Le niveau de culture d’une société se mesure à la manière avec laquelle elle applique les sanctions de ceux qui enfreignent ses lois. La justice est le premier maillon de la démocratie pour cela, elle exige une réflexion collective. Le système policier, le pouvoir judiciaire et les instances pénitentiaires ne sont rien d’autres que le prolongement du pouvoir de chaque citoyen. Nous sommes tous solidaires et co-responsables de ce qui se déroule de manière globale dans la société à laquelle nous appartenons.
Partant de ce préambule nous pouvons sans exagération réductrice comparer la gestion de la communauté nationale à celle d’une famille où le cadre mis en place par les parents sert avant tout à garantir un espace de liberté partagé où chacun pourra s’épanouir au mieux sans empiéter sur l’espace vital du voisin.
Comme dans tout système organisé il existe des contraintes et des choix qui portent à la frustration car tout n’est pas possible. Le monde pénitentiaire français a accumulé des retards depuis longtemps, nous n’allons pas ici les examiner, mais force est de constater que l’amélioration des conditions de détention des délinquants n’est pas un argument porteur pour un homme politique de gauche comme de droite en période électorale. Le contribuable a du mal à voir l’argent public dépensé pour améliorer l’hébergement des détenus.
Nous ne jugerons pas les raisons ni les causes qui ont mené entre les murs ceux qui se trouvent ainsi mis à l’écart d’une société dont ils ne respectent pas les règles. Nous savons que c’est le plus souvent un enchaînement de facteurs multiples et cumulatifs où l’échec éducatif a une place centrale [1].
L’emprisonnement comme ultime recours face à un individu qui met la société à laquelle il appartient, et souvent lui-même, en danger n’aura d’effet pédagogique que s’il est accompagné de mesures réparatrices aboutissant à la réintégration du délinquant dans le groupe après une conversion de ses comportements. La mise en place est globale, elle ne peut être fragmentée au risque de perdre toute cohérence. A la racine de la criminalité et de la délinquance se trouvent la souffrance et la violence subies qui sont un fil rouge, parfois sur plusieurs générations [2] , souvent depuis la conception de l’individu car cette souffrance baigne la lignée. Cette affirmation n’est pas formulée pour excuser les actes, encore moins pour fixer un déterminisme, mais pour comprendre que « ce qui marque le début des choses influe sur la suite des choses ».
Pour que cesse l’enchaînement des « violences » et de la souffrance cachée, c’est le contexte dans son ensemble qui devra être traité en ramenant du sens, de la parole, de la vérité et de la compassion. Soigner seul l’individu ne fonctionne pas c’est une relation systémique qu’il faut considérer.
La violence familiale est souvent présente avant le passage à l’acte délictueux ou criminel, elle prend des formes atypiques : maltraitances par omissions, maltraitance directe, laxisme, absence de cadre et de limites, abus de toutes sortes c’est là que peut s’exercer la prévention au travers d’un travail social soutenu collectivement par l’ensemble de la société [3]. Il faudra être solidaire pour ne pas disqualifier la loi commune ni dénigrer l’autorité.
La violence de l’acte criminel qui enfreint le contrat social et introduit l’insécurité au sein de la communauté.
La violence de l’arrestation et de l’incarcération qui n’est pas exclusivement physique, mais qui comporte une dimension psychologique considérable qui se met en résonance avec toutes autres les violences subies depuis les origines.
Une violence et une souffrance plus souvent méconnues sont celles des familles, des partenaires de vie, des ascendants et des enfants. Le détenu reste le plus souvent dans sa « cohérence » interne où il se justifie un temps, alors que la famille est suspendue au-dessus du gouffre. La famille subit la peine avec une violence considérable et souffre souvent plus profondément que le détenu. C’est à ce niveau que l’accompagnement des familles de détenus devient un chemin de réparation pour tenter d’éviter la prolifération d’une violence latérale qui ne manquera pas de refaire surface, ailleurs, plus tard.
En France en coordination avec les instances pénitentiaires des associations assurent l’accueil et l’accompagnement des familles de détenus qui au-delà de la compassion élémentaire eu égard aux souffrances endurées, cet accueil permet à l’entourage du détenu de « dés-amalgamer » le double-lien : « je l’aime et je désapprouve son acte ». L’accueil devient un lieu de parole et rendez-vous associé à la venue aux parloirs. Les bénévoles formés à l’écoute s’interdisent de moraliser ou de jouer les « bien-pensants ».
Ceux du « dehors » par opposition à celui qui est « dedans » ont souvent à faire face à des difficultés considérables. L’incarcération a d’abord une incidence sur les ressources financières en les réduisant. Souvent le conjoint dehors doit faire face a une organisation coûteuse pour venir aux parloirs qui commence par prendre un jour de congé, des frais de transport, parfois la garde des enfants. Le petit matin blême des parloirs d’hiver où le visiteur a voyagé de nuit pour être à l’heure, il arrive dans le froid et la nuit, le petit café ne réchauffe pas que le corps ! Certains visiteurs viennent en avance pour parler ou reviennent après le parloir, le poids psychologique et émotionnel est immense. Il y a la honte en premier lieu comment révéler autour de soi qu’un proche est emprisonné sans craindre le jugement hâtif ? Il y a ceux qui s’enferment dans le déni qui très vite devient un piège inextricable. On ne peut pas éternellement prétendre que Papa est en voyage… La vérité transpire toujours, les secrets sécrètent ; l’incohérence s’installe comme une violence supplémentaire.
L’UFRAMA [4] association qui fédère d’autres associations d’accueillants a publié des petits ouvrages pour aider les familles : Le carnet de bord de la famille, « Un de mes proches vient d’être incarcéré » qui informe sur les droits et possibilités des visiteurs et des détenus en parloirs et « Tim et le mystère de la patte bleue » pour expliquer et révéler l’emprisonnement aux enfants dont un des parents est détenu. La pédagogie et la qualité esthétiques de ces deux livrets méritent qu’on les remarque.
L’accompagnement des familles de détenus est une nécessité incontournable de tout projet de réinsertion, il faut non seulement soutenir les familles face à la pression des exigences du détenu qui demande affection, fidélité, service de linge et argent pour cantiner mais aussi la pression exercée par l’emploi du temps surchargé que provoque l’incarcération en multipliant les tâches. Lors de la sortie du détenu le « terrain » familial devra avoir été suffisamment accompagné et stabilisé pour ne pas retomber dans de nouvelles ornières sources de récidive.
L’accueil des familles de détenus s’inscrit autant dans l’humanité solidaire que dans la prévention de souffrances en surcroît, que la communauté verra un jour réapparaître sur des formes diverses.
François PAUL-CAVALLIER
Formateur en psychologie
http://f.paul.cavallier.online.fr
[1] Éduquer gagnant, pour les parents qui veulent le meilleur pour leurs enfants, F. Paul-Cavallier, éd. Eyrolles.
[2] Je me découvre par la psychogénéalogie, F. Paul-Cavallier, éd. Plon.
[3] En prison, récits de vies, Jeannette Favre, éd. L’Harmattan.
[4] UFRAMA – 8, passage Pont Amilion, 17100 Saintes. Tel. 05 46 92 11 89. http://uframa.listoo.biz/ et qui publie L’Uframag magazine des associations d’accueil de familles et de proches de personnes incarcérées.
François Paul-Cavallier est formateur en psychologie et auteur de nombreux ouvrages sur la psychothérapie et le développement personnel.
f.paul.cavallier@online.fr
http://f.paul.cavallier.free.fr/