« Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. » Tout au long de ma formation en psychologie, de ma pratique et de mes enseignements j’ai suivi l’idée apprise dès mon enfance que chacun avait son lit et devait y dormir seul. Le lit des parents est tabou quelles qu’en soient les raisons, l’enfant ne doit jamais y dormir. La notion de cadre si importante en thérapie et en formation est « gravée dans le marbre » elle ne peut jamais changer au risque que les dragons de l’inceste envahissent l’espace.
Pourtant j’ai souvent été perturbé par le doute et la tentation de transgresser tous ces interdits qui parfois me paraissaient toxiques pour les enfants.
Je me rappelle d’une jeune veuve de 35 ans dont le mari était mort subitement ; elle couchait ses trois enfants chacun dans leur lit respectifs avant de sortir avec des amis une fois par semaine, quand elle rentrait elle les trouvait tous couchés dans son lit comme des chatons pour l’attendre. Elle n’avait pas le courage de les réveiller et se glissait dans l’espace restant pour finir la nuit. Ou encore, alors que je travaillait en maternité je voyais placer les nouveaux nés dans un sas en verre insonorisé construit dans la chambre pour que la jeune maman puisse se reposer de son accouchement.
Dans le bloc de l’Est encore sous un joug totalitaire dans les années 80 j’ai rencontré notamment en Pologne les orphelins en grande carence sensorielle et affective atteins d’hospitalisme. Avec les équipes sur place nous avons cherché des pratiques réparatrices comme le portage, le massage, les bains avec bercements tout cela apportait des améliorations mais pourquoi ne pas trouver de moyens préventifs plus simples. En 1985 j’ai eu la chance de rencontrer Mère Theresa, à l’époque j’étais très impliqué dans le mouvement des soins palliatifs, je lui ai promis de venir en Inde, je n’y suis venu que 15 ans plus tard auprès du Père Pierre Ceyrac qui avait créé une œuvre accueillant plusieurs milliers d’orphelins au Tamil Nandou. Là j’ai vu des enfants lumineux bien que très pauvres.
La culture autorisait à ce qu’ils dorment tous au sol sur des nattes, rangés côte à côte comme les cartouches d’un ruban de mitrailleuse avec un contact physique très proche l’un avec l’autre. Pour avoir été l’adulte gardien d’un tel dortoir je pouvais observer qu’au coucher l’ordre était parfait mais au réveil les enfants avaient tous migrés par petits « paquets » certains s’étaient agglutinés autour de l’adulte « parent » d’autres par affinités entre eux. Parmi ceux qui étaient isolés, j’observais que c’était souvent les plus blessés par leur histoire et ceux qui avaient le plus besoin de soins et de soutien.
C’est ainsi que j’ai commencé à mettre en place des « tuteurs » il s’agit de choisir un plus grand assez tonique pour avoir sous sa coupe deux plus jeunes avec lequel il dort sous la même couverture. Cela a rapidement porté des fruits pour réintégrer les isolés dans les groupes.
Plus tard j’ai fait des missions dans des villages « Intouchables » avec des travailleurs sociaux Indiens, les équipes comprenaient des jeunes hommes et femmes. L’environnement parfois dangereux nous contraignait à protéger les femmes de l’équipe en les gardant avec nous dans le même espace pour la nuit, ce qui est contraire aux usages Indiens. Nous avons élaboré un contrat de fonctionnement dans nos groupes qui excluaient explicitement tous comportements sexuels et l’engagement par chacun des membres à ce qu’il n’y ait jamais de passages à l’acte sexuels entre les membres du groupe. Très vite ceci a très bien fonctionné et a ouvert un grand espace de liberté entre nous. Alors que nous avions à côtoyer des situations de violences et d’humiliations très dures pour ces Intouchables nous pouvions nous soutenir mutuellement au sein de l’équipe avec des moments émotionnels où l’on se prenait dans les bras pour se soutenir et où souvent nous dormions tous au contact des uns des autres pour faire bloc.
Plus tard dans les missions africaines (Côte d’Ivoire, Bénin, Cameroun, RDC Congo) j’ai retrouvé un rapport au corps très différent les bébés sont portés sur le dos le jour durant, l’allaitement est à la demande et public. Dans les milieux très pauvres les familles entières dorment sur le même lit parfois au contact l’un de l’autre par manque d’espace.
Par contre dans les institutions, souvent confessionnelles, instaurées par les « Blancs » pour accueillir les orphelins, les enfants en rupture familiales, les enfants dit « sorciers » se remet en place cette séparation corporelles durant le sommeil. Chacun son lit, les dortoirs avec leurs lits superposés rappelle horriblement les images d’Auschwitz ! Force est de constater qu’il existe une grande violence physique entre les enfants et entre les encadrants et les enfants dans ces institutions ; comme si les coups donnés remplaçaient les caresses et un contact bienveillant.
Malgré les évocations « horribles » de risques d’homosexualité et de touche-pipi entre dormeurs, je préconise maintenant le « co-dodo » entre enfants de la même tranche d’âge jusqu’à 10 ans. Je propose qu’ils dorment à 2 ou 3 par lits dans la mixité et par affinité jusqu’à 7 ans environ. Mais surtout je suis sorti d’un absolutisme rigide et même les frontières d’âge peuvent bouger, car des enfants ont un développement en retard d’autres en avance et que la plupart ne connaissent pas leur date de naissance !
Maintenant par contre nous sommes plus transparent sur la sexualité, nous sommes sorti du tabou et du silence. « La vérité est la meilleure des prévention. » Selon les usages de chaque pays nous enseignons ce qui se fait et ce qui ne se fait pas. Nous insistons sur différencier les notions de « coucher avec » et « dormir avec ». Dans la plupart des institutions où j’interviens nous élaborons avec les enfants et les jeunes accueillis le règlement intérieur et la Loi commune qui régit le vivre ensemble. Bien évidemment cela comprend un interdit de relation sexuelles entre les « usagers » de l’établissement et entre les adultes de l’institution et les « usagers ». « Cela va sans dire mais cela va beaucoup mieux en le disant ! »
Je suis convaincu aujourd’hui que lors du « sommeil partagé » avec un corps bienveillant et sans enjeux sexuels, il se passe un échange énergétique bienfaisant pour chacun des dormeurs. Cela ne se passe pas simplement entre humains mais aussi entre humains et animaux. J’invite mes collègues thérapeutes mais aussi les parents et les éducateurs à repenser le cadre. Loin de moi l’idée de l’abolir, mais de le placer ailleurs plutôt que d’interdire le dormir ensemble d’une manière arbitraire.
Pourquoi ne pas envisager de contenir ce cadre dans le seul interdit du passage à l’acte sexuel. A l’âge adulte il n’est pas interdit de se côtoyer, de se toucher, de se montrer des signes d’affections dans les limites des usages culturels locaux ; alors pourquoi ne pas enseigner cela dès l’enfance ? Dans un autre texte nous pourrons évoquer les liens qu’il y a entre la maltraitance, les abus sexuels, le viol et la gestion inappropriée ou carencée du rapport au corps dans l’enfance.
François PAUL-CAVALLIER
Formateur en psychologie
f.paul.cavallier@online.fr
François Paul-Cavallier est formateur en psychologie et auteur de nombreux ouvrages sur la psychothérapie et le développement personnel.
f.paul.cavallier@online.fr
http://f.paul.cavallier.free.fr/