Mécanisme
Plaçons un rat dans une cage séparée en deux parties distinctes. Soumettons ce même animal à une décharge électrique diffusée au niveau du sol. Jusqu’à présent notre ami peut s’y soustraire en changeant de côté. Imaginons un zèbre déambulant joyeux dans la savane africaine qui, distrait, s’aventure à l’écart de ses condisciples. Revoyons quelques instants plus tard ce même original un peu dans la lune se rendant compte qu’une lionne affamée se terre pour l’attraper et soudain se lance à sa poursuite.
Nos deux animaux vivent le stress au sens strict, c’est-à-dire une réaction physiologique archaïque, massive, autonome, du cerveau reptilien qui permet à l’animal en danger de lutter ou de fuir et d’assurer sa survie.
Que se passe-t-il à ce moment physiologiquement ?
Le système neurovégétatif est constitué de deux sous-systèmes : l’ortho et le parasympathique qui sont impliqués dans la réponse immédiate de l’organisme soumis au stress. Ils préparent concrètement le sujet aux réactions de fuite ou d’attaque.
Concrètement, cette situation entraîne la mise en action du système nerveux autonome dit orthosympathique donc l’état d’alerte stimule ce dernier. Son rôle est de préparer l’animal à l’action : dilatation de l’iris, augmentation du rythme cardiaque, vascularisation des muscles,... Le rat change de côté et le zèbre prend ses jambes à son coup. Une fois à l’abri, il y a le système nerveux autonome dit parasympathique qui prend la relève : à l’alerte succède la détente. Le corps se prépare à récupérer : les muscles se relâchent, on élimine les toxines, le rythme cardiaque ralentit,... Si dans le cas contraire notre zèbre est rattrapé, c’est l’ultra solution : Animal mangé stress fini !
Définition
Le stress mis en évidence par Selye en 1936, est donc une réaction adaptative non toxique qui peut se répéter indéfiniment sans aucune conséquence sur l’organisme, si et seulement si, il y a succession rapide et équilibrée des phases d’alerte et de détente. Notre rat peut échapper aux décharges en se rendant dans l‘autre partie de la cage, par exemple.
Par soucis d’intelligibilité (et parce peu de rats lisent des articles), envisageons le stress sous les traits de deux êtres humains :
Madame Y. et Monsieur X. par exemple. Ils nous permettront de personnaliser les effets du stress dans une vie quotidienne. Monsieur X. est employé au sein d’une administration, il est célibataire et sans enfants. Madame Y est responsable de magasin dans le domaine du textile, elle est mariée et a un fils d’un an et demi.
Dans une situation de stress équilibré, Madame Y doit faire face au quotidien à des impératifs de son métier, elle élève au mieux son enfant et entretient une relation de couple satisfaisante. Jour après jour, elle règle les retards de livraison, les absences des membres de l’équipe, les maladies de son enfant, les disputes du couple,… Ces phases de rush font place à des accalmies, de la reconnaissance, des journées de vacances en famille, des restaurants entre époux, des après-midi détente,… Globalement, madame X est satisfaite voire même heureuse de son sort.
Monsieur X. fonctionne convenablement dans un système imparfait où il a réussi à tisser des liens de confiance. Il peuple ses moments de détente par du badminton et du jardinage de terrasse. Il ne répugne pas à faire la fête de temps en temps et à visiter des pays qui « gosse le faisait rêver ». Quand on l’interroge, il se définit comme un célibataire partiellement insatisfait d’une vie tout à fait satisfaisante.
Particularité de l’être humain : l’imagination du stress
Le monde que nous avons créé est le résultat de notre niveau de réflexion, mais les problèmes qu’il engendre ne sauraient être résolus au même niveau de réflexion. (Albert Einstein). |
Bien souvent on associe, également, ce terme à des réactions des cerveaux supérieurs, comme l’angoisse ou l’anticipation (les ruminations ou l’anxiété anticipative).
L’être humain reste un mammifère dont une des caractéristiques est d’agir. Il est également capable d’anticiper l’action qui sera teintée dès lors de sentiments de possibles succès ou échecs. Ces pensées automatiques peuvent être à connotation positive ou négative. Ces anticipations vont déclencher des émotions et des sensations. Cette projection dans une scène future peut nous rendre joyeux, anxieux, tristes, frustrés. Nous pouvons, également, trembler de peur à l’idée d’affronter dans quelques heures un examen. Physiquement nous sommes touchés alors que notre corps est à l’abri de la source d’anxiété.
Ici, le stress peut alors être défini comme un état de dysharmonie transitoire ou permanente qui trouve son origine au niveau de facteurs physiques (blessures, infections,...) ou émotionnels (tristesse, angoisse, frustration...).
L’individu peut, parfois, involontairement, déclencher son propre stress ou le renforcer : en se coupant de ses propres ressources par des pensées limitantes ou en freinant sa créativité par des erreurs de logique.
Ce cocktail peut être pimenté par des attentes hors normes qui mènent dans certaines situations à la déception et la désillusion. L’enthousiasme est alors battu en brèche, l’individu se flagelle à coup de “t’es nul, t’y arriveras pas”, il se compare en se diminuant aux autres “tellement plus performants”, pensant posséder l’étalon de la valeur humaine.
Monsieur Y nourrit de grandes ambitions, il n’y parvient qu’avec effort et difficulté. Il ramène quelques fois ses problèmes d’inertie du travail au sein de sa sphère privée. Il se plaint de ses supérieurs et des lenteurs du système. Parfois, même quand le travail est géographiquement loin, il y pense et dans certaines circonstances « cela l’énerve ».
Le processus du stress au travail
Le stress serait la résultante de trois facteurs qui agissent conjointement, il serait à l’intersection de ces derniers dont la durée ou l’intensité peuvent varier :
Une situation : l’augmentation de la pression ou une sous-stimulation chronique, les changements coutumiers ou la monotonie, la violence physiologique et/ou psychologique, la non prévisibilité des évènements, la complexité de la tâche et le fait que dans une situation sans bonne réponse , les erreurs sont sévèrement sanctionnées.
Un individu : Il n’existe pas de situation intrinsèquement stressante. La perception de cette dernière est variable en fonction des caractéristiques de l’individu. Tout un chacun possède donc ses zones de vulnérabilité qui lui sont propres.
Trois variables individuelles parmi les suivantes peuvent influencer la perception du stress :
Le contexte :
Il joue un rôle important dans le processus du stress et peut se situer à quatre niveaux :
Laissons de côté notre animal dans sa cage à l’abri des décharges et regardons de plus près le vécu professionnel modifié de Madame X.
Plongée dans son quotidien de travail, elle ne peut commettre aucune erreur car, le cas échéant, elle se trouve impitoyablement sanctionnée par son N+1 par un impact réel sur son salaire. Minutieuse et organisée, elle désire maintenir son magasin dans un ordre impeccable. L’augmentation du rythme de travail depuis le changement de direction rend ce desideratum utopique. A la maison, elle se bat au milieu de caisses avec le futur déménagement et écourte ses nuits au rythme des pleurs de son fils affamé.
Cependant, elle maintient encore ses activités, ses vacances, ses moments ponctuels de lecture,…
Toutes les réponses décrites ci-dessus sont des réponses adaptées, courantes et malgré cette situation, on ne voit poindre aucun traumatisme ou processus pathologique.
Nous avions laissé le rat dans sa cage en deux parties. Imaginons maintenant que nous le coincions dans une seule et même cage, d’un seul bloc.
Le sol de cette cage est régulièrement parcouru par des décharges électriques qui laissent notre ami sans aucune possibilité de s’en extraire. Au début actif et agité, il finit par être frappé d’apathie et de non réactivité, subissant inerte son châtiment.
Les boucles de renforcement ont imprimé dans sa mémoire le caractère vain des tentatives et l’ont conforté dans l’inanité de ses réponses. Il rentre peu à peu dans le syndrome d’inhibition.
« Le stress chronique par contre apparaîtra dans des situations répétitives caractérisées, comme l’a montré Laborit par une CONTRAINTE où l’individu ne peut ni fuir, ni attaquer et qui va entraîner un syndrome d’inhibition (PH.CORTEN). »
Jour après jour, année après année, il aura un impact sur la santé physique et mentale ainsi que sur la vie au sens large. Cet agent délétère touche souvent des individus placés dans une situation financière précaire, des familles connaissant de graves problèmes ou des personnes rencontrant des difficultés dans leur travail ou leur carrière. Plongé dans cette réalité, il ne distingue plus une issue positive à cet inextricable imbroglio. Persévérant, il surnage et finit par s’habituer à lutter pour vivre. Au combat succède la reddition.
Comment cela marche-t-il ?
Face à une deadline importante, à un ordre impérieux, l’hypothalamus qui est le centre de nos émotions, stimule le chef d’orchestre des glandes de l’organisme : l’hypophyse. Sous l’action de cette dernière les glandes surrénales libèrent principalement une hormone : l’adrénaline (l’hormone du stress).
Ce processus permet une mobilisation de l’organisme vers un objectif et est souvent adapté à un contexte de vie privée ou professionnelle.
Mais quand le stress s’éternise, un deuxième mécanisme s’enclenche. A ce moment, les surrénales produisent du cortisol, une autre substance destinée à permettre à l’individu de tenir le coup. Son rôle est de garder, entre autres, assez de sucre dans le sang pour nourrir les muscles, le cœur et le cerveau. Si l’individu ne parvient pas à s’extraire de la situation, l’organisme s’épuise. Le flot d’hormones sécrétées demeure dans le sang et entraîne une certaine nuisance pour l’organisme.
L’adrénaline surstimule le cœur pendant que le cortisol présent dans le sang durcit les artères. Le gras libéré pour avoir plus d’énergie, risque de former des dépôts dans les vaisseaux sanguins et de les boucher. Les risques de crise cardiaque ou d’accident vasculaire-cérébral sont également augmentés.
Le cerveau, submergé, ne peut plus faire face à toutes les demandes. On assiste à une réduction de la capacité de concentration, de la mémoire et des capacités de raisonnement : la qualité du travail intellectuel est fortement diminuée.
Le système immunitaire s’affaiblit, des troubles digestifs ainsi que des troubles du sommeil apparaissent. Petit à petit un état dépressif peut s’installer. On perçoit plus de difficultés pour faire des choix et une certaine distractibilité.
Les effets aspécifiques du stress chronique :
Au niveau physique : fatigabilité, diminution de l’immunité, douleurs aspécifiques, migraines, …
Au niveau relationnel : retrait social, méfiance, conflits…
Au niveau émotionnel : distraction, angoisse, anxiété, tristesse, irritabilité colère, distance émotionnelle, sentiment d’être piégé, sentiment d’être martyr, …
Au niveau comportemental : augmentation de la consommation de substances addictives (caféine, alcool, tabac, anxiolytiques,…)
Madame Y. est entrée en conflit larvé avec deux membres du personnel qui lui reprochent son exigence exacerbée. Son mari, avocat, rentre de plus en plus tard et elle gère de plus en plus difficilement une famille qui lui apparaît plus comme une charge que comme un exutoire. Elle ne parvient plus à taire les difficultés qu’elle vit au quotidien et en parle à ses amies et son mari. Les premières la plaignent et le second lui exhorte de réagir promptement en plaçant clairement ses limites. Dans les deux cas elle ne sent que très peu écoutée et comprise. Elle s’endort difficilement et se relève vers 5h00 du matin, les pleurs de son enfant l’irritent. Afin de conserver un peu de sommeil elle prend de temps en temps un anxiolytique et engloutit de plus en plus de café pour pallier à sa fatigue montante et sa concentration descendante. Rarement malade, elle a dû rester alitée suite à quelques maladies alors qu’auparavant elle souffrait d’une santé impeccable.
Personne ne sait combien peut durer une seconde de souffrance. (Graham Greene
Le harcèlement est un processus insidieux caractérisé par des comportements, des remarques, des attitudes qui, pris isolément sont anecdotiques, mais qui humilient la personne dans un goutte-à-goutte emprunt d’une cruauté indicible.
Plusieurs agissements nuisibles ont été répertoriés par Henz Leymann dans son ouvrage pionnier :
Cette usure insidieuse et répétée peut revêtir plusieurs masques. Il peut être individuel et est alors pratiqué dans le but purement gratuit de destruction d’autrui et de valorisation de son propre pouvoir. Le harcèlement stratégique, lui, vise à se débarrasser à moindre frais des salariés considérés comme gênants. Lorsqu’il apparaît attaché à des formes d’organisation du travail tel que fixer des objectifs inatteignables, on parle de harcèlement institutionnel. Il est important de noter que tout un chacun peut être ou devenir harceleur ou harcelé, même si certaines caractéristiques en facilitent l’accès. En effet, dans l’entreprise moderne tout le monde est sous tension. Chacun subit et exerce dès lors des pressions.
Ce vécu usant, répété, angoissant entraîne une série de conséquences pour la personne qui le vit et le subit :
Monsieur Y. exerce depuis quatre ans dans une fonction qui ne lui plaît plus. Il a à de nombreuses reprises émis la demande d’être déplacé. On oublie souvent de lui envoyer les mails pour les réunions. On lui fait souvent remarquer de nombreux manquements dans son travail qui sont le plus souvent la résultante d’un matériel défaillant mis à sa disposition. On l’a placé dans un bureau à l’écart de petite taille et sans fenêtre. Ses collègues ne viennent que très rarement le voir et lorsque c’est le cas il les reçoit avec inquiétude, il se méfie de tout le monde. Il évite de plus en plus de se rendre à la cantine par crainte de croiser certains chefs. Le matin doit se "faire violence" pour quitter son lit, cloué par une chape de plomb d’inquiétude. Le soir, les paroles de la journée le travaillent et le rongent. La nuit, il se réveille en sueur chamboulé dans un champ de bataille de couette et d’oreillers. Il n’a plus très envie de jouer au badminton car l’énergie lui manque, plusieurs de ses amis ont renoncé à l’appeler après plusieurs tentatives infructueuses.
Il est aspiré petit à petit dans un amoindrissement de ses perspectives, dans une vision négative de lui-même et une appréhension hostile du monde qui l’entoure.
Coincés dans une réalité de travail ou de vie complexe, délétère, nous réagissons avec les armes que nous avons l’habitude d’employer et qui généralement ont un pourcentage d’efficience important. A l’instar des sables mouvants, nous nous agitons pour nous en sortir et nous nous enfonçons inexorablement.
Ce processus est graduel et n’est pas toujours visible ni spectaculaire, la maison brûle à l’intérieur mais les murs demeurent intacts.
Différentes étapes jalonnent la construction d’un bon burn-out :
Le Blindage émotionnel : face aux difficultés du quotidien professionnel, on est obligé d’ériger des murs pour se protéger. Si ces remparts nous mettent à l’abri des émotions négatives, ils rendent également le contact avec les positives plus difficiles (joie, plaisir,...)
Implication moindre et déshumanisation des relations : on ne peut répondre aux demandes de tout le monde. Dès lors, on cherche de l’air et on met les autres à distance. On tente de laisser son tablier au vestiaire après une journée de boulot. Les autres ont rapidement l’impression qu’on les instrumentalise, car lorsqu’on ne se sent pas bien, on les récupère pour en parler avant de les oublier jusqu’à la crise prochaine.
Réalisme : on se rend compte que l’on ne pourra atteindre ces objectifs que l’on s’était fixés, on réagit en les revoyant à la baisse pour lutter contre la désillusion. Mais, par la même occasion on en vient à se sous-estimer et à abaisser la barre par peur de passer en-dessous.
Madame Y a de moins en moins d’activités. Elle s’est coupée de ses collègues et est beaucoup moins aidante voire cassante. Quand elle se sent mal et frustrée, elle n’hésite pas à en parler. Ses employés l’évitent car ils se sentent exploités et pas soutenus. Elle s’en irrite et se ferme un peu plus. Sensible, elle a appris petit à petit à se défusionner de ses émotions négatives de frustration, de déception,... A la maison, elle remarque qu’elle a moins de plaisir à manger, moins d’envie de jouer avec son petit bout,... Dans l’intimité elle n’a que très peu de désir et se dispute souvent avec son mari qu’elle juge non-aidant.
Petit à petit, la fatigue s’installe, on fait moins de loisirs, on filtre les amis non-aidants. On interagit avec plus d’irritabilité et on entre en conflit avec l’entourage proche et plus éloigné. Les performances au travail sont amoindries, la concentration chute, le dernier bastion lentement s’effondre. L’anxiété générale augmente et peut tourner en crises d’angoisse ou de panique drainant avec elle son lot d’évitements et d’isolement. Les mamelles de la vie sont coupées, on est épuisé : la mérule a fait son effet. Elle peut aboutir au divorce, au suicide ou à une hospitalisation psychiatrique.
Lorsqu’un ours vous attaque, vos sens en éveil vous dictent de vous battre ou fuir. Votre cœur bat la chamade, vos muscles sont prêts à la course, vos iris se dilatent, tout se met en place en vous comme les rouages d’une machine prête à déguerpir. Votre réaction vous mue en proie potentielle et va justifier la course et l’abattage du gibier. Votre comportement adapté crée votre perte inéluctable.
Cependant, si vous choisissez des gestes lents, une marche à reculons qui maintient le contact avec l’animal terrifiant, vous vous octroyez une chance de survie ,vous luttez contre nature ... votre ultime planche de salut !
David Vandenbosch
Avec la participation de Noémie Ackerman et du Dr. Nicolas Clumeck
David Vandenbosch est psychologue, formateur, conférencier en ACT et en Mindfulness, Membre fondateur et ex-trésorier de l’AFSCC.