L’investigation en Thérapie Brève

Dans ce que je lui dis ... qu’est-ce qui l’intéresse ?

Par Paul-Henri Pion


Le client passe la porte du cabinet du thérapeute avec la demande minimale « que « ça » s’arrête » voire « que « ça » aille mieux ». Il confère au thérapeute le pouvoir de répondre à son attente. Or « que « ça » s’arrête » ou « que « ça » aille mieux » n’existent pas tout prêts à livrer sur une étagère. Le thérapeute doit donc en savoir plus : c’est l’investigation. Elle se répète d’une façon ou d’une autre à chaque séance.

La venue du client semble signifier qu’il attend que quelque chose change. Son histoire montre qu’il a essayé beaucoup de choses pour changer. Peut-être même, son entourage a-t-il tenté de le faire changer. Mais rien de satisfaisant n’en a résulté. C’est en désespoir de cause qu’il vient consulter. Il n’y arrive plus. Il se sent impuissant. Ses proches lui renvoient qu’ils ne peuvent plus rien pour lui. Il est à bout de course. Eux sont épuisés.

L’évidence s’impose, le client qui vient a déjà tout essayé, il ne peut pas changer. C’est avec cette réalité à l’esprit que le thérapeute l’accueille. Il ne le fera pas changer, il n’en a pas la capacité. La seule personne à même de changer quelque chose, c’est le client. Or il est coincé.

Toute tentative de raisonner autrement conduit à adopter à plus ou moins long terme un but à la place du client et à vouloir le faire changer ... avec la certitude d’échouer.

L’intervention du thérapeute a pour objectif de desserrer l’étau dans lequel le client est pris, puis de lui montrer qu’il peut bouger. Elle porte sur ce qui coince le client et non sur ce dernier.

L’investigation du thérapeute se focalise par conséquent sur les conditions dans lesquelles le client souffre ou vit le dysfonctionnement pour lequel il vient consulter. C’est à l’intérieur de cet ensemble que le client apporte le degré de liberté qui permettra le changement : les leviers de l’intervention sont dans ce qui coince le client, c’est à dire dans l’espace des relations qu’il tisse avec son environnement. Le changement porte donc sur cet espace.

Ce dernier est entendu au sens large comme l’espace physique, l’entourage et les pensées du client.

C’est donc ce sur quoi le thérapeute doit se focaliser.

C’est sur cet espace client-/-contexte-de-vie que va porter son intervention. Ce niveau d’intervention est aussi celui qui assure au client la plus grande liberté. Une fois les contraintes qu’il subit élargies un tant soit peu, il procédera lui-même aux ajustements pertinents. Il conserve de ce fait l’initiative. Il reste maître de la situation.

Tout se passe cependant comme si le client qui consulte ne voyait plus ce que la situation recèle de possibilités. Le thérapeute doit lui communiquer les informations nécessaires pour qu’il agisse là où les conditions le permettent.

Cependant, le thérapeute ignore tout de celles-ci quand son client s’assied en face de lui. Il lui faut les découvrir. La curiosité du thérapeute porte donc sur « comment se manifeste dans le présent ce qui amène aujourd’hui le client à consulter ». Il s’intéresse à la situation dans laquelle ce que vise le client survient, comment s’exprime son « mal-être » et cherche à en avoir une représentation aussi précise que possible.

Lors de l’entretien, le client décrit la situation de l’intérieur. Bien des aspects de son exposé sont difficiles à se représenter. Le thérapeute a besoin de mettre en scène aussi précisément que possible la façon dont s’expriment et se déroulent les situations « dysfonctionnelles ». Il lui faut se construire une image compréhensible du « mal-être ». Il est alors conduit à poser des questions concrètes sur ce que vit, sent ou pense le client dans ses situations de « mal-être ».

Dans quel contexte le vit-il ? En présence de qui ? Ce mal-être s’exprime sous la forme de pensées, d’actions, de sensations ? Avec quelle étendue ? Est-ce invalidant ? Légèrement ? Massivement ? Qui est demandeur de ce que ça s’arrête ou que ça aille mieux ? ...

Ces questions ont aussi pour effet de faire émerger chez le client une représentation clarifiée de la situation. Chaque question joue le rôle de la gouge ou du burin du sculpteur et fait émerger petit à petit la forme de « que « ça » s’arrête » ou « que « ça » aille mieux ». Réciproquement, chaque réponse sculpte à son tour l’image que se forme le thérapeute.

Le thérapeute s’attache à se construire une représentation dynamique du « mal-être ». Il s’adresse à un client bien vivant, animé. Il a besoin d’une représentation elle aussi vivante.

En quoi le client a-t-il perdu prise et est-il dépassé par la situation ? Quel automatisme semble prendre le contrôle du client à un moment donné ? Dans quelle configuration tout cela se manifeste-t-il ? Comment se répète le phénomène ? En présence de qui ou quoi, à quel moment, pendant combien de temps, avec quelle fréquence ? etc...

Le thérapeute cherche à débusquer dans les récits du client les successions de prises de positions qui construisent le piège dans lequel il se débat et dont il demande à être sorti. Elles le guident au contexte de mise en oeuvre. Elles éclairent l’espace relationnel dans lequel tout se joue.

Au fil des questions et des réponses, des anecdotes et des descriptions, le piège prend forme, sa logique sous-jacente émerge, sa cohérence apparaît.

Le client cesserait de se débattre et arriverait à se sortir de la situation qu’il amène s’il avait prise dessus. Or elle lui échappe. Ce dans quoi il se débat a acquis sa propre cohérence. Le processus dysfonctionnel s’impose à lui et il n’arrive pas à s’en extraire. Le piège se referme et se nourrit de tout ce qu’il tente, volontairement ou malgré lui. Sa logique est inopérante à le sortir d’affaire. Au contraire, elle répond à la logique de la situation dont il veut se sortir, pour mieux l’y maintenir. Il ne peut donc que crier « à l’aide », impuissant, prisonnier d’un point de vue qui l’empêche de décoder le piège dans lequel il est et d’en déjouer la cohérence.

Le thérapeute observe et se demande dans quelle situation, en présence de qui, avec qui ou avec quoi, à quelle fin ce qu’il observe est logique, indépendamment de ce que lui pourrait considérer comme normal du fait de sa propre culture. Il raisonne à la fois en anthropologue et en logicien. Il cherche à comprendre comment le phénomène que lui apporte le client s’active et se pérennise. Il observe et décode le contexte de vie. Il entre dans le monde du client et apprend à s’y mouvoir. Il a vue maintenant sur l’intérieur.

La dynamique du client pris dans son piège prend alors forme et les éléments mobilisés sont identifiés. Le moteur qui anime le processus dysfonctionnel se livre petit à petit. Le biais logique qui l’accompagne, le cercle vicieux dans lequel le client se débat sont là. Leur degré de précision, leur étendue et l’implication de l’entourage du client, leur autonomisation par rapport à la volonté du client, peuvent devenir la base de travail du thérapeute. Ce socle livre les leviers qu’il confiera à son client. Ce dernier pourra alors construire sa propre solution.

Par ailleurs, la façon de questionner et d’arriver à une représentation utilisable par le thérapeute, conduit le client à visiter sa situation avec un autre oeil. Dès la phase d’investigation, il peut reconsidérer la logique et les prises de positions associées. La lumière filtre aussi de ce côté.

Voilà ce que le thérapeute stratégique cherche en thérapie brève et pourquoi il semble parfois si curieux de connaître des choses anodines du quotidien : c’est là dessus qu’il va construire une issue avec son client.

Seul cet espace client-contexte, ces lieux d’inter-relations sont à même de bouger. Il est donc nécessaire de les connaître précisément.

- Après 16 années passées dans des postes à responsabilité en entreprise, Paul-Henri Pion s’est investi dans les métiers de la relation et de l’accompagnement de la personne. Il exerce aujourd’hui comme psychothérapeute. Sa pratique s’inscrit dans la lignée des travaux du Mental Research Institute de Palo Alto (Californie) et de son Centre de thérapie brève.

- Réagir à cet article dans nos forums

Publication proposée par : Pion Paul-Henri

Paul-Henri Pion est psychopraticien à Courbevoie. « C’est en lâchant prise que vient la maîtrise ». Paul-Henri s’intéresse aux conditions de la performance et du bien-être humains. Sa pratique s’inscrit dans la lignée des travaux du Mental Research Institut dont il a suivi les enseignements. Économiste de formation, certifié en PNL et hypnose éricksonnienne, diplômé en psychologie, il met son expérience au service de votre bien-être.

- Tél. 06 03 10 66 90 - 01 43 34 12 39
- Courriel : phpion.tb@free.fr
- France - Courbevoie
- Site : http://pion.tb.free.fr/

Du ou avec le même auteur

Paul-Henri Pion - Thérapie brève
« C’est en lâchant prise que vient la maîtrise ». Paul-Henri Pion s’intéresse aux conditions de la performance et du bien-être humains. Sa pratique (...)

Quand la raison nous piège
« Mais il me semble qu’il n’a pas du tout d’habit » observa un petit enfant. Et bientôt, on chuchota dans la foule « l’empereur n’a pas d’habit du tout (...)

Peut-on déjouer le piège de la souffrance mentale ?
La demande de thérapie naît d’une souffrance ou d’un dysfonctionnement qui s’installent de telle sorte qu’ils deviennent envahissants, jusqu’à devenir (...)

Le lâcher prise : un renoncement ou un moyen de se dépasser ?
L’expression lâcher prise renvoie l’image de quelqu’un qui s’agrippe désespérément et finit par renoncer à sa proie ou à sa prise. Elle porte en elle (...)

Quatre secrets pour vivre heureux avec soi, les autres, le monde
Vous voulez vous sentir acteur de votre vie, contrôler sans vouloir tout maîtriser, sentir quand vos qualités peuvent devenir des défauts, faire (...)

Pourquoi et comment fonctionne la thérapie brève ?
Même après 50 ans d’existence, la thérapie brève, souvent appelée aussi thérapie stratégique pour la distinguer des thérapies courtes développées depuis (...)

Lâcher-prise, moi ? Jamais !
« Lâche-prise ! » « Mais lâche donc prise ! ». Que de fois cela m’est-il rapporté dans mon cabinet ! Et à chaque fois ma réponse reste la même : « (...)

La nature et la logique : histoire d’une expérience
Parfois, "et" paraît violent pour un esprit logique éduqué à l’école d’Aristote. Utiliser "et" à la place de "mais" "fait mal aux oreilles. (...)

Arrêtons de vouloir changer !
Quand Arlette s’est présentée effondrée en demandant mon aide, sa situation lui paraissait désespérée. L’ambiance familiale était devenue telle qu’il (...)

Faire voler en éclats le plafond de verre
Ou, comment déjouer les effets pervers de la régression. Jean m’est adressé par une consœur. Il a un solide parcours en développement personnel à (...)

Lâcher-prise ou vivre avec son stress ?
L’été se termine. Les mouches se font discrètes. Il faudra attendre l’année prochaine pour s’émerveiller devant l’obstination de ces insectes à vouloir (...)

Un emplâtre sur une jambe de bois...
Bien souvent le praticien reste perplexe quant au résultat atteint par ses accompagnements. Son client va mieux ; il s’est libéré des problèmes (...)

Bonne route pour 2015 !
Et si pour cette année nous apprenions à respecter notre nature plutôt qu’à la forcer ? Voici quelques propositions directement issues du mode (...)

Lâcher prise
"Ne renonce jamais, lâche prise, et la voie s’éclaire", telle est la proposition de ce livre. Car nous avons du mal à vivre le moment présent, (...)

10 clés pour bien vivre 2014
2014 n’aura que 365 jours, c’est à dire 365 opportunités de construire son propre enfer ou 365 occasions de construire son bonheur et celui d’autrui. (...)

La prescription du symptôme par Paul-Henri Pion
Derrière la prescription de symptôme comme derrière toutes les approches dites paradoxales se cache l’accueil inconditionnel de l’autre et donc la (...)

2013 année de la Prescription de Symptôme ?
Demander à quelqu’un de faire ce qu’il cherche à ne pas faire peut paraître bizarre. Pourtant, quand ce qu’il ne veut pas faire le dérange, c’est là (...)

L’empathie - Par Paul-Henri Pion
Penser avec empathie, interagir avec empathie est synonyme de tenir compte de l’émotion de l’autre que notre organisme encode. Être empathique (...)

Pour des standards professionnels - Partie 2
Dans la première partie publiée dans ces colonnes le 25 mars dernier, je livrais quelques invariants et en tirais des implications sur la façon de (...)

Pour des standards professionnels - Partie 1
À l’heure où le film "Le Mur" défraye la chronique de nos professions, chacun est passible de s’inquiéter de voir sa pratique dénigrée, tant au niveau (...)

La relation d’aide, une expérience ?
“Le fait de refaire l’expérience de l’ancien conflit laissé en suspens, mais avec un dénouement nouveau, c’est là le secret de tout résultat (...)

Rester sain d’esprit : pensez-y !
Se sentir acteur de sa vie est un ingrédient majeur de la santé mentale. Une vie sain d’esprit et heureux repose essentiellement sur notre capacité (...)

Il ou elle va mourir, comment m’y préparer ?
La maladie, l’âge, les blessures ou les conditions météorologiques vont avoir raison de son organisme et vous allez perdre un proche. Que vous le (...)

Manuel du Lâcher Prise
Dans le Manuel du Lâcher Prise, Paul-Henri Pion traite la question de sortir des ornières relationnelles avec soi, les autres ou le monde. Il y est (...)

Question de confiance
Parfois, on entend dire à propos d’une personne affirmée, c’est un mâle dominant ou une femelle dominante. Je vous en propose une autre lecture, basée (...)

Parents, c’est la rentrée !
« Sois plus ferme avec moi » ou « tu n’es pas assez dure avec moi », sont des cris d’appel au secours que j’entends en général autour de Pâques quand (...)

Devoir de mémoire
Dans une très belle conférence intitulée « la dimension d’aimer », le psychanalyste jungien Elie G. Humbert, s’exprimait ainsi : « ...il y a un type (...)

Journal intime ou journal intime ?
« Chaque jour, dans un grand cahier, à un moment que vous avez choisi, vous écrirez la date et le lieu, puis une fois la date et le lieu inscrits, (...)

50 exercices pour lâcher prise
Articulé en quatre parties, ce manuel regroupe 50 exercices construits rigoureusement dans la logique de l’arrêt des tentatives de solutions (...)

Arnaque au mieux-être
Mieux-être passe par exercer son intelligence avec bon sens et sortir de l’aveuglement pour voir les évidences. « J’ai tout essayé, je ne vois plus (...)

Bonnes résolutions...
Le passage de l’année est propice aux bonnes résolutions. Seulement voilà, avec le temps, ces résolutions prennent l’allure de trop bonnes résolutions (...)

Aventure d’automne
Alice vient de se poser. Jeune femme trépidante de la ville, Alice est au fait des dernières nouveautés tendances. Pas une vente privée ne lui (...)

Les émotions de l’été : Saynètes et décryptage
Voici avec l’été, le relâchement tant attendu pour récupérer de la fatigue de l’année. Mais voilà, qui dit relâchement, dit retour au galop de la nature. (...)

Le plaisir est dans le pré ...
Après avoir fait un long détour au fin fond de son trouble, le client revient à la vie ambiante et doit en réapprendre les usages et les saveurs. Le (...)

Je t’aime, un peu, beaucoup, énormément …
La vie à deux est une aventure pleine de satisfactions et de désillusions douloureuses. Partager son espace, ses envies ou ses humeurs est un (...)

C’est le jour des morts ...
Selon la tradition chrétienne, les premiers et deux novembre sont devenus des jours privilégiés pour se rappeler aux morts et se rappeler d’eux. (...)

C’est la rentrée !
Les vacances sont passées. Au détour d’une rue, d’une lumière ou d’un visage, l’esprit s’évade et retourne en vacances. Les vacances... c’est souvent le (...)

Harcèlement, stress, ou peur ? Un exemple pour comprendre
Le stress et le harcèlement moral sont deux fléaux que l’organisation moderne du travail favorise. L’article suivant appartient à une série (...)

Harcèlement moral au travail : un exemple pour comprendre
Le stress et le harcèlement moral au travail sont deux fléaux que l’organisation moderne du travail favorise. L’article suivant appartient à une (...)

Stress au travail : un exemple pour comprendre
Le stress et le harcèlement moral au travail sont deux fléaux que l’organisation moderne du travail favorise tant et si bien que le législateur s’en (...)

Vers une approche psychanalytique de la Thérapie Brève
Les approches analytiques semblent parfois considérer avec dédain les apports de la thérapie brève. Certain praticiens en thérapie brève considèrent (...)

Position du thérapeute et dynamique en Thérapie Brève (1)
Que ce soit par soucis du secret professionnel ou par l’utilisation d’une langue obscure, ce que le thérapeute fait en séance reste difficile (...)

Le fil conducteur du thérapeute en Thérapie Brève
En thérapie brève, le thérapeute considère le client comme une personne normale qui, en cherchant la meilleure adaptation possible à un instant donné (...)

Avertissement
L'information diffusée sur Mieux-Etre.org est destinée à encourager, et non à remplacer, les relations existantes entre le visiteur du site et son médecin ou son thérapeute.
Mieux-Etre.org
© sprl Parcours
Tous droits réservés
Mentions légales