« Chaque jour, dans un grand cahier, à un moment que vous avez choisi, vous écrirez la date et le lieu, puis une fois la date et le lieu inscrits, vous écrirez tout ce qui vous passe par la tête, toutes vos pensées de l’instant, quelles soient récentes ou anciennes, et vous laissez le stylo parcourir le papier, jusqu’à ce qu’il s’arrête de lui-même, sans jamais retenir ni censurer ce qui s’inscrit ainsi. Quand vous avez terminé, vous refermez le cahier jusqu’au lendemain et le lendemain, vous recommencez ainsi. Faites-en un rituel quotidien d’écriture d’ici à la prochaine fois que nous nous reverrons ».
C’est parfois ainsi que j’invite certains de mes clients à ouvrir un journal intime. J’y ai recours en particulier quand la personne est submergée par la douleur ou la tristesse. Il s’agit là d’une forme non spécifique de « l’évocation par écrit de l’expérience la plus traumatisante de votre vie ou de vos soucis du moment » destinée à soulager le stress comme cela a été validé en particulier par les travaux de James Pennebaker [1].
La séance suivante, la personne revient usuellement avec le résultat escompté : elle s’est sentie soulagée d’avoir confié à son cahier les préoccupations qui accaparaient ses ressources mentales. Cependant, il arrive que la poursuite du journal intime s’accompagne d’une dégradation de l’humeur générale. Dans ce cas, tout semble indiquer qu’il n’a été qu’un feu de paille. Le journal intime pourrait-il cacher un effet secondaire imprévu ?
En fait il semble y avoir journal intime et journal intime. Suggéré comme ci-dessus, le journal intime prend une forme relativement libre. La personne est tentée de se l’approprier en suivant sa ligne de moindre douleur : forte de l’expérience soulageante du début, elle se saisit de son cahier quand elle se sent plonger dans une humeur maussade afin d’aller mieux. Abattue par sa tristesse ou sa douleur, elle jette les mots le plus naturellement du monde, c’est à dire en évoquant ce qu’elle ressent. « J’ai l’impression d’être celle sur qui tout repose..., j’en ai assez... je veux que ça cesse... » sont fréquents. La douleur et la tristesse sont telles qu’il lui est guère appétissant de re-rentrer dans le détail des scènes à l’occasion desquelles douleur et tristesse se sont inscrites dans son histoire. L’évocation est générale. Les faits précis sont évités. Quand cette attitude globale et spontanée du client est ignorée ou favorisée, le journal intime devient un piège. À chaque fois que la personne souffre, elle s’y plonge. Elle apprend que, quand elle mal, elle écrit et ça va mieux. Tout se passe comme si elle s’autorisait à aller mal puisqu’elle pourra se soulager. Il s’agit là d’un processus inconscient, au même titre que l’assurance d’un sinistre accroît sa survenance, l’attention baissant jusqu’à ce que l’assureur établisse une franchise qui force l’assuré à redevenir vigilant. En outre, remuer de façon répétitive le fait que « ça va mal » pourrait bien avoir un effet aggravant après une première phase soulageante. C’est ce que confirme l’autre forme de journal intime, celle qui est guidée, de façon à encadrer le débordement potentiel de la tristesse ou de la douleur dans le temps et dans sa forme.
Face à ce phénomène récurrent constatable, comment faire pour retrouver le bénéfice décrit par l’expérimentation de Pennebaker « vous évoquerez par écrit durant quinze à vingt minutes pendant cinq ou six jours, des choses comme l’expérience la plus traumatisante de votre vie ou vos tracas du moment » ? Le premier élément de réponse consiste à préciser que l’écriture est à « un moment que vous avez choisi ». C’est à dire à un moment qui est sous le contrôle de la volonté du client et non sous le contrôle de la tristesse ou de la douleur du client. Cette première précision a pour effet de dissocier l’aspect soulageant de l’écriture des pics de présence de la douleur ou de la tristesse ressenties. Le remède n’est donc plus dépendant du mal et le mal tombe sous le contrôle du remède : l’écriture conduit à évoquer volontairement l’état de douleur ou de tristesse à un moment où l’organisme ne les encode pas forcément à un niveau digne d’attirer l’attention : « je me sens triste... j’écrirai ça tout à l’heure » et au moment de l’écriture, le pic est passé.
Le deuxième élément à mettre en œuvre est d’inviter le client à une description détaillée des scènes qui ont induit cet état. C’est à dire qu’il s’agit de raviver mentalement, pour le besoin de « l’écriture qui soulage », la mémoire de ce qui s’est passé concrètement. Autrement dit, de conduire le système perceptuel du client à ré-encoder l’image sensorielle des scènes auxquelles la douleur et la tristesse se sont associées. Curieusement, quand la personne procède ainsi, elle décrit ne pas avoir été submergée par la tristesse ni la douleur. Parfois, elle répond les avoir ressenties dans les premières séances d’écriture pour constater ensuite qu’elles s’estompent au fil des séances d’écriture. Par ailleurs, elle constate généralement que ce qu’elle a décrit avec détails ne lui revient aucunement à l’esprit entre deux séances d’écriture. Elle s’y est plongée, ne s’y est pas noyée et n’a pas été poursuivie par ce qu’elle a ravivé. Au contraire, les journaux intimes rédigés de la sorte s’accompagnent d’une amélioration certaine du confort de vie de leur auteur.
Il y a donc journal intime et journal intime : prendre le soin de se confier à son journal à un moment choisi indépendamment de son trouble, et veiller à décrire factuellement les scènes qui ont conduit à être touché par ce qui se passait, font du journal intime un puissant remède à son mal être. « L’effet de cette confession (le journal intime) est frappant : amélioration de la fonction immunitaire, espacement significatif des visites chez le médecin dans les six mois suivants, diminution des absences au travail et, même, amélioration de la fonction enzymatique du foie [2]. » . Sans aller jusque dans ces détails qu’il m’est pratiquement impossible de valider en consultations de ville, je constate qu’amenée délicatement et à bon escient, la tâche d’écriture ainsi cadrée est un excellent moyen d’inverser la spirale descendante et de libérer l’étau dans lequel le client était coincé. Simple, efficace et à utiliser sans modération !
Économiste de formation, formé à la lecture et à l’anticipation des évolutions de la conjoncture, Paul-Henri Pion a passé 16 années dans des postes à responsabilité en entreprise. Depuis 2000, il se consacre à la lecture et à l’anticipation des interactions humaines. Il exerce aujourd’hui comme psychothérapeute. Sa pratique s’inscrit dans la lignée des travaux du Mental Research Institute de Palo Alto (Californie) et de son Centre de thérapie brève.
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Paul-Henri Pion est aussi l’auteur de "50 exercices pour lâcher prise". D’un accès facile et ludique, cet ouvrage destiné au grand public recèle l’essence des orientations stratégiques et systémiques. Les thérapeutes en formation y trouveront des « tâches » à partir desquelles ils pourront se familiariser avec le modèle d’intervention. Les consultants y trouveront des clés pour gérer leur communication. Les formateurs auront là des exemples d’application faciles d’accès pour illustrer leur propos. |
[1] Putting stress into words : health, linguisitic and therapeutic implications 1992, cité par Daniel Goleman dans « L’intelligence émotionnelle »
[2] id.
Paul-Henri Pion est psychopraticien à Courbevoie. « C’est en lâchant prise que vient la maîtrise ». Paul-Henri s’intéresse aux conditions de la performance et du bien-être humains. Sa pratique s’inscrit dans la lignée des travaux du Mental Research Institut dont il a suivi les enseignements. Économiste de formation, certifié en PNL et hypnose éricksonnienne, diplômé en psychologie, il met son expérience au service de votre bien-être.
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