, ces derniers dix huit mois, quatre proches qui comptaient pour leur fille sont décédés. Le problème est surtout pour eux son obstination à ne pas vouloir redoubler et à envisager une filière courte dans laquelle elle se retrouverait avec des élèves de deux à trois ans plus jeunes qu’elle et d’un milieu socio-culturel auquel ils doutent qu’elle s’adapte.
Cas 3 : ce sont des problèmes de couples qui le conduisent à consulter. Les échanges conjugaux sont violents depuis toujours, mais à présent il s’en lasse et trouve qu’il paie cher le fait d’avoir fondé une famille. Orphelin de père jeune, il constate qu’il reproduit dans sa famille la violence que sa mère lui a fait subir et qu’il a aussi vue entre ses parents du vivant de son père. Il en est profondément blessé et désemparé.
Cas 4 : elle vit douloureusement une démarche d’adoption qui semble vouée à l’échec et dans laquelle il lui apparaît que, plus elle avance, plus elle et son mari semblent être les marionnettes d’intérêts qui les dépassent. Très active, elle me décrit les années récentes comme celles de la mise en ordre de la succession de ses parents, sa mère étant décédée il y a deux ans et son père il y a une dizaine d’années. Elle est encore préoccupée par cette succession en parallèle de ses démarches et voyages pour adopter.
Bien d’autres cas pourraient figurer ci-dessus au même titre que ceux ainsi présentés. Qu’ont-ils en commun pour que je vous les présente ainsi ? La qualité de vie de ces personnes a fait un bon en avant au cours de l’accompagnement quand la relation au proche décédé a pu être abordée et traitée.
Quels éléments sont apparus dans l’accompagnement qui ont pu motiver une intervention sur la façon dont la relation au disparu était vécue ?
Cas 1 : l’exploration de la relation avec la mère et la demande de cette dernière que sa fille mette de l’ordre dans ses affaires a fait apparaître que, parmi ces affaires, des objets ou vêtements ayant appartenu au décédé ou qui ont été donnés par celui-ci étaient aussi impliqués. Par ailleurs, l’exploration des vingt minutes de blanc en début de devoir en classe a mis en évidence la manipulation du cahier de texte dans lequel figure une photo du disparu. De fait, cette jeune fille ne pouvait s’empêcher de penser à cet ami et ne plus y penser était inimaginable pour elle. Cela aurait équivalu à le faire tomber dans l’oubli.
Cas 2 : en explorant l’éventuel lien entre les décès et le problème de déscolarisation puisqu’ils sont amenés ensemble en première séance, il apparaît que la fille avait dans sa chambre des photos et objets relatifs aux quatre disparus. Les parents, voyant que leur fille plongeait dans l’isolement, avaient pris comme mesure de faire disparaître de la vue de leur fille toutes ces photos et objets à l’exception d’un tableau réalisé par l’un des défunts. Toutefois, cette mesure n’avait pas semblé apporter de soulagement à la souffrance de leur fille. Il semblait que si elle s’était résignée à la décision de ses parents, cela n’avait pas changé son attitude.
Cas 3 : l’exploration de la souffrance présente dans le couple montre que la relation passée à la mère s’invite en filigrane et justifie les prises de positions présentes. Tout est mis en oeuvre pour bloquer les comportements similaires à ceux de la mère même si c’est un échec. Par ailleurs, la dureté des souvenirs avec la mère avive le bonheur passé auprès du père. De fait des flashs rappelant les bons souvenirs avec le père s’invitent dans le quotidien de mon client. Ce dernier les chasse : il est trop douloureux pour lui de penser à ces bons souvenirs ; leur rappel fonctionne comme un fer qui viendrait plonger dans une plaie. Son réflexe est de chasser ces pensées et il cherche à ne plus y penser. Ce faisant, ces flashs sont devenus fréquents et pudiquement il ose à peine en parler.
Cas 4 : alors que la démarche d’adoption semble menée tambour battant, alors que la vie de cette femme semble ordonnée et pleine d’énergie à résoudre ses problèmes, elle sombre dans la douleur et la tristesse. Il apparaît que tout se passe comme si elle s’épuisait et plus l’exploration de sa vie avance, plus la place faite à la bonne organisation de la succession de sa mère devient importante dans ses propos. De fait elle décrit l’histoire d’une femme qui a pris en charge la mort et les conséquences de la mort de sa mère comme n’importe quel autre événement de sa vie. Aujourd’hui, la douleur est au seuil de la submerger ce qui est inacceptable alors qu’elle a un dossier d’adoption difficile à mener à bien.
Ma pratique me conduit à essayer de comprendre la logique de ce que mon client me confie. Que se passe-t-il en lui quand il va mal ?
Cas 1 : la patiente me dit clairement qu’elle souhaite continuer à penser à son ami et a peur qu’en arrêtant d’y penser elle l’oublie, ce qui est inacceptable pour elle. En me présentant sa situation, il lui apparaît que le blanc en début de devoir est en fait une lutte entre penser à son ami dont l’image est si près d’elle et se plonger dans son devoir avec l’affreuse sensation, après, de l’avoir oublié un instant. Donc cette jeune fille se répète qu’elle doit penser à son ami et la vie fait tout pour l’en distraire et elle n’arrive plus à composer avec cette situation qui la tiraille et l’épuise.
Cas 2 : il apparaît au travers du discours des parents que l’espace de leur fille était devenu comme « envahi » par le souvenir des défunts. C’est d’ailleurs ce qui a motivé leur intervention pour faire disparaître de sa vue ces souvenirs qui la maintenaient dans la nostalgie de ses relations passées avec les disparus. Toutefois, ce n’est pas elle qui est à l’initiative de cette réorganisation de son espace. Il n’y a donc aucune raison qu’elle ne se raccroche plus à ces souvenirs. Tout laisse penser qu’elle cherche à ne pas oublier ces proches.
Cas 3 : il cherche à oublier les bons moments passés avec son père et pour cela pense à ne plus penser à lui. De ce fait, en pensant à ne pas penser à son père, il y pense deux fois plus. En toile de fond tourne une dynamique de la forme « oublie ton père ».
Cas 4 : cette femme active refuse de devoir être ralentie par la tristesse et elle ne comprend pas ce qui lui arrive. Elle n’a pas de raison d’être atteinte. Elle doit tout faire pour être forte et la mort de sa mère doit rester une source de tracas matériels et rien de plus. Elle est forte, elle le sait, et elle ne se laissera pas atteindre par la tristesse et la douleur des difficultés liées à cette adoption. Ce qu’elle me dit est clair : le décès de sa mère ne doit avoir aucune incidence émotionnelle sur elle.
Dans les deux premiers cas, la personne pour laquelle il m’est demandé d’intervenir cherche à ne pas oublier, et entre en conflit avec le quotidien qui risque de l’éloigner du défunt. De fait, la pensée du défunt devient envahissante et, involontairement, elle est conduite à vouloir y penser le plus souvent possible.
Dans les deux derniers cas, la personne cherche à ne pas penser au défunt. Un automatisme comme « oublie » ou « n’aie pas mal » semble être en route involontairement et en continu.
Dans la première dynamique « je ne dois pas l’oublier », il est possible de procéder comme suit. Respecter ce que veut la personne revient à la conduire à penser au défunt. Toutefois, cela va dans le sens de ce qui la maintient dans sa souffrance. Une légère modification peut alors être introduite dans son attitude : plus elle essaie de ne pas oublier le défunt, plus elle se trouve tiraillée entre son souvenir et la vie courante. Il est possible de lui pointer que ce qu’elle cherche ce sont des moments d’intimité, de proximité, de complicité avec le défunt et qu’elle cherche à ce qu’il soit pleinement respecté et conserve une place. Ce faisant, j’attire son attention sur la qualité de ces moments et l’importance qu’il y a à ce qu’elle soit disponible dans ces instants.
Petit à petit, elle découvre que la dynamique actuelle conduit à des moments de piètre qualité en grande quantité au détriment d’une réelle intimité avec le défunt. Alors, il est possible de construire avec elle ce que pourrait être un instant de qualité avec le défunt. Souvent, cela prend la forme d’une sorte de « sanctuaire » qui renferme les objets du défunt et qui est ouvert pour mieux entrer en contact avec son souvenir et, dans l’instant où ce « sanctuaire » est ouvert, c’est le moment de dire au défunt tout ce qu’elle a envie de lui dire, tout ce qu’elle n’a pas pu lui dire et aurait aimé partager avec lui. Cet instant étant décrit, le reste de la journée est dédicacée au défunt. L’accent est mis sur la dignité avec laquelle traverser la journée. Le défunt doit être fier de celle qui est restée. Respecter le disparu, c’est aussi accueillir les pensées qui surgiront dans la journée, une fois le sanctuaire refermé. Toutefois, il sera donné rendez-vous à ces pensées pour la prochaine ouverture du sanctuaire. La personne se voit donc recommandé un rituel quotidien de quelques minutes (en général une dizaine) d’une grande qualité et intensité avec le défunt. Le reste de la journée lui sera dédicacé avec dignité. Les pensées relatives au défunt qui surviendront après cet instant seront accueillies pour être mieux reportées au jour suivant, pour le prochain instant en sa compagnie.
Dans la seconde dynamique, « n’aie pas mal », l’intervention peut être conduite en mettant en évidence que, finalement, celui qu’on essaie d’oublier ou dont le départ est anecdotique semble occuper une place importante dans le présent. Que ce soient les flashs ou le temps qui est consacré à ses affaires, voilà un absent qui s’invite malgré tout dans la vie de mes clients et finit par leur prendre beaucoup d’énergie, soit à l’oublier, soit à gérer ce qu’il a laissé derrière lui. En fait tout se passe comme si en voulant ne pas avoir mal, mes clients subissaient l’abrasion lente et épuisante de la présence actuelle du disparu. Plutôt que de perdre l’initiative sur leur vie ne vaudrait-il pas mieux qu’ils choisissent comment elle s’organise ?
Chasser le défunt étant manifestement voué à l’échec, mes clients préfèrent-ils voir leur vie « régentée » par ses allées et venues et ses problèmes, ou préfèreraient-ils reprendre les commandes de leur vie malgré ses « intrusions » ? Dans cet esprit, je leur demande de choisir les moments où ils rencontreront le disparu dans leur vie. De même pour respecter leur souhait d’avoir le champ libre, je les invite à limiter ces moments dans le temps, parfois à l’aide d’un réveil mis à sonner quelques minutes plus tard. Alors, ils peuvent prendre le temps de parcourir leurs souvenirs du disparu en toute sécurité et liberté, le réveil étant là pour les rappeler dans le présent. Certains aiment à le faire par écrit, d’autres préfèrent s’adonner à une sorte de rêverie à la rencontre de leurs souvenirs. Je leur demande simplement de raviver et revisiter ces souvenirs et en particulier le cadre dans lequel ils se sont déroulés. Et quand ils ont terminé, toute nouvelle pensée relative au disparu est à accueillir pour lui donner rendez-vous au prochain moment qu’ils auront décidé de consacrer au souvenir du défunt.
Dans le premier cas, le rituel quotidien est rapidement devenu, à l’initiative de la jeune fille, quelques fois par semaine, puis de temps en temps, pour enfin s’arrêter. Une nette amélioration de l’autonomie et de la capacité de concentration a accompagné cette évolution.
Dans le second cas, lorsque les parents ont déclaré, un peu gênés, qu’ils étaient allés un peu vite et qu’ils comprenaient combien s’était important pour elle de se rappeler ces proches décédés, et qu’ils lui rendaient ses photos et l’invitaient à vraiment prendre des instants riches en pensant aux disparus, leur fille leur a fait part de son soulagement de savoir qu’ils ont enfin compris combien ces morts étaient importants pour elle. A la suite de quoi elle a décliné leur offre et a réorganisé sa chambre sans ces photos ni objets les rappelant. Ce fut là la première marque de ce qu’elle reprenait l’initiative dans sa vie.
Dans le troisième cas, ce fut une révélation : « je peux pleurer », « je peux me sentir ému ». Ses traits se sont détendus et les conflits conjugaux se sont espacés. Il pouvait penser à son père et regarder les bons souvenirs sans ressentir de nostalgie douloureuse. Il pouvait même penser à certaines scènes violentes vécues avec sa mère sans partir dans la colère.
Le quatrième cas a vu ma cliente prendre le chemin du cimetière et le temps de soigner la tombe de ses parents. Ce qui était un devoir administratif est devenu une curiosité pour la vie de ses parents et elle a organisé son temps pour pouvoir gouter ce qu’elle y trouvait. Le projet d’adoption s’est transformé en une quête de soi réaliste et l’idée de devenir responsable, à cinquante ans passés, d’un enfant déjà formé, s’est transformée en un renouveau amoureux dans son couple.
Les lecteurs familiers avec la thérapie brève auront reconnu certain des leviers de l’intervention systémique et stratégique comme :
le respect de la dynamique du client
la capture du mouvement involontaire pour le rendre volontaire
le cadrage de la dynamique envahissante dans un espace contrôlé par le client
le respect de l’autonomie du client
Que la disparition soit ancienne ou récente, tout semble montrer que le processus de deuil doit être respecté. Chercher à le contourner conduit à amplifier à terme la souffrance silencieuse et peut être initialement invisible. Un marin me disait un jour, alors que je me préparais à prendre la mer, « rappelle toi que la mer est toujours la plus forte ». J’ai envie de le dire ainsi : « rappelons nous que la nature est toujours la plus forte ». Il apparaît alors que la perturbation d’un lien d’attachement fort ne peut être niée et doit être respectée et élaborée jusqu’à son terme.
Paul-Henri Pion est psychopraticien à Courbevoie. « C’est en lâchant prise que vient la maîtrise ». Paul-Henri s’intéresse aux conditions de la performance et du bien-être humains. Sa pratique s’inscrit dans la lignée des travaux du Mental Research Institut dont il a suivi les enseignements. Économiste de formation, certifié en PNL et hypnose éricksonnienne, diplômé en psychologie, il met son expérience au service de votre bien-être.
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