Déjà Carl Rogers disait que l’essentiel du processus thérapeutique se situait dans l’authenticité du rapport qu’il établissait et maintenait avec son patient. Il disait avec insistance qu’il lui était nécessaire d’être authentiquement lui-même à chaque instant face à son patient.
Plus récemment, Irvin Yalom a écrit que ce qui constitue la thérapie réside dans la relation, le lien, l’engagement personnel que le thérapeute instaure avec son patient. Pour lui aussi, semble-t-il, son rapport avec son patient doit inclure sa propre personnalité, son authenticité profonde.
Tout récemment, aussi, Susan Johnson a dit, et écrit que c’est la relation entre thérapeute et patient qui constitue la psychothérapie. Et elle décrit avec force la primauté qu’elle accorde au contact, au lien, à l’engagement du thérapeute avec son client.
J’ai bien entendu envie de les suivre, cela me paraît si humain, si vrai, si tentant.
Et pourtant, je maintiens mon sentiment, ainsi que mes observations, dont le résumé sur ce sujet pourrait s’énoncer comme : « La relation que le psychothérapeute établit avec son patient, la qualité de celle-ci, sa densité, son engagement, constituent bien l’un des véhicules importants du processus psychothérapeutique, mais n’en est pas la substance. »
Je pense très sérieusement que le processus psychothérapeutique à proprement parler se déroule entièrement à l’intérieur du psychisme du patient. C’est le patient qui, seul, possède le pouvoir de maintenir ou de modifier son cadre de référence, son système de réalité, ses valeurs, ses fidélités et loyautés, ses goûts et préférences, ses choix culturels, sociaux, politiques, etc.
La psychothérapie ne me semble pas consister à une sorte de psychoplastie, sorte d’implantation d’organes plus sains que ceux, malades, du patient, ou neufs là où ils eussent fait défaut au patient. Ni que la bonne thérapie consiste à réussir à implanter dans le psychisme du patient des éléments supposés plus sains dont le psychothérapeute disposerait.
Il me semble nécessaire, ici, de préciser ce que j’entends par psychothérapie. En effet, selon l’idée que l’on se fait des problèmes ou des pathologies psychologiques, et l’idée que l’on se fait corrélativement des méthodes ou techniques utiles pour réduire ou dépasser ces problèmes ou ces pathologies, les prescriptions changeront du tout au tout. Jadis, on pratiquait l’électrochoc à des patients profondément déprimés. Quels que soient nos sentiments et nos pensées au sujet de ce « traitement », le choix de l’appliquer découle bien des idées que les soignants se sont faites sur la nature ou la cause du problème, ainsi que des remèdes probablement efficaces.
Pour ma part, les problèmes qui amènent des personnes à consulter un psychothérapeute sont de nature extrêmement divers. Dans un cas, les difficultés de relation que Jules a face aux femmes provient tout simplement d’un apprentissage fautif, alors que pour Joseph, il s’agit de la conséquence d’une maltraitance continue lui infligée par sa mère durant toute son enfance, avec violences physiques, conséquence qui prend la forme d’une inhibition très large, et dite « profonde » de ses aptitudes à percevoir la réalité de la femme devant laquelle il se trouve.
Dans tous les cas, je considère la tâche du thérapeute comme celle de l’ouvrier qui répare une panne, ajoute un joint qui manquait, rectifie un raccordement. À ceci près que, contrairement à l’ouvrier, le psychothérapeute ne manœuvre qu’à l’extérieur du patient, et c’est le patient qui répare sa panne, s’ajoute un joint, rectifie ses raccordements. Ambroise Paré disait déjà, il y a bien longtemps : « Je les soigne, mais c’est le Seigneur qui les guérit ».
Le rôle du psychothérapeute comme je le comprends consiste à faciliter le changement que seul le patient a la responsabilité et le pouvoir d’effectuer. Au psychothérapeute d’offrir les moyens de ces changements, qu’il s’agisse de la rectification de ses croyances limitatives, de son système interne d’interdictions, de son échelle de valeurs, de son système d’insertion dans les réseaux familial et sociaux, pour ne nommer que ceux-ci.
Parmi les instruments de travail du psychothérapeute, relevons qu’il existe des méthodes facilitant les révisions, modifications ou abrogations de décisions anciennes (infantiles, pré- ou périnatales, de la petite enfance etc.), des méthodes d’harmonisation et d’affinement de la cohérence interne, des méthodes permettant la mise à jour de la connaissance du réel interne et du réel externe, souvent objets de méconnaissances ou de distorsions chez le patient, dont l’intellect même porte les traces d’une désinformation ancienne incrustée. Nous disposons aussi d’un ensemble de techniques (je dis bien : des techniques) dont la mise en œuvre aboutit à des changements importants, touchant par exemple à l’achèvement de la construction du Moi, à la (re)structuration du Moi, à l’achèvement de la séparation-individuation, à la restauration de l’estime de soi, de sa dignité propre et intangible, à l’auto-proclamation de sa légitimité perdue.
La place du psychothérapeute dans son rapport avec son patient ne se choisit pas bien si elle est choisie au hasard, ou selon son bon sentiment, son intuition. En effet, c’est dans de telles circonstances qu l’on voit apparaître des mises en action d’éléments inconscients, transférentiels ou fantasmatiques, du thérapeute, et que l’on verra de se matérialiser le risque des dérives graves dans la relation thérapeute-patient. On pourra, à ce sujet, lire le très parlant article de Bill Cornell et Michael Landaiche [1] , dans lequel ils rapportent la catastrophe existentielle majeure vécue par une psychothérapeute et sa patiente, du fait de l’enchevêtrement des protocoles inconscients de ces deux personnes.
Cette place devrait, à mon sens, se limiter à celle de facilitateur du changement souhaité par le patient, changement que celui-ci n’arrive pas à accomplir par ses propres moyens.
Toutes les méthodes, techniques ou procédures mettent le patient face à un univers neuf, inconnu, à l’un ou l’autre moment de son parcours psychothérapeutique. Pour apprivoiser ces nouveautés, le patient doit s’aventurer dans une perception du monde à laquelle son Moi n’est pas accoutumé, et peut-être même pas apte. Et ceci, en supposant que ce patient dispose effectivement d’un Moi suffisamment complet et suffisamment structuré, à défaut de quoi il se pourrait bien que les tâches du psychothérapeute soient à placer dans un temps ultérieur à celui d’une constitution, ou reconstitution du système du Moi du patient.
Dans tous ces cas de figure, le patient se trouve subjectivement devant la nécessité de franchir un hiatus, un torrent, ou un gouffre, de l’autre côté duquel se trouve un monde présupposé meilleur… On comprendra aisément que, pour accomplir ces actes d’un courage insigne ("Se changer soi est plus difficile que de changer le monde entier"), le patient se trouvera plus ou moins en besoin d’aide, de soutien, d’accompagnement. De même, pour reconnaître pleinement les souffrances dues au maintien d’un système de réalité dysfonctionnel, il faudra au patient des confrontations aidantes que devra lui fournir son psychothérapeute. |
Devant ces deux formes de soutien que le psychothérapeute aura à offrir, l’important est bel et bien dans la façon dont ce dernier manifestera son engagement dans l’entreprise de métamorphose du patient, entreprise que ce dernier aura préalablement demandée, et qui aura été mentionnée comme constituant l’objectif que ce patient veut atteindre au moyen de sa psychothérapie. Ce qui, au fond, constitue l’objet du contrat thérapeutique proprement dit. Et pour bien moduler son engagement auprès du patient, le thérapeute devra doser au plus aidant son alliance et sa distance thérapeutiques. C’est-à-dire, se positionner plus ou moins proche du patient, et, ou plus ou moins différent de son patient. La part d’intuition, d’émotion propres au thérapeute devra nécessairement rester ajustable, au coup par coup, en vue de l’effet visé. Ce qui équivaut à dire que la « relation » que le thérapeute entretient ave son patient reste en tout temps contrôlée.
Concrètement, qu’entendons-nous par proximité et distance ? Voici un petit résumé de la réponse :
Le pôle de la Proximité dans l’axe Proximité-Distance Se manifeste par certains comportements habituellement classés dans la catégorie de l’empathie. Il s’agit de montrer à la personne de l’intérêt, du souci. Il s’agit de faire preuve d’attention, de prévenance. Les paroles manifesteront la compréhension. Exemples : Regarder la personne. S’approcher de la personne. Montrer de l’écoute attentive en disant : "Oui", ou faire "oui" de la tête "Je comprends bien ce que vous avez ressenti" "Je comprends votre point de vue" "Je vois bien que vous avez été blessé" "Bien sûr" |
Le pôle de la Distance dans l’axe Proximité-Distance S’exprime par des paroles ou des gestes indiquant le désintérêt pour ce que le patient dit, ou pour sa personne. Exemples : Regarder souvent ailleurs. Garder un visage inexpressif, s’abstenir de tout hochement de la tête, de tout geste "enveloppant". Boire une gorgée d’eau. S’occuper les mains (ranger son agenda, frotter ses lunettes, ouvrir la fenêtre, ...) Faire preuve d’une attention distraite "Vous disiez ?" "J’ai manqué une partie de ce que vous venez de dire", ... "Je ne comprends pas ce que vous ressentez, voulez-vous bien l’expliquer ?" "Je n’ai pas saisi votre argument, peut-être qu’il me manque des informations" "Pourquoi vous êtes-vous senti attaqué par des paroles ?" |
Et concrètement, qu’entendons-nous par similitude-différence ? Voici la réponse en résumé :
Le pôle de la similitude dans l’axe Similitude - Différence La similitude se manifeste par des identités nettes de pensée, d’émotion, d’action (comportements), en référence à une situation énoncée Exemple Marguerite raconte avec émotion la rupture que lui a signifié son compagnon de plusieurs années, qui lui a annoncé qu’il a enfin rencontre le vrai, le grand Amour de sa vie, et qu’il n’avait donc plus aucune raison de rester "s’ennuyer" avec elle, suite à quoi elle s’est ré-fugiée chez une amie d’enfance auprès de laquelle elle a pleuré toute la nuit. Réaction de la thérapeute manifestant un degré élevé de similitude : "Quel choc ! Après tant d’années, mais c’est brutal ! C’est très injuste ! Heureusement que vous aviez cette amie, au moins vous avez pu pleurer tout ce qu’il vous fallait. Vous avez très bien fait. J’aurais fait de même : j’en aurais eu, moi aussi, les bras et jambes coupés, après une si longue et si profonde relation... Je crois bien que moi aussi, j’en aurais pleuré toute la nuit." |
Le pôle de la différence dans l’axe Similitude - Différence La différence se marque par un écart de pensée, d’émotion, ou d’action par par comparaison avec ceux de l’interlocuteur à propos d’une situation donnée relatée. Exemple Réaction de la thérapeute manifestant un degré élevé de différence : "Mais vous auriez pu vous dire quelque chose comme bon débarras, son manque d’engagement s’étant enfin étalé au grand jour ! " "Et pourquoi pleurer plutôt que de lui dire ses quatre vérités ? " "De plus, vous voilà enfin libre de trouver un partenaire vraiment digne de vous, chance énorme sur un petit coup de tonnerre, non ?" |
De manière synthétique, voici un tableau récapitulatif plaçant les diverses options d’action permises par les quatre différents choix de positionnement, à savoir, dans la zone A : proximité + similitude, zone B : proximité + différence, zone C : distance + similitude, zone D : distance + différence.
Les options repérées ici sont désignées dans les termes de l’Analyse Transactionnelle, ce qui ne signifie nullement que ces différents choix ne concernent que ceux des psychothérapeutes utilisant cette méthode due d’abord à Eric Berne. En effet, de nombreuses opérations, nommées différemment dans d’autres approches, sont repérables dans ce tableau.
On peut, en somme, dire de ce tableau qu’il représente un plan de ville, ou une carte routière, qui permet de choisir le "trajet" le plus adéquat, compte tenu des circonstances (résistances, transfert érotisant, phase de début de thérapie, etc.) pour arriver au point B en partant du point A où le patient se trouve ici-maintenant. Ou, autrement dit, un plan d’action rationalisant le rapport « personnel » du thérapeute à son patient.
Salomon Nasielski est psychologue, psychothérapeute et thérapeute de couples en pratique privée. Il est aussi formateur de psychothérapeutes. Salomon a été un des pionniers de l’AT en Europe. |
[1] Bill CORNELL et Michael LANDAICHE : The Intricate Intimacies of Psychotherapy and Questions of Self-Disclosure - in : Explorations in Transactional Analysis, the Meech Lake Papers, © William F. Cor-nell 2008, TA Press, CA, USA - ISBN 978-0-89489-007-9 - Traduit : CORNELL W.F. et LANDAICHE M.N., Impasse et intimité dans le couple de travail en thérapie ou en conseil : l’influence du protocole, Actualités en Analyse Transactionnelle (A.A.T.), 120, 2006, pp. 11-43.
CEPSI, s.a. (Centre d’Études Psychologiques des Systèmes Interpersonnels, anciennement l’Atelier Transactionnel).
Salomon Nasielski est psychologue, psychothérapeute en pratique privée, formateur de psychothérapeutes. Salomon a été un des pionniers de l’AT en Europe.
Il a acquis des formations approfondies dans les Quatre Écoles classiques de l’Analyse Transactionnelle, auprès de leurs formateurs, à l’occasion de nombreux stages résidentiels.
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