Le 7 février 50 responsables d’institutions ou d’enseignement des principales orientations psychothérapeutiques reconnues ont adressé au Gouvernement un mémorandum qui fait le point sur six questions essentielles.
Sous la législature précédente était votée une loi réglementant les professions des soins de santé mentale. Cette loi, qui avait fait l’objet d’un large consensus, prévoit notamment un cadre légal pour exercer la profession de psychothérapeute.
Alors que le Gouvernement actuel est chargé de mettre cette loi en application, ce vendredi 5 février 2016, Maggie De Block, Ministre des Affaires sociales et de la Santé publique déposait le projet d’une nouvelle loi. (Voir le communiqué de presse).
Ce projet, approuvé en première lecture par le Gouvernement, doit maintenant faire l’objet d’une analyse par le Conseil d’Etat, d’un nouvel examen en Gouvernement et finalement de débats parlementaires.
Dans ce cadre, il nous semble important d’attirer l’attention du public sur le risque de modifications largement préjudiciables aux patients.
Nous sommes plus de 50 responsables d’institutions ou d’enseignement des principales orientations psychothérapeutiques reconnues (psychanalytique et psychodynamique, systémique et familiale, humaniste centrée sur la personne et expérientielle).
Dans la mesure où il n’y a pas eu de concertation jusqu’à présent, il nous paraît nécessaire de marquer notre profonde préoccupation sur le fait que cette loi, contrairement à son intention, risque de provoquer une grave détérioration de la qualité des soins de santé mentale accessibles aux patients.
Dès lors, nous adressons aujourd’hui au Gouvernement un mémorandum qui fait le point sur les six questions essentielles suivantes :
1. La psychothérapie est une offre de soins spécifique
Il existe un consensus scientifique pour considérer la psychothérapie comme une offre de soins spécifique pour les difficultés d’ordre psychique et psychiatrique.
L’avis du Conseil supérieur d’hygiène ? ? L’Organisation mondiale de la Santé plaide explicitement en faveur d’une approche bio-psycho-sociale des problèmes d’ordre psychique et psychiatrique. La psychothérapie, qui constitue un traitement spécifique, est scientifiquement reconnue comme traitement efficace (CSH 2005). Définition de la psychothérapie comme offre de soins spécifique ?La psychothérapie est un traitement des soins de santé dans lequel est manié de façon logique et consistante un ensemble cohérent de moyens psychologiques (interventions) qui sont ancrés dans un cadre de référence psychologique et scientifique. Elle est exercée par une personne ayant bénéficié d’une formation à cet effet, au sein d’une relation psychothérapeute-patient/client, dans le but d’éliminer ou d’alléger des difficultés psychologiques, des conflits et des troubles dont souffre le patient/client. Celui-ci peut être un individu isolé, mais il peut également s’agir d’un système social (couple, famille, groupe). Il (l’individu, le système social) manifeste des problèmes ou des troubles pour lesquels il cherche de l’aide. Ces troubles et problèmes ont trait à des aspects psychologiques, somatiques et sociaux du fonctionnement (de l’individu, du système social) et sont appréhendés sous les trois angles suivants : ?
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La loi de 2014
?La loi de 2014 répond à ces exigences en réglementant les professions de soins de santé mentale et différenciant clairement les psychothérapeutes et leur formation spécifique (Chapitre 3) des psychologues cliniciens et orthopédagogues (Chapitre 2).?L’article 35 mentionne de manière spécifique “Par exercice de la psychothérapie, on entend l’accomplissement habituel d’actes autonomes…”
On notera qu’il n’existe aucun consensus scientifique quant à d’autres modalités de soins telles « thérapies psychologiques », « soins psychologiques spécialisés », dont les appellations sont, de plus, sources de confusion auprès du public et porte ouverte à labelliser des professionnels à la formation insuffisante.
2. La pluralité des orientations psychothérapeutiques est bénéfique au patient
Dans le domaine de la santé mentale, il existe une grande variété de souffrances psychiques. De plus, une même souffrance peut avoir des origines différentes ou des conséquences différentes selon la personne. Il serait donc inadéquat de se limiter à une approche basée uniquement sur le symptôme et ce d’autant plus qu’un symptôme peut en cacher un autre.?C’est la raison pour laquelle il est important de disposer d’un large éventail d’orientations psychothérapeutiques. Ceci permet d’offrir au patient l’orientation la plus adéquate et la plus personnalisée pour lui, mais aussi de lui permettre de passer s’il le souhaite d’une orientation à une autre au fur et à mesure de son évolution ou parfois de celle de sa famille.
L’avis du Conseil supérieur d’hygiène L’avis inventorie les données scientifiques basées sur l’évidence (« evidence based ») en faveur de l’efficacité des psychothérapies. Cette approche est complétée par la prise en considération d’autres critères indispensables pour les bonnes pratiques dans le domaine. Le rapport présente également les quatre principales orientations en psychothérapie habituellement retenues et validées : les psychothérapies à orientation psychanalytique et psychodynamique, à orientation comportementale et cognitive, à orientation systémique et familiale et les psychothérapies expérientielles et centrées sur le client.?Pour chacune de ces orientations, dans la partie leur étant consacrée, on retrouve une définition, l’évolution des idées et des pratiques, les éléments de validation de l’efficacité ainsi que les références bibliographiques principales (CSH, p. 2). D’autres cadres de référence psychothérapeutiques, basés sur des données scientifiquement étayées, peuvent être envisagés (CSH 2005, p. 33). |
La loi de 2014
?L’article 35 § 3 et 4 reprend ces éléments.
3. La formation de base ou les prérequis nécessaires avant une formation de psychothérapeute
Pour être psychothérapeute, il faut d’abord une formation de base, par exemple de psychologue clinicien.?Néanmoins de nombreux psychothérapeutes ont une autre formation initiale : assistant social, assistant en psychologie, infirmier(e), criminologue… Dans ces cas, il est recommandé qu’avant de commencer une formation spécifique à la psychothérapie, ils suivent une “formation passerelle”.
L’avis du Conseil supérieur d’hygiène ?Les professionnels de la santé, candidats à une formation spécifique en psychothérapie, auront suivi avec fruit les enseignements de niveau maîtrise énumérés ci-dessous.?Dans le cas contraire, ils auront à suivre les compléments de formation suivants : – anthropologie, ?– psychologie du développement, ?– psychologie psychodynamique, ?– processus d’apprentissage, ?– neurosciences, ?– pathologie générale, ?– introduction à la psychopharmacologie, ?– psychopathologie et psychiatrie, ?– psychodiagnostic général, ?– psychodiagnostic clinique, ?– consultation psychologique, ?– introduction aux méthodes psychothérapeutiques, ?– déontologie et éthique professionnelle.?Ils effectueront aussi un stage d’au moins 6 mois à temps plein dans le secteur des soins de santé mentale (CSH, p. 33). La psychothérapie – qui constitue un traitement dans le secteur des soins de santé – est une spécialisation d’un certain nombre de professions du secteur en question. La formation dans ces professions doit être complétée d’un certain nombre de disciplines afin d’acquérir une base théorique et une pratique minimale avant d’entamer la formation de psychothérapeute proprement dite. (CSH, p.32).?il est recommandé qu’également en Belgique, la profession de psychothérapeute soit intégrée dans le cadre légal de l’A.R. 78 concernant les professions de soins de santé, plus particulièrement sous forme de spécialisation d’un certain nombre de professions de base auxquelles a été ajoutée une formation spécifique. Afin de garantir une clarté maximale, le praticien devrait mentionner sa profession de base (médecin, psychiatre, psychologue, assistant social, infirmière…) avant son titre de psychothérapeute. (CSH, p.32). |
La loi de 2014
?L’article 38 §1 1° et 2° reprend ces éléments.
4. La formation spécifique des psychothérapeutes
Pour être psychothérapeute, il faut disposer d’une formation de base (voir ci-dessus) mais ensuite, il est indispensable d’être formé de manière spécifique à l’une des principales orientations reconnues (psychanalytique et psychodynamique, comportementale et cognitive, systémique et familiale, centrée sur la personne et expérientielle.)
Cette formation, d’un minimum de 4 ans, est assurée depuis longtemps au sein d’organismes ou d’instituts constitués de psychothérapeutes chevronnés et expérimentés. Elle allie théorie, pratique et développement personnel par le bais de cours, séminaires, stages, supervisions, groupes de travail permettant au futur psychothérapeute d’engager et d’évaluer sa propre implication (dans le travail avec les patients)… ?A quoi s’ajoute une psychothérapie personnelle, vivement recommandée. Autant être plus au clair avec ses propres difficultés avant de s’occuper de celles des autres…
Il serait préjudiciable aux patients, voire dangereux, de vouloir réduire cette formation spécifique. De même, il serait illusoire de penser que seules les universités et hautes écoles seraient à même de dispenser une telle formation spécifique. Ces institutions sont certes compétentes pour prodiguer un enseignement théorique mais pas pour ce qui relève du développement personnel du futur psychothérapeute ni de l’accompagnement dans sa pratique débutante.
L’avis du Conseil supérieur d’hygiène ?La formation de base doit être complétée par une formation spécialisée. Si cette formation de base est une maîtrise ou un doctorat, la spécialisation comportera au moins 3 ans. En ce qui concerne le contenu de la formation, 4 éléments doivent être présents pour un minimum d’heures spécifiées : ? Une formation théorique ? Une formation technique ? Une pratique clinique supervisée ? Une thérapie personnelle ou un processus personnel didactique dont les modalités varient suivant les orientations psychothérapeutiques (CSH 2005, p. 15). Les processus interpersonnels (comme la construction d’une alliance de travail), la personne et l’expertise du thérapeute (sans tenir compte de l’orientation à laquelle celui-ci appartient) s’avèrent avoir davantage d’impact sur la variance des effets que les techniques spécifiques utilisées (Lambert & Ogles, 2004 ; Norcross, 2002 ; Wampold, 2001). Ceci indique l’importance capitale d’une sélection et d’une formation soigneuse des candidats thérapeutes et d’une (auto-)évaluation perpétuelle (CSH 2005, p. 16). C’est ainsi qu’on arrive dans la plupart des cas à une durée d’études moyenne de 7 ou 8 années après les études secondaires (CSH 2005, p. 16). |
La loi de 2014
?L’article 38 §1 3° reprend ces éléments.
5. Assumer la responsabilité de l’indication d’une psychothérapie
Dans le domaine de la santé mentale, il existe une grande variété de souffrances psychiques. Parfois elles se ressemblent sans pour autant relever de la même structure : la dépression d’une personne mélancolique n’est pas celle d’un personne névrosée, la bouffée délirante d’un adolescent n’est pas nécessairement le délire d’un psychotique… ?
On le voit, ceci est extrêmement complexe et nécessite de poser une indication.?Pour poser une indication, le psychothérapeute a besoin au minimum de deux choses : ?D’une part, d’une formation solide qui va lui permettre d’évaluer les difficultés du patient ; ?D’autre part, de plusieurs entretiens préliminaires avec le patient pour mieux situer sa demande.?Grâce à ces éléments, le psychothérapeute va poser une indication et estimer s’il a les compétences et s’il dispose de la méthode adéquate pour suivre la personne qui vient le voir. S’il pense ne pas pouvoir aider cette personne, il va l’orienter vers un autre collègue, une autre approche ou, si nécessaire vers un médecin, un psychiatre… ?
Ce premier temps de travail est extrêmement important et permet notamment d’éviter des erreurs d’aiguillage.?Il serait donc totalement aberrant d’imaginer qu’une psychothérapie doive être prescrite par un professionnel (médecin généraliste par exemple) non formé à explorer les diverses facettes spécifiques aux difficultés psychologiques et relationnelles.
L’avis du Conseil supérieur d’hygiène ?La première étape dans un processus psychothérapeutique est toujours d’effectuer une exploration et une formulation précises du problème en concertation avec le patient. Ceci permet d’obtenir un constat d’indication adéquat et une approche réaliste des problèmes (CSH 2005). La prise de décisions sur le traitement des clients individuels implique toujours un processus complexe d’évaluation qui, bien que ‘science informed’, est également guidé par l’estimation de la situation individuelle de chaque client et les valeurs et souhaits de celui-ci. Ceci implique que les décisions soient également toujours ‘value-based’, c’est-à-dire basées sur la « valeur » qu’accorde chaque client à des préoccupations personnelles éthiquement acceptables : par exemple, moins de symptômes, plus de compréhension de son fonctionnement psychique … (Fulford, 2004), (CSH 2005). Le but de l’exploration du problème est de clarifier le trouble ou la demande d’aide afin d’aboutir à un plan thérapeutique provisoire et à un bon constat d’indication (CSH 2005). |
La loi de 2014 ?
?Les débats parlementaires ont porté sur ce point. On relèvera notamment un amendement (n°5) justifiant le fait que “le traitement de personnes ayant des problèmes de santé mentale doit être réservé aux personnes titulaires d’un diplôme de master en psychologie clinique ou de médecin spécialiste en psychiatrie” (Doc 53 3243/002 p. 3).
?Le législateur ne retiendra pas cette proposition et suivra donc l’avis du CSH, estimant qu’une formation spécifique à la psychothérapie est nécessaire. Lors de la discussion sur l’article 35 “Par exercice de la psychothérapie, on entend l’accomplissement habituel d’actes autonomes…”, il est précisé “que ces actes ne sont pas prescrits par un autre prestataire” (Doc 53 3243/003 p. 27).?On notera également que l’article 47, qui fait référence à la loi du 22 août 2002 relative ?aux droits du patient, garantit ainsi au patient le droit au libre choix du dispensateur de soins.
6. Dépasser les limites de “l’evidence based medecine”
En médecine, certains soins peuvent être paramétrés de manière évidente. Ainsi, par exemple, plusieurs critères vont permettre de définir le temps nécessaire et la meilleure manière de réduire une fracture du bras. C’est ce que l’on appelle l’« evidence based medecine » ou « médecine fondée sur des preuves ».
Nous aimerions tous que les choses soient toujours aussi simples, mais en santé mentale cette démarche ne sera jamais suffisante. En effet, si les progrès des neurosciences parviennent à mieux comprendre le cerveau, à montrer un certain nombre de causalités, elles montrent également de plus en plus la plasticité du cerveau en lien avec son environnement.?Dans des circonstances similaires, un bras cassé se réduira de manière similaire mais face à un traumatisme psychique, les réactions de différentes personnes peuvent être extrêmement différentes, et donc les besoins ou modalités de soins aussi.
C’est pour cette raison, qu’en santé mentale, il est recommandé de ne pas se limiter aux données scientifiquement validées de manière classique (evidence based) mais de prendre en considération d’autres critères, généralement acceptés dans la pratique dans le domaine (practice based) ou encore des critères relevant de valeurs personnelles du patient/client (value based).
L’avis du Conseil supérieur d’hygiène ? ?La question académique et sociale de la validation empirique des traitements psychothérapeutiques est plus que légitime. Cependant, la plupart du temps ‘l‘Essai Clinique Randomisé (ECR)’ est présenté comme étant la seule forme de recherche valide (Chambless & Hollon, 1998). Néanmoins, certains problèmes sont liés à ce type de recherches au sein de la psychothérapie, aussi bien en ce qui concerne leur validité externe qu’interne (Elliott, 1998 ; Luborsky et al., 1999 ; Westen et al., 2004). C’est pourquoi nous plaidons en faveur d’une méthodologie de recherches pluraliste (CSH 2005, p. 16). En général, il y a peu ou pas de différences entre les thérapies sérieuses (CSH p. 15). A côté de l’acquisition des techniques professionnelles spécifiques, les bonnes pratiques en la matière exigent : ?Des qualités personnelles du psychothérapeute, par exemple dans le domaine de l’éthique, du respect d’autrui, de l’intégrité, de la responsabilité… ?L’intégration de la pratique psychothérapeutique dans une approche globale, holistique, bio-psychosociale de la problématique de santé de la personne concernée.?La prise en compte, en complément des données scientifiquement validées (« evidence based ») d’autres critères généralement acceptés dans la pratique dans le domaine (« practice based ») ou encore des critères relevant de valeurs personnelles du patient/client (« value based ») (CSH, p. 2). |
La loi de 2014
?Ces éléments sont repris en filigrane dans la loi et plus particulièrement dans l’exposé des motifs ainsi que les cadres de référence psychothérapeutique dans lesquels doit s’inscrire toute intervention psychothérapeutique accomplie par un psychothérapeute habilité (Art. 35).
Il s’agit d’un mémorandum fruit d’un travail commun, non d’une pétition. A l’exception des enseignants universitaires qui signent en leur nom, les autres s’engagent pour leur institution. [ MàJ 09/02/16 – 09:00 ]
Associations professionnelles ou de formation
Associations de soins
Enseignants
Benoît Dumont est psychothérapeute à Bruxelles - Uccle (également consultations en ligne). Il est titulaire du Certificat Européen de Psychothérapie (CEP) délivré par l’Association Européenne de Psychothérapie (AEP), il est membre de l’Association Belge de Psychothérapie (ABP/BVP) et membre fondateur du collectif Alter-Psy.
Il est aussi le responsable éditorial de Mieux-Etre.org
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