Comment donc se fait-il qu’il y ait si peu de psychothérapeutes pour traiter les hommes contrôlants, et qui frappent leur compagne ?
La question peut se poser autrement : les hommes pacifiques et respectueux, qui, par ailleurs, sont choqués du fait que certains d’entre eux frappent leur compagne, auraient-ils, d’une certaine façon, un avantage à tirer du comportement de cette minorité qui se poste en dominateurs de la femme ?
On peut se poser la question au vu de deux faits interpellants.
Un grand nombre de psychothérapeutes masculins rapportent, dans l’ensemble, ne pas avoir en traitement d’hommes qui se comportent de façon inacceptable avec leur compagne féminine. J’ai pu en interroger quelques-uns, qui m’avouent ne pas se sentir à l’aise devant ce type d’hommes, et qui s’en disculpent en ajoutant qu’ils n’ont reçu aucune formation quant aux protocoles de traitement utiles pour aider ces hommes à modifier radicalement leur rapport à la femme. Et c’est peut-être bien vrai. Je n’ai pas sondé les programmes des cours de psychologie dans les universités, et j’ignore donc quelles formations celles-ci offrent aux futurs psychologues et psychothérapeutes en regard de la problématique des violences conjugales. Et donc notre interpellation touche aussi les universités dans lesquelles ce problème reste ignoré.
On n’a pas enregistré de manifestations, par des marches dans les villes, ou, à de rares exceptions près [1] par des articles dans la presse quotidienne ou hebdomadaire, en provenance d’hommes s’insurgeant contre ceux d’entre eux qui exercent sur leur femme des violences physiques, des dominations ou des contrôles contraires aux Droits de l’Homme.
Faut-il alors reprendre la question que posait Don Long, déjà en 1987 [2], de savoir quels avantages les hommes dits non-violents retireraient-ils du comportement dominateur, contrôlant, violent de leurs semblables ? En effet, il existe une foule d’observations et d’analyses de sources diverses qui indiquent que, dans l’ensemble, il est admis tant par les femmes que par les hommes, que, par exemple, les hommes coupent la parole aux femmes, et que l’inverse ne se produit quasi jamais, que les femmes, à travail égal, ne gagnent pas les mêmes salaires que les hommes, que dans les couples, les "contrats" légaux du mariage indiquent que le domicile du couple est fixé par l’homme (cela vient de changer dans certains pays), et que, lors d’une conférence publique, à l’heure des questions posées par l’auditoire, on donne beaucoup plus souvent la parole à des auditeurs masculins que féminins (observation relevée par Sheryl Sandberg dans son livre "Lean In").
On pourrait également observer le comportement des automobilistes masculins lorsqu’ils croisent une voiture conduite par une femme, les commentaires des politiciens (mais aussi de la presse écrite et télévisée) au sujet d’une prise de position politique en provenance d’une femme, et aussi, surtout, le statut de la femme au travail si elle s’avise de s’y présenter avec son bébé dans les bras.
Il nous faut bien reconnaître que nous avons établi et que nous maintenons, tous ensemble (les femmes y comprises) une société fondamentalement inégalitaire, dans laquelle il est non seulement accepté, admis, mais incontesté que la femme est seconde, minoritaire, inférieure, subordonnée en regard des hommes.
Me voilà donc bien isolé, avec un prolongement du protocole de Don Long (qui avait écrit son article pour aider les psychothérapeutes à traiter les hommes qui battent leur femme), et qui ait la naïveté de vouloir enseigner à mes confrères et consœurs un protocole complet de traitement de l’homme violent…
Suis-je donc vraiment un traître à la cause de la masculinité du fait que je ne la conçois pas du tout comme dominatrice ? Aurais-je brisé un tabou secret ? Serais-je un destructeur-castrateur des hommes "vrais" ? Est-ce que je menace dangereusement l’équilibre femme-homme ?
J’invite mes confrères et consœurs à réfléchir sur leur participation, volontaire ou inconsciente, au maintien, à la prolongation de l’inégalité femme-homme. Êtes-vous sûr de vouloir, par votre abstention, contribuer au maintien de cette "normalité" de la domination masculine sur les femmes ? Êtes-vous satisfaits de vous abstenir d’offrir un traitement potentiellement curatif aux hommes qui, tellement coincés dans leurs peurs terrifiantes face à la femme qu’ils ne trouvent de ré-équilibration que dans une domination rageuse de petit garçon ? Seriez-vous fières, fiers de les maintenir dans cette souffrance secrète, avec ses conséquences de brutalités et d’irrespect grâce auxquels ils arrivent à se masquer leurs peurs, leurs sentiments d’incompétence, d’impuissance face à la femme trop imprévisible, trop mystérieuse pour eux ?
L’heure est venue, me semble-t-il, le siècle est venu, le millénaire est venu pour nous, messieurs, de nous repositionner à côté des femmes, et de cesser d’avoir peur de leur reconnaître tous les pouvoirs, l’autorité, le statu humain complet, et donc l’égalité complète des droits avec les nôtres. Et donc, aussi, d’accepter que nous sommes relativement ignorants de nos compagnes, que nous ne comprenons pas, et face auxquelles il nous est un peu pénible de constater que nous n’arriverons probablement jamais à bien anticiper leurs paroles, leurs actes… Et, enfin, de cesser de penser que nous sommes toujours et en tout plus compétents qu’elles I
Saluons l’arrivée. – enfin ! – de l’homme qui, à côté de la femme, se reconnaît ignorant, et définitivement un apprenti…
Salomon Nasielski est psychologue, psychothérapeute en pratique privée, formateur de psychothérapeutes. Salomon a été un des pionniers de l’AT en Europe. |
[1] Une équipe travaille la prise en charge à Toulon :
https://www.cairn.info/revue-le-journal-des-psychologues-2008-4-page-66.htm
Ainsi que l’AVAC. https://www.cairn.info/revue-empan-2009-1-page-98.htm
[2] Don LONG : Working With Men Who Batter, in : Handbook of Counseling & Psychotherapy with Men - Murray Scher, Mark Stevens, Glenn Good, Gregg A. Eichenfeld, Eds., Sage Publications, Inc., 1987 - ISBN 0-8039-5355-0.
CEPSI, s.a. (Centre d’Études Psychologiques des Systèmes Interpersonnels, anciennement l’Atelier Transactionnel).
Salomon Nasielski est psychologue, psychothérapeute en pratique privée, formateur de psychothérapeutes. Salomon a été un des pionniers de l’AT en Europe.
Il a acquis des formations approfondies dans les Quatre Écoles classiques de l’Analyse Transactionnelle, auprès de leurs formateurs, à l’occasion de nombreux stages résidentiels.
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