Le plaisir est dans le pré ...

Par Paul-Henri Pion


Le plaisir est dans le pré ...

Absorbé à se débattre avec son trouble, le patient perd tout contact avec le plaisir. Ce dernier est pourtant nécessaire à la vie.

« Le matin, quand vous vous préparez, vous imaginez votre journée et, dans cette journée dans laquelle vous vous projetez, vous vous mettez à savourer quelque chose, vous ne savez pas forcément quoi à l’instant, mais vous vous sentez savourer un petit plaisir dans cette journée, et au cours de celle-ci, laissez vous surprendre à saisir un petit plaisir pour vous. »

C’est ainsi que parfois j’invite mon client à commencer à s’intéresser aux plaisirs qui jalonnent le quotidien. Il arrive que je sois plus direct et lui demande : « chaque jour, accordez vous un petit plaisir pour vous, que ce soit en compagnie ou pas, un petit plaisir quotidien aussi simple soit-il » ou sous tout autre forme qu’il me vient en face de lui.

D’autres fois, cette invitation est indirecte : « chaque jour, donnez un petit signe d’attention à votre conjoint. Qu’il le voit ou pas, qu’il le sente, l’entende ou pas, n’a pas d’importance. Une fois par jour, une petite attention envers votre conjoint ». Il peut s’agir du conjoint, d’un enfant, ou d’un collaborateur.

Mais au fait, pourquoi inviter une personne venue pour une psychothérapie à prendre ou à donner du plaisir ?

Parce que le printemps est prêt à entrer dans l’accompagnement.

Au début, lors de la prise en charge, tout va mal. La situation fait réellement souffrir et les solutions essayées se sont avérées inefficaces à enrayer l’aggravation du mal. L’impuissance règne. Une aide extérieure est sollicitée. La durée et la profondeur du trouble amené ont absorbé les ressources de la personne qui vient consulter ; du moins est-ce ainsi que cela se présente dans les cas lourds. Épuisé à lutter contre son mal, le client s’est replié sur lui, soit directement par protection active (le client s’isole pour mieux se prendre en charge), soit indirectement parce que les autres autour de lui s’en sont éloignés. Un client qui a peur du jugement des autres ou de commettre des erreurs va s’effacer et éviter les situations sociales. Un autre qui a peur d’être rejeté va devenir trop gentil et serviable et finira par exploser intempestivement à force de se sentir au service des autres qui lui demandent toujours quelque chose et ne lui donnent jamais rien et finira petit à petit par se les mettre tous à dos. Ces situations peuvent être déclinées à l’infini car les exemples sont nombreux, qu’il s’agisse des troubles alimentaires, phobiques, dépressifs, de couple etc...

Pour peu que le client cherche à contrôler ce qui se passe, alors toutes ses forces deviennent affectées à des tentatives de contrôle de la situation. Tandis que son trouble se développe il est toujours occupé à gérer sa vie en fonction de ses tentatives de contrôle de la situation et ne regarde plus ailleurs. Alors sa surface sociale s’étiole et le plaisir disparaît progressivement de sa vie. Alors, les issues se ferment une à une devant lui et c’est sans horizon autre que parfois l’extrême et l’irréversible qu’il vient frapper à la porte du psychothérapeute. Alors, seul le problème l’habite. Le plaisir lui est devenu étranger. Or le plaisir, c’est le moteur de la vie.

Quand il ne reste que le problème, quand le client arrive envahit par son trouble, seuls ses stabilisateurs naturels sont en route : il se bat avec la peur, avec la douleur, avec la colère et parfois avec un plaisir qui le rend esclave. Un tel vient avec une peur des foules et organise toute sa vie pour éviter le contact avec plus de deux personnes à la fois ; une telle se présente submergée par la perte de son enfant et vit prostrée depuis près d’un an ; tel autre arrive prêt à tout casser autour de lui et va d’arrêt de maladie en arrêt de maladie de peur de justement tout casser autour de lui ; enfin un autre est complètement soumis à un besoin irréfrénable d’avoir des relations sexuelles sans pour autant y trouver du plaisir et n’arrive plus à se sentir bien en société.

Quel que soit le problème, une fois celui-ci installé, tout est mis en oeuvre pour s’en préserver autant que faire se peut. Il n’est plus question de se projeter dans un futur enviable et d’avancer. Seul le présent compte accompagné souvent de la question « pourquoi moi ? ». Parfois même, ce présent est accompagné de son cortège de souvenirs douloureux similaires qui rongent et retournent le couteau dans la plaie à longueur de journée. Le client envahit par son trouble vient gorgé de son passé et incapable de regarder le futur avec envie. Le plaisir l’a quitté. Il est enfermé dans ses sombres pensées et l’hiver s’est installé dans son esprit et son corps.

Ainsi plongé dans sa situation, il est devenu au fil du temps un expert de son problème et de sa lutte contre ce dernier.

L’accompagnement psychothérapeutique qu’il sollicite conduit petit à petit à dissoudre le problème dans quelque chose de plus vaste et à poser les armes. Toutefois les longs mois ou années d’entraînement à vivre avec le problème ne s’effacent pas du jour au lendemain. Ni les habitudes prises, ni la focalisation sur le présent, sur le passé ou sur la noirceur du futur ne s’estompent aisément, quand bien même le trouble ne se manifeste plus.

Le client se retrouve souvent gauche une fois sorti de son ornière : la belle énergie qu’il consommait à gérer son trouble devient disponible et a perdu son objet. Dans les cas les plus légers, il la réoriente naturellement vers la construction d’un présent destiné à créer un futur nouveau, cependant que dans les cas lourds, il est comme en panne, immobile, comme étonné de n’avoir plus mal tout en ne sachant pas où aller. Alors, c’est au psychothérapeute d’éclairer la lanterne qui lui permettra de s’orienter. C’est à ce moment là qu’il est fait appel au principe de plaisir trop longtemps endormi.

Une jeune femme soucieuse de contrôler tout au point de surveiller chaque aliment qu’elle ingurgite a perdu tout plaisir de la nourriture. Or c’est bien ce plaisir qui nous permet de survivre. Le plaisir naturel de bons repas partagés est un levier pour la sortir de son piège. Un mari constamment en lutte pour garder une place dans son foyer a perdu tout plaisir à recevoir une caresse et à donner un signe d’affection. Or c’est bien aussi ce plaisir qui nous permet de survivre. Une fois apaisé de sa colère et son désarroi, il lui faudra réapprendre le chemin de la tendresse dans son couple. Et il en va ainsi de suite.

Le plaisir est l’aiguille de la boussole que la vie tend au client libéré de ses contraintes. Parfois, le psychothérapeute est là pour donner la légère impulsion qui ébranlera et mettra en route. Alors, de séances en séances, il sera veillé à ce que le client reprenne goût à la vie, c’est à dire retrouve la capacité de savourer les instants qu’il traverse. Tout se passe comme si il n’osait plus discriminer ce qui lui est favorable de ce qui lui est défavorable. « Chat échaudé craint l’eau froide » dit le dicton. « Client blessé craint la sérénité » pourrait-on dire à notre tour.

Après avoir fait un long détour au fin fond de son trouble, le client revient à la vie ambiante et doit en réapprendre les usages et les saveurs. Le psychothérapeute est là pour l’accompagner sur ce chemin, en l’aidant à redécouvrir qu’il peut prendre du plaisir, qu’il peut faire confiance à cette dynamique de vie et s’y laisser aller. Quand il sort de l’hiver dans lequel son trouble l’a jeté, il lui faut aussi sortir de son engourdissement et les premiers pas sont hésitants. La tentation est parfois forte de retourner en arrière se blottir dans le connu, aussi douloureux soit-il. « ...et chaque jour, vous vous accordez un petit plaisir » l’accompagne et lui permet d’expérimenter les voies oubliées qui le ramènent à la vie. Il s’étonne de s’être accordé un plaisir sans l’avoir prémédité. Il découvre que ce qu’il pensait être plaisant s’avère être contraignant. Il s’émerveille d’avoir pu composer avec d’autres personnes, lui qui était devenu si farouche. Il reprend son chemin.

Le plaisir est le moteur qui nous anime. Faisons en un allié de nos accompagnements et de nos clients.


Après 16 années passées dans des postes à responsabilité en entreprise,
Paul-Henri Pion s’est investi dans les métiers de la relation et de l’accompagnement de la personne. Il exerce aujourd’hui comme psychothérapeute. Sa pratique s’inscrit dans la lignée des travaux du Mental Research Institute de Palo Alto (Californie) et de son Centre de thérapie brève.

- Réagir à cet article dans nos forums

Publication proposée par : Pion Paul-Henri

Paul-Henri Pion est psychopraticien à Courbevoie. « C’est en lâchant prise que vient la maîtrise ». Paul-Henri s’intéresse aux conditions de la performance et du bien-être humains. Sa pratique s’inscrit dans la lignée des travaux du Mental Research Institut dont il a suivi les enseignements. Économiste de formation, certifié en PNL et hypnose éricksonnienne, diplômé en psychologie, il met son expérience au service de votre bien-être.

- Tél. 06 03 10 66 90 - 01 43 34 12 39
- Courriel : phpion.tb@free.fr
- France - Courbevoie
- Site : http://pion.tb.free.fr/

Du ou avec le même auteur

Pourquoi et comment fonctionne la thérapie brève ?
Même après 50 ans d’existence, la thérapie brève, souvent appelée aussi thérapie stratégique pour la distinguer des thérapies courtes développées depuis (...)

Paul-Henri Pion - Thérapie brève
« C’est en lâchant prise que vient la maîtrise ». Paul-Henri Pion s’intéresse aux conditions de la performance et du bien-être humains. Sa pratique (...)

Quand la raison nous piège
« Mais il me semble qu’il n’a pas du tout d’habit » observa un petit enfant. Et bientôt, on chuchota dans la foule « l’empereur n’a pas d’habit du tout (...)

Peut-on déjouer le piège de la souffrance mentale ?
La demande de thérapie naît d’une souffrance ou d’un dysfonctionnement qui s’installent de telle sorte qu’ils deviennent envahissants, jusqu’à devenir (...)

Le lâcher prise : un renoncement ou un moyen de se dépasser ?
L’expression lâcher prise renvoie l’image de quelqu’un qui s’agrippe désespérément et finit par renoncer à sa proie ou à sa prise. Elle porte en elle (...)

Quatre secrets pour vivre heureux avec soi, les autres, le monde
Vous voulez vous sentir acteur de votre vie, contrôler sans vouloir tout maîtriser, sentir quand vos qualités peuvent devenir des défauts, faire (...)

Lâcher-prise, moi ? Jamais !
« Lâche-prise ! » « Mais lâche donc prise ! ». Que de fois cela m’est-il rapporté dans mon cabinet ! Et à chaque fois ma réponse reste la même : « (...)

La nature et la logique : histoire d’une expérience
Parfois, "et" paraît violent pour un esprit logique éduqué à l’école d’Aristote. Utiliser "et" à la place de "mais" "fait mal aux oreilles. (...)

Arrêtons de vouloir changer !
Quand Arlette s’est présentée effondrée en demandant mon aide, sa situation lui paraissait désespérée. L’ambiance familiale était devenue telle qu’il (...)

Faire voler en éclats le plafond de verre
Ou, comment déjouer les effets pervers de la régression. Jean m’est adressé par une consœur. Il a un solide parcours en développement personnel à (...)

Lâcher-prise ou vivre avec son stress ?
L’été se termine. Les mouches se font discrètes. Il faudra attendre l’année prochaine pour s’émerveiller devant l’obstination de ces insectes à vouloir (...)

Un emplâtre sur une jambe de bois...
Bien souvent le praticien reste perplexe quant au résultat atteint par ses accompagnements. Son client va mieux ; il s’est libéré des problèmes (...)

Bonne route pour 2015 !
Et si pour cette année nous apprenions à respecter notre nature plutôt qu’à la forcer ? Voici quelques propositions directement issues du mode (...)

Lâcher prise
"Ne renonce jamais, lâche prise, et la voie s’éclaire", telle est la proposition de ce livre. Car nous avons du mal à vivre le moment présent, (...)

10 clés pour bien vivre 2014
2014 n’aura que 365 jours, c’est à dire 365 opportunités de construire son propre enfer ou 365 occasions de construire son bonheur et celui d’autrui. (...)

La prescription du symptôme par Paul-Henri Pion
Derrière la prescription de symptôme comme derrière toutes les approches dites paradoxales se cache l’accueil inconditionnel de l’autre et donc la (...)

2013 année de la Prescription de Symptôme ?
Demander à quelqu’un de faire ce qu’il cherche à ne pas faire peut paraître bizarre. Pourtant, quand ce qu’il ne veut pas faire le dérange, c’est là (...)

L’empathie - Par Paul-Henri Pion
Penser avec empathie, interagir avec empathie est synonyme de tenir compte de l’émotion de l’autre que notre organisme encode. Être empathique (...)

Pour des standards professionnels - Partie 2
Dans la première partie publiée dans ces colonnes le 25 mars dernier, je livrais quelques invariants et en tirais des implications sur la façon de (...)

Pour des standards professionnels - Partie 1
À l’heure où le film "Le Mur" défraye la chronique de nos professions, chacun est passible de s’inquiéter de voir sa pratique dénigrée, tant au niveau (...)

La relation d’aide, une expérience ?
“Le fait de refaire l’expérience de l’ancien conflit laissé en suspens, mais avec un dénouement nouveau, c’est là le secret de tout résultat (...)

Rester sain d’esprit : pensez-y !
Se sentir acteur de sa vie est un ingrédient majeur de la santé mentale. Une vie sain d’esprit et heureux repose essentiellement sur notre capacité (...)

Il ou elle va mourir, comment m’y préparer ?
La maladie, l’âge, les blessures ou les conditions météorologiques vont avoir raison de son organisme et vous allez perdre un proche. Que vous le (...)

Manuel du Lâcher Prise
Dans le Manuel du Lâcher Prise, Paul-Henri Pion traite la question de sortir des ornières relationnelles avec soi, les autres ou le monde. Il y est (...)

Question de confiance
Parfois, on entend dire à propos d’une personne affirmée, c’est un mâle dominant ou une femelle dominante. Je vous en propose une autre lecture, basée (...)

Parents, c’est la rentrée !
« Sois plus ferme avec moi » ou « tu n’es pas assez dure avec moi », sont des cris d’appel au secours que j’entends en général autour de Pâques quand (...)

Devoir de mémoire
Dans une très belle conférence intitulée « la dimension d’aimer », le psychanalyste jungien Elie G. Humbert, s’exprimait ainsi : « ...il y a un type (...)

Journal intime ou journal intime ?
« Chaque jour, dans un grand cahier, à un moment que vous avez choisi, vous écrirez la date et le lieu, puis une fois la date et le lieu inscrits, (...)

50 exercices pour lâcher prise
Articulé en quatre parties, ce manuel regroupe 50 exercices construits rigoureusement dans la logique de l’arrêt des tentatives de solutions (...)

Arnaque au mieux-être
Mieux-être passe par exercer son intelligence avec bon sens et sortir de l’aveuglement pour voir les évidences. « J’ai tout essayé, je ne vois plus (...)

Bonnes résolutions...
Le passage de l’année est propice aux bonnes résolutions. Seulement voilà, avec le temps, ces résolutions prennent l’allure de trop bonnes résolutions (...)

Aventure d’automne
Alice vient de se poser. Jeune femme trépidante de la ville, Alice est au fait des dernières nouveautés tendances. Pas une vente privée ne lui (...)

Les émotions de l’été : Saynètes et décryptage
Voici avec l’été, le relâchement tant attendu pour récupérer de la fatigue de l’année. Mais voilà, qui dit relâchement, dit retour au galop de la nature. (...)

Je t’aime, un peu, beaucoup, énormément …
La vie à deux est une aventure pleine de satisfactions et de désillusions douloureuses. Partager son espace, ses envies ou ses humeurs est un (...)

C’est le jour des morts ...
Selon la tradition chrétienne, les premiers et deux novembre sont devenus des jours privilégiés pour se rappeler aux morts et se rappeler d’eux. (...)

C’est la rentrée !
Les vacances sont passées. Au détour d’une rue, d’une lumière ou d’un visage, l’esprit s’évade et retourne en vacances. Les vacances... c’est souvent le (...)

Harcèlement, stress, ou peur ? Un exemple pour comprendre
Le stress et le harcèlement moral sont deux fléaux que l’organisation moderne du travail favorise. L’article suivant appartient à une série (...)

Harcèlement moral au travail : un exemple pour comprendre
Le stress et le harcèlement moral au travail sont deux fléaux que l’organisation moderne du travail favorise. L’article suivant appartient à une (...)

Stress au travail : un exemple pour comprendre
Le stress et le harcèlement moral au travail sont deux fléaux que l’organisation moderne du travail favorise tant et si bien que le législateur s’en (...)

Vers une approche psychanalytique de la Thérapie Brève
Les approches analytiques semblent parfois considérer avec dédain les apports de la thérapie brève. Certain praticiens en thérapie brève considèrent (...)

Dans ce que je lui dis ... qu’est-ce qui l’intéresse ?
Le client passe la porte du cabinet du thérapeute avec la demande minimale « que « ça » s’arrête » voire « que « ça » aille mieux ». Il confère au (...)

Position du thérapeute et dynamique en Thérapie Brève (1)
Que ce soit par soucis du secret professionnel ou par l’utilisation d’une langue obscure, ce que le thérapeute fait en séance reste difficile (...)

Le fil conducteur du thérapeute en Thérapie Brève
En thérapie brève, le thérapeute considère le client comme une personne normale qui, en cherchant la meilleure adaptation possible à un instant donné (...)

Avertissement
L'information diffusée sur Mieux-Etre.org est destinée à encourager, et non à remplacer, les relations existantes entre le visiteur du site et son médecin ou son thérapeute.
Mieux-Etre.org
© sprl Parcours
Tous droits réservés
Mentions légales