Dans le monde de l’économie, de grandes découvertes ont eu lieu et elles pourraient bien révolutionner certaines interventions dans l’univers du changement et de l’accompagnement de personnes.
En effet, des recherches récentes montrent que, dans des circonstances données, les décisions prises par un individu sont irrationnelles ET prédictibles. De plus, les différentes façons de le convaincre ont été identifiées et peuvent être reproduites dans diverses circonstances.
Daniel Kahneman, prix Nobel d’économie en 2002, met en évidence que l’irrationnel est plus souvent la règle que l’exception dans la prise de décision, et ce dans le cadre de ses recherches en économie comportementale.
Certains comme Bill O’Hanlon ont déjà transposé toutes ces découvertes dans le cadre de l’intervention en psychothérapie comme catalyseur du changement.
Les constatations d’irrationalité sont légion, et les expériences menées sur le sujet sont nombreuses également. Pour cet article, j’ai choisi quelques études qui illustrent bien l’esprit de cette approche : un esprit ludique dans un corps de pratique.
En 1973, James Assael, surnommé le roi des perles, rencontra sur son yacht Jean Claude Brouillet, récent acquéreur d’un Atoll en Polynésie Française. Le français expliqua avec passion le nombre incalculable d’huîtres perlières à lèvres noires (Pincatada Margaritifera) qui proliféraient dans les eaux jouxtant son petit coin de paradis. Ces dernières ont la particularité de produire des perles d’un genre particulier : les perles noires. A cette époque le marché de ces perles était inexistant et la demande était quasi nulle. Malgré ces facteurs peu engageants, Brouillet parvint à convaincre l’aventureux Assael de s’embarquer avec lui dans ce nouveau marché.
Leur objectif était de produire ces perles et de les vendre dans le monde entier. Les débuts furent difficiles et la première année Assael rentra en Polynésie avec son stock invendu de perles grises. Elles étaient de taille modeste, et plutôt que vendre au rabais ou baisser les bras ; il prit une tout autre décision. Le roi prit le temps de laisser une année s’écouler le temps de produire des plus beaux spécimens au diamètre plus imposant. Il en présenta quelques-uns à son vieil ami Harry Winston, une figure mythique du commerce des pierres précieuses outre-Atlantique. Après discussion, Harry accepta d’exposer ces perles dans sa boutique à un prix astronomique. Au même moment, Assael acheta des pages entières d’espace publicitaires dans les revues New-Yorkaises les plus chics, en prenant le soin de les associer avec des diamants, des rubis et des émeraudes.
L’effet engendré fut rapide et fulgurant, et du jour au lendemain, les perles étaient devenues un objet de convoitise et elles se pavanaient, maintenant, fièrement au cou des plus grandes divas de la ville. Avec ce pari osé et réussi, Assael avait transformé des concrétions à la valeur non acquise et discutable en objets d’un raffinement exquis.
Quel mécanisme sous-jacent est entré en jeu pour permettre de convaincre le gotha Newyorkais d’acheter ces perles au prix fort ? Comment le roi de perles s’y est-il pris pour susciter une telle passion chez ses acheteurs ?
Pour ce faire, accomplissons un petit détour par Monsieur Lorenz et intéressons-nous à ses oies.
A une autre époque, le zoologiste Konrad Lorenz a mis en exergue que les oisons s’attachent au premier objet en mouvement qui croise leur chemin (en général leur mère). Pour prouver cette hypothèse, il se livra à une singulière et très enrichissante expérience et il se substitua à la maman oie comme premier objet en mouvement perçu par les oisons. Il s’en suivit une image que quelques-uns d’entre nous ont encore en mémoire : Lorenz précédant sa petite troupe d’oisons.
Par ce biais, il prouva deux éléments importants. Le premier est que les oisons prennent leur première décision importante en fonction de ce qui leur est directement disponible dans leur environnement et que de plus, il reste ensuite, fidèles à ces décisions.
Il baptisa ce phénomène : Empreinte.
Qu’en est-il de son cerveau ? Existe-t-il des ponts et des ressemblances entre le comportement de l’oison et de l’homme ? Nos premières impressions et décisions s’y impriment-elles ? Si tel est le cas, comment ce processus se traduit-il dans nos vies ?
Les expériences tendent à prouver que le cerveau de l’homme et celui de l’oie obéissent à la même règle. L’ancre (l’objet associé) agit comme un élément primordial dans nos décisions et nos impressions. Dans l’histoire de la perle noire, Assael a ancré ses petites productions huitrières aux pierres précieuses d’une grande valeur reconnue et d’un prestige sans conteste. Ultérieurement, il suffisait de faire suivre les prix.
Comment l’être rationnel que je suis (en fait pas tant que cela), se laisse—il alpaguer par un tel phénomène ?
Examinons une expérience très intéressante qui a été réalisée par George Loewenstein (professeur à l’Université Carnegie Mellon), Drazen Prelec et Dan Ariely.
Cette expérience avait comme objectif de prouver l’existence de la cohérence arbitraire. Cette notion suppose que si les prix initiaux sont « arbitraires », ils conditionnement, néanmoins une fois imprimés dans notre esprit, non seulement nos prix actuels mais également ceux à venir (introduisant la notion de cohérence).
Au travers de l’expérience, ils désiraient savoir si le simple fait de penser aux deux derniers chiffres de leur numéro de Sécurité sociale suffirait à créer une ancre chez les sujets, et vérifier la persistance de l’effet sur un plus long terme.
Il présenta à l’ensemble des étudiants 6 articles différents
Il distribua la liste de ces objets aux étudiants et leur demanda « Veuillez indiquer en haut à gauche de la page les deux derniers chiffres de votre carte de sécurité sociale. Ensuite, utilisez ce chiffre et reportez-le pour former à côté de chaque article un prix. Pour être plus clair, si vos deux chiffres sont 51, alors écrivez 51 Dollars. Pour termine, indiquez par oui ou par non si vous consentiriez à payer une telle somme pour ces produits »
Pour clôturer les consignes, il demanda aux sujets de noter devant chaque article le prix maximum qu’ils seraient prêts à payer pour chaque produit.
Après avoir analysé les résultats, les spécialistes les transmirent aux étudiants. Ceux qui avaient proposé l’enchère la plus élevée devaient venir retirer leur produit au secrétariat non sans l’avoir préalablement payé.
Il posa tout d’abord à ses étudiants la question suivante « Est-ce que les deux derniers chiffres de votre numéro de sécurité sociale a influencé votre enchère ? » Les étudiants répondirent à l’unanimité « NON »
Ensuite il analysa les différents chiffres afin de vérifier la véracité de cette déclaration de masse.
Les chiffres arbitraires ont-ils influencé le prix maximum donné au final ?
Il s’avéra que oui, l’ancre avait été jetée et le numéro de Sécurité sociale avait bel et bien influencé la décision prise. Les étudiants dont les chiffres étaient les plus élevés, soit entre 80 et 99, avaient proposé des enchères les plus importantes et inversement pour les chiffres les plus bas (1 à 20).
Apparemment, malgré toute l’évolution, l’homme se comporte encore dans certains cas comme un oison.
Alors êtes-vous réellement un être rationnel ? Ou pas…
Vous allez alors parcourir avec intérêt et curiosité les quelques expériences qui seront décrites ci-dessous.
1. The Economist avait publié dans son journal l’offre suivante pour ses futurs potentiels abonnés
Qu’auriez-vous choisi si vous étiez intéressé par prendre un abonnement à The Economist ?
2. Voici la même proposition où nous avons uniquement enlevé un des items
Que choisiriez-vous maintenant ?
Dans les études, les chiffres sont totalement différents entre le premier protocole et le second. En effet dans le premier, 16 choisirent le format Internet seul et 84 le duo. Dans la deuxième, 68 prirent l’E-Abonnement et 32 à peine ont préféré le package à 125 Dollars.
Edifiant, non ?
Comme moi, il vous est sans doute arrivé d’être confronté à la nécessité d’acheter un écran de TV. Le choix n’est pas toujours aisé et la plupart du temps on essaie d’effectuer la meilleure analyse possible, d’extraire le rationnel, de trouver le magasin le moins cher, …
C’est très bien et très sage.
Mais croyez-vous que cela est toujours le cas ? Voyons cela…
Parmi, ces trois écrans lequel achèteriez-vous ?
La majorité des personnes choisissent la solution intermédiaire. Et ce uniquement parce que notre cerveau ne peut pratiquement pour un choix ne comparer que les choses qui sont proches entre elles.
Pensez-y, lors de votre prochaine visite chez votre revendeur de télévision !
Je vais vous livrer une petite dernière pour la route, qui a également attiré mon attention, elle parle de gratuité et du pouvoir de celle-ci.
La gratuité est un mythe à la puissance sans pareille. Quand quelque chose est gratuit, cela fait toujours plaisir. Regardez le nombre de portes-clés ou de stylos que vous transportez et que vous ne pouvez vous empêcher de prendre ou d’accepter dans diverses circonstances. De fait, le zéro n’est pas un prix comme les autres - c’est une source d’excitation irrationnelle. Si on vous donne 30 centimes de réduction pour un objet qui coûte 50 centimes, allez-vous l’acheter ? Si on vous le propose à 02 centimes ? Et maintenant, si on vous le propose à ... 0 centime. Votre réponse ne fait presqu’aucun doute.
Une étude intéressante a été faite par Dan Ariely à l’université de Toronto.
Il a installé avec Kristina Shampanier (une étudiante) et Nina Mazar (professeur à l’université de Toronto) un stand où ils proposeraient deux types de chocolat : Des truffes de Lindt (chocolat de bonne qualité et d’excellente réputation) et des Kiss de Hershey (chocolat bon marché et d’un goût sans particularité produit à 80 millions d’exemplaires par jour).
Aux passants un grand étal annonçait la couleur « un chocolat par personne ». Les personnes dont l’attention et le regard avaient été attirés par cette offre écrite pouvaient en s’approchant découvrir les chocolats proposés et les prix pour ces derniers.
A la production une truffe coûte 30 centimes. Dans le stand, elles étaient proposées à 15 centimes et 1 centime pour le chocolat Kiss.
Dans ce cas de figure la rationalité l’a emporté et en comparant le rapport qualité/prix des deux chocolats, 73 % ont choisi le Lindt et 27 le Kiss.
Dans la seconde étape, ils introduisirent une variable supplémentaire : la gratuité.
La truffe voyait son prix réduit d’1 centime et passait de 15 à 14 centimes, alors que dans un même temps Kiss subissait le même sort en passant de 1 à 0 centime. Le prix de chaque chocolat n’avait diminué pour chaque que d’un centime…
Pensez-vous que cela a exercé une quelconque influence sur les résultats ?
Le Kiss, modeste et délaissé, fut maintenant plébiscité par 69 % des clients alors que la délicieuse truffe passait de 73 % à seulement 31 % de fans déclarés.
N’oublions pas que seul un chocolat était permis, le choix était indispensable et rendait l’alternative impossible. Dans cette transition, les deux chocolats ont subi la même ristourne et la différence relative de prix entre les deux articles n’avait pas été modifiée tout comme la promesse du plaisir de ce délicieux chocolat suisse.
Dans ce contexte, la traditionnelle théorie économique (basée sur l’analyse coût-bénéfice) ne semble pas d’application, l’abaissement des prix conjointement ne devrait pas affecter le comportement d’achat du client rationnel. Dès lors les 27 % acheteurs de Kiss devraient conserver leur score et idem pour les 73 % adorateur de Lindt.
Cependant, les Kiss gratuits partirent comme des petits pains, en dehors de la logique, seulement parce qu’ils étaient gratuits.
Rendant l’être humain irrationnellement prévisible. (Et les personnes de la distribution et du marketing universellement heureux).
Les expériences réfutent donc l’assertion qui avance que l’homme est fondamentalement rationnel. Plus d’une d’entre elles démontre que l’homme n’est pas le « chef d’œuvre » évoqué (non sans ironie) par Shakespeare. Il n’est pas toujours noble dans sa raison et témoigne de capacités non illimitées. Cependant cette conception laisse entrevoir des possibilités de commettre des erreurs et donc de s’améliorer.
La behavorial economy estime que les gens sont soumis aux influences de leur environnement proche, de leurs affects émotifs, d’un certain manque de curiosité ainsi que d’autres formes d’irrationalité (influence du contexte).
Puisque nous commettons tous des fautes et des erreurs, presque systématiquement au niveau de nos décisions, nous pourrions développer des outils nouveaux, des stratégies et des méthodes pour favoriser l’éclosion de décisions plus justes et efficaces.
Envisageons maintenant toutes ces théories, d’autres encore à découvrir, appliquées dans le cadre du décodage des choix et décisions. Imaginons une application saine et respectueuse dans l’aide apportée au changement, dans une stratégie d’accompagnement. Ils pourraient se révéler des catalyseurs et facilitateurs pour la personne en demande d’aide.
Une pléthore de combinaisons et d’adaptations pratiques s’ouvrent et les applications sont très nombreuses, qui nécessitent certaines règles de prudence, bienveillance et de respect.
David Vandenbosch est psychologue, formateur, conférencier en ACT et en Mindfulness, Membre fondateur et ex-trésorier de l’AFSCC.