"J’ai arrêté de voir mon amie Geneviève, quand ma mère a sous-entendu qu’elle tentait de draguer mon mari. Tu n’as pas changé, tu es toujours aussi naïve ma fille, a-t-elle ajouté avec toute la compassion dénigrante possible" constituent les premiers mots de Madame F à la consultation avant qu’elle n’éclate gênée en sanglot.
Souvent fins stratèges et jouissant d’une intégration sociale et professionnelle reconnue, il est difficile de dénicher un manipulateur que celui-ci soit conjoint, parent, patron ou collègue. Ils poursuivent un but principalement narcissique tel qu’améliorer l’image d’eux-mêmes et, dans cette optique, ils excellent dans l’art de défendre leur intérêt au détriment du vôtre.
Lorsque Madame V. laisse la manne à linge remplie, son compagnon lui fait remarquer que, comme d’habitude le “linge” reste sale et que rien n’est accompli en temps et en heure. Lorsqu’elle s’active, le lave et le range il l’apostrophe en disant qu’elle ne peut jamais se détendre et laisser “au lendemain ce qui peut se faire le jour même”.
Monsieur R. vit constamment le changement d’opinion de son “chef direct, manager, N+1”qui est capable d’affirmer sans rougir dans la même phrase tout et son contraire. Il essuie constamment des critiques proclamées en réunion et lorsqu’il réagit on lui met en exergue son manque de patience et son impulsivité.
Madame H, employée dans une multinationale, travaille avec une collègue qui l’encense et la critique en permanence. Elle semble tout le temps avoir de bonnes justifications lorsqu’elle commet des erreurs, sa vie de couple qui périclite,...Elle demande, sans le dire, beaucoup d’aide à Madame H. et se plaint que ce n’est jamais assez.
Madame Ph. était ravie d’être engagée dans un grand cabinet de consultance, un patron aux petits soins ne cesse de souligner à quel point son travail est formidable. Ravie et confiante, elle en fait toujours plus, règle les affaires professionnelles mais aussi privées, prend du temps sur sa soirée, sur ses week-ends. Aux compliments succèdent les critiques, le “pas assez ou le un tout petit peu plus”, les demandes de dernière minute sont de plus en plus fréquentes... petit à petit elle perd pied, confiance et santé.
Lentement, le doute s’immisce, le stress commence à monter et vous ronger. Pas à pas, une personne de votre entourage reste, de plus en plus présente dans votre esprit et vous apostrophez vos proches sur ce sujet de plus en plus fréquemment. Vous avez une sensation dérangeante, plus de l’ordre du subjectif que du rationnel, quelque chose dysfonctionne sans que rien n’aille tout à fait mal. La présomption d’innocence n’est jamais aussi vraie que dans cette situation, vous justifiez tous les comportements, vous trouvez une excuse, une raison.
Vos amis, parents vous écoutent parfois vous comprennent, vous conseillent, vous questionnent ou peuvent se montrer excédés par le caractère récurrent de ce qu’ils qualifient de plainte : “si cela ne va pas TUNAKA/YAKA ne plus se laisser faire, ne plus lui parler, quitter son travail.”
Il se peut si cela titille du connu pour vous que vous soyez en contact avec ce que Isabelle NAZARE AGA appelle un « manipulateur relationnel ». Ce dernier peut revêtir plusieurs masques : sympathique, séducteur, altruiste, déférent envers l’autorité, timide ou dictateur.
Il s’agit de mécanismes de défense pratiqués depuis l’enfance qui peuvent être inconscients ou mis en place dans le but avéré d’assurer sa domination, nuire et arriver à ses fins. Ces points différencient le manipulateur relationnel (pervers narcissique) du manipulateur pervers (psychopathe).
Plusieurs facteurs peuvent maintenir la relation avec le manipulateur :
“L’entrée en manipulation” est un processus progressif qui comporte diverses étapes. Dans ce scénario, on ne pénètre pas par la grande porte mais pas à pas par les coulisses.
Provocation - humiliation - victimisation - séduction - culpabilisation. Ces 5 points sont le mode de fonctionnement du manipulateur avec les autres. De manière générale, le point de départ dépend du masque qu’il porte au commencement des interactions : le séducteur va séduire, le timide culpabiliser, le dictateur menacer,... Ils peuvent passer de l’un à l’autre assez vite en fonction de la réponse de l’interlocuteur. Sans être très clairs, il jette l’hameçon si cela mord il passe au suivant et petit à petit la toile d’araignée se construit et plus la proie s’agite plus elle s’enferme.
Prenons comme exemple une situation commençant par la séduction. Passons à la loupe les différentes marches de l’escalier, analysons les fils et le tissage de la toile autour de la proie.
Tout d’abord il lui importe de vous séduire rapidement. Il est aux petits soins avec vous, il redouble d’attention, il vous encense,... Il fait poindre dans un horizon proche une promotion, un mariage, des projets magnifiques. Son premier masque peut être celui de la perfection, postiche placé pour mieux vous manœuvrer. Il se doit d’agir vite car la peinture est fragile, la couche est mince et toute atteinte à son territoire peut révéler l’arrière du décor. Avant que la fumée ne se dissipe, il redouble de bienveillance feinte afin de s’attacher vos services.
“Très joli ce maquillage, on dirait la déco d’un camion lancé sur les routes du Moyen-Orient”. Les micro-dévalorisations s’installent sous les traits de l’humour, de l’ironie, du sarcasme. Tout se passe dans la sensation, l’arrière-goût d’un malaise initié puis répété au gré des vagues de minimes remarques assassines. L’ensemble porte préjudice graduellement à votre confiance en vous vacillante. Couplé aux ordres et contre-ordres consécutifs, il devient de plus en plus difficile de penser par soi-même : le caractère dérisoire du risque est infiniment trop grand ! Vous voilà embarqué à aimer les croisières, alors qu’auparavant seules les vacances sportives emportaient votre adhésion.
Vous vous retrouvez brinquebalant dans une eau houleuse mais encore trop entouré et soutenu. Il importe également de vous isoler, de créer la suspicion insidieusement.
“Certains de tes collègues m’ont fait remarqué que tu ne n’étais pas toujours de bonne humeur le matin...” constate et relate innocemment le manager de Monsieur R. En éloignant progressivement les relations, il assoit une meilleure emprise souvent sous l’égide de la probité et du bien-être. C’est à ce moment que peuvent naître conflits et rancœurs répétés pouvant aboutir à l’abolition du lien qui vous unit à des proches ou à des connaissances.
Enfin, il dévoile en parallèle l’estocade finale, la botte secrète : la culpabilisation. Cette dernière s’exprime sous les bannières du lien familial, de l’amitié, de l’amour ou de la conscience professionnelle. “C’est vraiment bien que tu aies rangé la maison mais cela va me prendre beaucoup de temps parce que dans la cuisine plus rien n’est à sa place, on voit bien que tu ne prépares pas très souvent à manger, je rigole bien entendu merci chéri...” ponctue madame V. en parlant à son mari.
Ces services vous coûtent en temps et en énergie mais ne contenteront pas ou que très partiellement leur destinataire. Afin de ne pas rester dans le jugement négatif, il se peut que nous soyons tentés de plonger dans le jeu en ignorant que la satisfaction totale n’est qu’un sésame inatteignable. Le piège se referme, il peut vous enfermer dans le tunnel de la dépendance et de la dépression.
Une fois que vous avez identifié et repéré la cause de votre "malaise chronique" votre prochain objectif doit être de ne plus en subir les conséquences néfastes.
Pour cela, il existe plusieurs modes de réactions alternatifs qui permettent de fonctionner avec moins de dégâts collatéraux dans l’entourage direct d’un manipulateur.
Quatre éléments sont essentiels pour se mettre le plus à l’abri possible de l’influence. Ils chapeautent les autres propositions et constituent le pré-requis avant leur mise en action :
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Au final, ne vous sentez plus obligé d’être spontané, il est autorisé de masquer la vérité et ne donnez plus d’information (verbale ou non-verbale) sur ce que vous ressentez.
La manipulation peut mener marche après marche, réaction après réaction à un système invalidant dans lequel les deux parties réagissent en fonction de leur mécanisme de défense développé dès l’enfance. Pour danser le tango il faut deux partenaires et une piste de danse. Le contexte et ses caractéristiques jouent un rôle prédominant et les éléments de personnalité du manipulé également : une grande motivation, un sentiment d’équité exacerbé, une volonté de probité,...
Ce dernier se vide généralement de son jus, pressé par les circonstances et les jeux du manipulateur.
Comme enlisé dans les sables mouvants sans s’en rendre compte immédiatement, il tente de s’extraire et paradoxalement s’enfonce.
La manipulation est de plus en plus soulignée, mise en exergue dans des relations familiales et professionnelles. Elle est incriminée et décriée. Cependant, La manipulation fait partie de notre quotidien, qu’il soit économique ou émotionnel. Gardons donc en mémoire les propos de Watzlawick et Malarewicz qui viennent tempérés les propos précédents :
Paul WATZLAWICK, dans "Changements, paradoxes et psychothérapie" dit :
« D’expérience, nous nous attendons à être accusés de « manipulation » et « d’insincérité » pour notre façon, tant pratique que conceptuelle, d’aborder les problèmes humains. La « sincérité » est devenue depuis peu un slogan qui n’est pas dépourvu d’hypocrisie et qu’on associe confusément à l’idée qu’il existe une vue « juste » du monde, en général sa propre vue. Cette notion de sincérité semble aussi laisser entendre que la « manipulation » est non seulement répréhensible, mais évitable. Malheureusement, personne n’a jamais pu expliquer comment s’y prendre pour l’éviter ». (p. 14-15).
Antoine MALAREWICZ, dans
Guide du voyageur perdu dans le dédale des relations humaines"
Toute communication correspond à une forme de manipulation car aucune information n’existe en tant que telle… Il n’existe pas de situation de communication qui puisse prétendre à la neutralité. On ne peut éviter de chercher à persuader l’autre, d’adopter, en tout ou partie, sa propre vision de tel ou tel fait… Le terme de manipulation, outre qu’il devrait perdre sa connotation péjorative, renvoie ici à la notion de technique… Il importe d’abandonner la vision naïve qui consiste à affirmer que communiquer ne relève pas de ces techniques et qu’il suffit de montrer sa bonne volonté pour s’entendre. Ces techniques sont basées au contraire sur des compétences qui s’acquièrent et se développent. » (page 17)
Il ne vous reste qu’à vous forger votre propre opinion et vivre votre expérience personnelle sachant qu’aucune nuit n’est suffisamment longue pour que ne vienne poindre le jour suivant.
David Vandenbosch
Avec la participation de Noémie Ackerman et Nicolas Clumeck.
David Vandenbosch est psychologue, formateur, conférencier en ACT et en Mindfulness, Membre fondateur et ex-trésorier de l’AFSCC.