Cet article illustre un processus de travail, proposé en fin de cycle de formation à la thérapie familiale et à l’intervention systémique.
Ce processus, basé sur le soutien des singularités et des capacités de transformation, est favorisé par deux ressources : la métaphore et le travail avec le groupe.
Le style peut être défini comme la façon particulière dont chacun exprime sa pensée, ses émotions, ses sentiments. C’est encore l’ensemble des goûts, des manières d’être de quelqu’un : la façon de s’habiller, de se coiffer, de se comporter. On dira aussi d’une personne, d’une maison qu’elle a du style, lui attribuant ainsi une qualité présentant des caractéristiques esthétiques.
En astronomie, le style définit une tige dont l’ombre marque l’heure sur un cadran solaire. En métrologie, c’est la tige dont la pointe trace la courbe représentative d’une variation sur un enregistreur. Dans les beaux-arts et les arts décoratifs, on évoquera le style se référant à une époque précise. Il y a donc une notion de temps et de variation dans le style.
Approcher son style, ce n’est pas définir qui on est en tant qu’intervenant mais plutôt chercher à renforcer ou restaurer sa capacité d’expérimentation et de tâtonnements. Il y aurait un assemblage entre nos caractéristiques personnelles et les variabilités sollicitées par le contexte de nos interventions ainsi que par les rencontres avec les patients. Dès lors, on ne devrait pas parler “d’un style” mais “des styles” ou des singularités qui peuvent se transformer au gré du procesus de co-construction à l’oeuvre dans la rencontre dans un certain contexte, à un moment donné, avec des personnes singulières.
Si les référentiels théoriques peuvent avoir une réelle influence, nous croyons que les personnalités, les caractères, l’histoire de l’étudiant et son rapport à sa famille d’origine, ses états émotionnels et contre-transférentiels du moment, ainsi que ses résonances activées à travers les rencontres impactent davantage son style.
Dans cet article, nous souhaitons illustrer un processus mis en place avec des étudiants qui terminent leur cursus de formation de 4 ans à l’approche systémique à l’IFISAM. Il met en évidence notre propre perspective et notre tentative pour contribuer à ce que chaque étudiant trouve son propre style et sa propre voie.
Notre outil est fortement influencé par les réflexions de ceux et celles qui ont été nos propres formateurs, dont Maurizio Andolfi, Mony Elkaim, Luigi Onnis et Edith Tilmans-Ostyn.
Comme le fait le thérapeute avec ceux qui s’adressent à lui, l’étudiant avec le groupe, va multiplier les descriptions, restaurer la différenciation, la complexité et la multiplicité des possibles. Le travail de construction du style est avant tout un travail de déconstruction et de reconstruction.
Déconstruction des croyances quant à ce que devrait être un intervenant, ce qu’est un bon intervenant, déconstruction des discours qui pointent les handicaps, les difficultés et qui favorisent alors l’inhibition de la créativité du thérapeute.
Selon nous, travailler le style, c’est reconnaître les singularités et soutenir la capacité de transformation en offrant un socle de sécurité, un espace de partage et une aire de jeu.
Nous présenterons notre outil, en illustrerons l’intérêt et les failles à partir de notre expérience avec plusieurs groupes.
Nos conclusions porteront sur ce que ce travail nous a appris, en tant que formateurs.
Nous avons tenté de privilégier l’approche non verbale, les jeux de rôles, les sculptures et surtout l’utilisation du langage métaphorique. Nous avons favorisé l’émergence des résonances de l’étudiant face aux situations fictives ou réelles auxquelles il était confronté. Dans une perspective constructiviste nous avons travaillé les aspects transgénérationnels et l’impact des familles d’origine sur l’étudiant et avons encouragé de façon constante les liens à élaborer entre l’étudiant et sa famille. E. Goldbeter (2008) rappelle que des thérapeutes se référant à la première cybernétique (Bowen, Framo) étaient déjà sensibles à l’impact émotionnel des familles d’origine sur l’étudiant. Nous insisterons sur l’importance de l’expérience, de la connaissance de soi (ou plutôt ce que l’étudiant croit savoir de lui) et sur ce qui lui est renvoyé par le groupe.
La formation va au-delà de l’enseignement, elle a un versant expérientiel et de développement personnel, comme l’écrit P. Jensen (2008). Nous ne voulons pas réduire la formation à un apprentissage de techniques à reproduire en situations thérapeutiques. La formation que nous soutenons est un processus incluant les expériences de vie, ce qui s’acquiert dans des instituts de formations et non pas de façon académique. Alors que la profession de psychothérapeute est menacée de suppression en Belgique et réduite à un acte médical (l’Evidence Based Medecine) ne pouvant qu’être enseigné à l’université, nous croyons utile de rappeler ceci.
L’approche constructiviste nous montre que le thérapeute n’est pas neutre et que l’histoire personnelle interfère dans les récits des patients comme l’écrit M. White (1997 in P. Jensen op.cit, p.24)). Cet auteur utilisera le remembering afin de créer de nouvelles narrations. « Il s’agit de relier quelque chose de notre histoire passée à notre vie d’aujourd’hui, d’en faire à nouveau un ‘’ membre ‘’ de notre histoire actuelle ». En parlant de sa propre histoire (ses résonances, comme le dit Mony Elkaim) le thérapeute se décalera de sa position d’expert et se nourrira des récits et expériences des patients. Nous sommes dans un processus de co-évolution. Ce que nous observons dans la relation thérapeutique est, pensons-nous, transférable au système formation et à la relation formateurs-étudiants.
Chaque étudiant bénéficie d’une demi-journée pour travailler son style avec le groupe de formation, animé par 2 formateurs qui accompagnent le groupe pendant un an. Les formateurs se proposent en fonction des thèmes de formation et ce qu’ils estiment être leurs compétences vis à vis de ceux-ci.
Affinités et habitudes de formation orientent aussi les cooptations laissant ainsi place aux singularités.
Chacun choisit un support pour se présenter sur le plan professionnel, évoquant ses atouts, ses difficultés, les patients, couples et familles avec lesquels il est à l’aise ou non, les contextes institutionnels confortables et plus difficiles. Le choix est libre, mais doit respecter la consigne d’utiliser le langage métaphorique qui peut être verbal ou non verbal.
La métaphore induit un espace de rêverie, convoque l’imaginaire, stimule l’expérimentation et restaure le choix.
En hypnose « les métaphores par leur processus évocateur s’apparentent à une dépotentialisation du conscient qui fonctionne par inclusion en une sorte d’association analogique » (Kerouac,1996, p.25).
Comme le dit L. Onnis (2008, p.92) « le langage analogique ne recouvre pas que le langage non verbal (sculptures p.ex.) mais il peut aussi recourir à la médiation de la parole pour exprimer des allusions, images et associations ».
Le langage analogique invite à mettre en évidence les représentations de soi et celles que le groupe a pu renvoyer au cours de la formation. Il soutient le développement de la curiosité envers soi, ses réactions émotionnelles et sa manière de se mettre en relation avec les autres.
Son caractère ludique stimule la créativité, invite à l’humour, à la détente et suscite la collaboration.
Le choix des étudiants s’est porté sur une sculpture vivante, un dessin, un tableau, une sculpture, une chanson, un extrait de film, un jeu de société détourné ou pas, des photos, des objets…
Ce premier temps de préparation individuelle invite à se réapproprier l’expérience acquise en cours de formation, à faire sien les savoirs théoriques et expérienciels, à se reconnaître dans ses spécificités. Le rapport de soi à soi ainsi initié se complète par l’anticipation de la rencontre à venir avec le groupe, en fonction de l’histoire construite avec le groupe, à ce moment là de la formation : qu’est ce que je choisis ou non de montrer ? Comment ?
Le second temps est le travail mené avec le groupe qui va aider à valider et à surprendre, à multiplier les représentations, à déconstruire et à reconstruire une première image en de nouvelles, qui va soutenir les compétences de celui qui présente.
Ce travail comprend 6 phases :
1) Présentation durant 20 minutes à partir du support métaphorique.
2) Travail des participants en sous-groupes de 3 ou 4 personnes. Durant 20 minutes, celui qui a présenté est invité à s’éloigner. Ils élaborent une image “qui colle et surprenne”, suscitée en eux par la présentation. La consigne “qui colle et surprenne” (élaborée par Edith Tilmans-Ostyn dans ses groupes de formation) est importante car il s’agit de parler le langage de l’autre, de partir de sa représentation et de l’élargir vers d’autres.
Ensuite, ils formulent des hypothèses sur la fonction de la personne dans sa famille d’origine, sur base non seulement des éventuels souvenirs qu’ils ont de la présentation faite en première année de formation et sollicitée au cours des 3 ans mais aussi des intuitions générées sur le vif, par la présentation du style.
Enfin, ils émettent des hypothèses sur les domaines professionnels, les types d’institutions, les styles de familles avec lesquels celui qui a présenté serait à l’aise ou pas.
3) Chaque sous-groupe rapporte les métaphores et hypothèses. Celui qui a présenté écoute et est invité à ne pas intervenir.
4) Réactions de celui qui a présenté.
Cette phase offre l’occasion de se saisir de ce qui touche, des accords et désaccords et d’exprimer ce qui surprend. Faire le tri dans les images proposées, les interroger et les aménager, faire de même avec les fonctions professionnelles, les contextes de travail et avec les hypothèses quant aux fonctions dans les familles d’origine.
5) Jeu de rôles dans lequel celui qui présente fait l’intervenant, dont l’objectif est de potentialiser ses ressources.
6) Sortie de rôles axée sur les singularités développées dans la rencontre et reprise des images renvoyées par les sous-groupes : quel souhait de transformation des images, avec quel gain et quel risque ?
Clôture par l’opportunité offerte au groupe de donner une trace qui soutienne les compétences de l’intervenant : un dessin, un mot, un geste, une tâche…
Nous illustrons ce protocole par une vignette clinique
Vignette clinique : Laurence 1.Présentation : Elle évoque l’importance des objets flottants qu’elle a pu utiliser en supervision au cours de sa formation et elle va bientôt se rendre à Rome chez M. Andolfi. Elle aime son confort de thérapeute mais se demande si parfois, elle n’est pas trop confortable. Elle se trouve très sensible et pleure facilement. Elle doute beaucoup, est tenace et n’aime pas les séparations. Elle présente ensuite ses objets métaphoriques : 3 Rubiks cubes différents qu’elle pose sur le sol. L’un est en plastic coloré, toutes les faces sont bien organisées. Un autre n’est pas aussi parfait, toutes les facettes sont en désordre, désorganisées. Enfin, celui auquel elle s’identifie le plus aujourd’hui est un cube en bois déconstruit en de nombreux petits cubes articulés les uns aux autres. C’est un bel objet. Si elle aime l’ordre (les cubes défaits sont réagencés la veille par son mari), elle tend progressivement à mieux supporter un certain désordre. Nous lui demandons si quand le ton monte cela fait-il désordre et elle répondra qu’elle n’aime pas trop cela ! 2-3. Le travail en 3 sous-groupes :
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L. Onnis rappelle (1999, p.67) l’influence des paradigmes constructivistes sur la psychothérapie systémique. “…ces paradigmes ramènent au premier plan le sujet, la perception et représentation personnelle qu’il se donne de sa propre expérience. Celle-ci n’est pas constituée par les réalités “objectives” mais par les attributions de sens qui s’y réfèrent et les vécus émotionnels qui les accompagnent”. C’est donc bien la narration qui organise la structure de l’expérience humaine.
Parlant de la thérapie, I. Yalom dira “qu’elle ne doit pas être conduite par la théorie mais par la relation avec le patient” (2013, p.14)…et “que c’est dans ce processus (relation interpersonnelle patient-thérapeute) que l’on s’interrogera sur les mots (et le comportement non verbal) quant à la nature de la relation entre les parties engagées dans l’interaction.” (p.15)
Nous l’avons déjà souligné, l’outil principal du thérapeute est sa propre personne. Pourtant aucune formation n’échappe aux risques d’un excès de technicité et à ceux d’un enfermement dans les croyances qui l’animent. Plutôt que d’enseigner des techniques reproductibles, d’inviter à faire comme le(s) formateurs, selon” le style de chaque école”, il nous semble important de chercher à :
Insuffler le doute : que savons-nous ? Que croyons-nous comprendre ? Comment interroger nos certitudes ?
Favoriser les échanges, le partage d’expériences, éviter les positions de savoir et de vouloir pour l’autre, c’est à dire percevoir nos besoins de sauver, de contrôle et de pouvoir. D’où l’importance de l’intérêt pour la personne du thérapeute, ses réactions émotionnelles dans la thérapie et le travail sur l’histoire familiale de l’étudiant (génogramme et constuctions analogiques et métaphoriques), ainsi que l’analyse des dynamiques dans le groupe de formation illustrant les représentations de soi que chaque membre du groupe renvoie aux autres et en est nourri en retour.
Identifier les phénomènes de résonance à l’oeuvre dans la rencontre, en percevoir l’intérêt pour une rencontre empreinte d’humanité. Elkaim écrit qu’une des implications de la résonance est le ressenti du thérapeute. Ressenti lié à lui et son histoire, d’où ce pont unique et singulier construit entre le thérapeute et les membres du système (Elkaim, 2008 p. 120 ). Cette thématique est également développée par Calicis ( 2017, p.143-161).
Développer la flexibilité, la souplesse, la nuance de sa pensée et de ses attitudes. Diversifier et adapter ses langages aux patients, utiliser sa communication corporelle.
Soutenir la différenciation.
Développer la capacité d’engagement : oser. Ne pas rester sur le seuil de la porte au nom de la peur d’intruser, au risque de manquer le rendez-vous avec l’autre et de renforcer le sentiment de solitude ou de rejet. Yalom (2013, p.316) nous dit que “les thérapeutes ont tout à gagner et rien à perdre à se dévoiler judicieusement…ceux qui ne cachent rien incitent leurs patients à dévoiler davantage d’eux-mêmes”. Nous espérons, en suivant cette voie, avoir appris à nos étudiants à ne pas être trop distants, trop impersonnels ou indifférents
Transmettre la nécessité du jeu et de la créativité c’est à dire expérimenter et tâtonner.
La méthodologie que nous avons choisie nous a semblée pertinente pour soutenir ces différents axes. Elle a aussi ses limites.
Une question intéressante a été soulevée au cours de ce travail du style : la reproduction du même setting tout au long des journées de quatrième année n’est-elle pas limitante ?
L’un ou l’autre participant a pu éprouver de l’ennui. Sans mésestimer les risques de la répétition : entrave à la créativité, à la différenciation, risque de désengagement…nous continuons à penser que le “même” garantit l’appartenance à un groupe et donne une sécurité dans laquelle peuvent se déployer les expériences personnelles. C’est parce qu’il y a du “pareil”, qu’il est possible d’expérimenter et d’affirmer du “pas pareil”, comme au sein d’une famille.
Si le canevas propose un rituel précis, une séquence et une temporalité à respecter, chacun a l’occasion d’y mettre sa touche personnelle et de faire l’un ou l’autre pas de côté par rapport aux consignes.
Ainsi, certains expliquent ou introduisent parfois en détail leur métaphore, d’autres accordent beaucoup d’attention à retracer l’historique de leur cheminement, sollicitent très fort les autres participants lors de leur présentation. D’autres encore mettent en scène, montrent le support et en disent très peu.
Les sous-groupes font de même.
Et les formateurs inventent, sur le vif, la suite à donner à l’accompagnement de chacun en fonction de ses propres résonances et de celles perçues dans le groupe. Notre modèle de co-intervention donne aussi l’occasion d’aborder les présentations sous des angles parfois fort différents, dans le respect de l’autre.
Le travail du style ou plutôt l’enrichissement de son style dans la rencontre des autres, repose sur une expérience suffisante mais aussi sur l’établissement d’une sécurité de base suffisante dans le groupe. C’est la raison pour laquelle ce travail trouve son sens à être réalisé en dernière année de formation.
Même si les étudiants se connaissent bien, il est essentiel d’accorder une attention précise à ce qui fait sécurité, socle sur lequel se fonde tout travail thérapeutique et de formation. Cette tâche incombe bien sûr aux formateurs mais elle se construit avec l’ensemble du groupe à partir de 3 supports.
Le premier support de sécurité est constitué par des exercices d’échauffement soutenant les retrouvailles après les vacances d’été. Ce sont des jeux inspirés des jeux pour acteurs qui renforcent l’appartenance au groupe, qui mobilisent le langage verbal, l’expérience corporelle et la solidarité.
Ces exercices sont inspirés de nos stages de théâtre (A. Boal et la pratique du théâtre de l’opprimé,1995), d’improvisation théatrale et spectacles (G. Ramet et le Centre d’Etude Masque Mouvement) et notre formation de psychodramatiste morénien (A.Marteaux, 2012)
Le second support de sécurité s’organise autour de la question posée au groupe, des attentes et des craintes par rapport aux journées sur “le style”. Les échanges concernent aussi la distribution des fonctions au sein du groupe en rapport avec ce qui est énoncé : qui va aider à être le garant de quoi ?
Ces deux supports sont proposés lors de la matinée de la première journée de quatrième année.
Ensuite, une première personne présente son style selon le processus décrit précédemment.
Le troisième support est l’attention accordée tout au long du processus à créer des espaces d’alternatives où l’ “handicap” du thérapeute côtoie la ressource.
Ils reposent sur une ambiance favorable à l’échange et à la créativité.
La sécurité dans le groupe est également garantie par l’utilisation même des métaphores qui représentent “soi” et une modification de “soi” : “est-ce moi ou la métaphore qui parlons…” ? Les limites sont posées par les formateurs dans un cadrage empathique et bienveillant du groupe. Quand le groupe parle d’un membre, le stagiaire écoute, se laisse interpeller et in fine transmet ses impressions et émotions. Le rôle des formateurs est de rappeler le cadre, interpeller les images, inviter à prolonger celles-ci dans un espace de sécurité.
Le support artistique ou métaphorique occupe une place importante dans notre modèle et intervient tout au long du travail de chacun : celui qui présente, le groupe, les formateurs.
Ce support relie l’ensemble des partenaires même si le modèle pourrait donner l’impression d’un passage individuel où chacun s’expose à tour de rôle avec la crainte” d’être sur la sellette”. En effet, le jugement n’a pas sa place ici et les formateurs doivent y veiller mais personne n’échappe à cette peur humaine et légitime du regard posé par les autres.
Cet outil de formation ( et non ce modèle) n’a pas la prétention de supprimer cette peur mais de la contenir afin de créer les conditions pour transformer ce qui peut tétaniser, en audace et création.
Un des intérêts de la métaphore est de rappeler que l’on parle de représentations et non de qui est ou de ce qu’est la personne. La diversité des images élargit la palette “du style”. Il n’est pas de style unique, de bon ou de mauvais style, de même qu’une personne n’est pas le problème mais présente un problème aux fonctions multiples, à la fois individuelles et relationnelles.
D’autre part, le dévoilement est partagé car chacun bénéficiera du même temps pour s’engager dans ce travail du style. De plus, quand on évoque une image suscitée par la présentation d’un autre, on parle aussi beaucoup de soi.
Les résonances sont stimulées à cet instant de la rencontre grâce au langage analogique et au partage en sous-groupe. Par analogie avec la conduite d’une thérapie, nous citerons Calicis ( 2017, p.144) qui décrit le thérapeute “comme observateur participant, construisant activement sa perception des patients.” Ceci pose la question de la distance entre le thérapeute et ses patients.
Que s’autorise t-il à dévoiler de lui ?
Comme l’exprime I.Yalom, dans le jardin d’Epicure (p.144-145) :« La leçon est l’essentiel. Que vous soyez un membre de la famille, un ami ou un thérapeute, n’hésitez pas. Etablissez le contact comme vous l’entendez. Parlez avec votre coeur. Dévoilez vos propres craintes. Improvisez…Dans les relations étroites, plus on révèle ses idées et ses sentiments profonds, plus il devient facile pour les autres de se révéler…En général, les relations se construisent par un processus de révélations de soi réciproques… »
De nombreux étudiants ont exprimé combien ce travail en sous-groupes, à partir de métaphores, avait révélé à eux aussi quelque chose de “leur style”.
Invitation à voir comment on se questionne, on éprouve ou non certains ressentis, on élargit ou restreint sa perception, on expérimente, on transmet, on écoute et on collabore.
C’est sans doute cela l’art du thérapeute : pas seulement chercher à atteindre ces compétences mais se mettre en position méta pour percevoir ce qui entrave, identifier ses tâches aveugles et pouvoir inventer des moyens de les utiliser dans la rencontre avec les patients.
Selon de nombreux étudiants, c’est aussi un processus qui restaure la nuance, renforce la légitimité et l’assurance en soi, soulève la question : “C’est quoi être bon ?”.
Le rituel des traces offertes par le groupe participe tout particulièrement au renforcement des compétences. Les traces empreintes de créativité et souvent d’humour témoignent du partage avec les autres, ont une fonction de tiers et de légitimisation. Ces traces participent au rituel de séparation de la formation, fonction de notre outil ainsi perçu par de nombreux participants.
Elles sont offertes par les formateurs et surtout par le groupe des pairs. Ceci est très important, selon nous, dans la formation à l’approche systémique : la place des formateurs n’y est pas négligeable mais l’expérience des pairs y est fondamentale.
Un processus, quel qu’il soit, doit être transformable pour rester vivant. Nous sommes partis d’un canevas qui s’est transformé au gré des rencontres.
Ainsi, il nous a semblé pertinent de repréciser l’intérêt de proposer un jeu de rôles. Pas question d’une illustration d’un style défini précédemment, d’une application de choses apprises, encore moins d’une mise à l’épreuve.
La simulation offre une opportunité à essayer, à expérimenter, à se laisser surprendre, à allier singularités acquises dans sa famille d’origine, dans son parcours institutionnel et découvertes de ce qui émerge dans la rencontre dans laquelle chacun (patient et thérapeute) se surprend et apprend dans l’instant.
Nous avons aussi laissé une place de plus en plus grande au travail de sculpture des résonances lors du débriefing du jeu de rôles.
Nous avons par exemple proposé à l’étudiant de sculpter l’espace de rencontre thérapeutique, ensuite de sentir ce que cette sculpture évoquait sur un plan personnel : souvenirs, positions dans sa famille d’origine…en la sculptant également. Nous utilisons fréquemment les sculptures en formation. Celles-ci permettent d’explorer des niveaux émotionnels profonds et contournent la difficulté à verbaliser certains vécus affectifs.
Nous avons aussi créé des mises en scène invitant l’étudiant à expérimenter l’une ou l’autre position différente, à sortir de sa zone “de confort”et à essayer.
A chaque fois, l’ensemble du groupe était sollicité à proposer des hypothèses,à évoquer les ressentis, à suggérer une autre expérience, à partager une ressource .
La ressouce ne tient pas à trouver une solution au problème mais à être co-responsable dans le processus de recherche.
Il est bien question d’un processus co-évolutif dans lequel chacun “grandit avec l’autre”.
En consultation comme en formation, il est nécessaire de se rappeler que le problème réside dans les croyances, les idées, les discours, les comportements et les incidents et pas dans la personne. |
Ceci est bien illustré par un participant énonçant une des ses croyances sur son style : ”Je ne sais pas travailler avec les enfants”, “Le travail avec les familles me fait peur : quelle place donner aux enfants jeunes ?”.
Grâce au travail avec le groupe, celle-ci se transforme par cette proposition : “Qu’il a appris à laisser les enfants tranquilles”.
Une suggestion construite à partir du partage des métaphores et de l’émergence des résonances de chacun.
Son objet métaphorique était d’une part une image où un homme se regarde dans un miroir dans lequel se reflète un petit garçon, d’autre part un miroir cassé dont il manque une partie. L’image illustre la question : et si on m’avait surestimé ? Le sentiment d’imposture est nommé, il fait écho chez de nombreux participants. Il y a aussi le poids des attentes des parents, des adultes…des institutions.
Le miroir met en scène les 2 lieux de sa pratique : l’un en institution où il se sent à l’aise ( légitime ?), l’autre en privé où il est effrayé.
Les métaphores du groupe : la boîte surprise d’où surgit le chaperon rouge, un petit personnage dans une pièce dont toutes les portes sont vitrées, ce qui empêche de voir la sortie et enfin, le bleu du roquefort… car la pourriture est la meilleure !
Cette dernière image le touchera tout particulièrement car le goût est fort et ce fromage est très différent des autres.
Les autres images évoquent aussi l’enfant parfois surexposé et la peur qu’il cherche à contenir avec le jeu de la boîte surprise.
“La peur des enfants” apparaît progressivement comme “la peur pour les enfants”, le besoin de les protéger, au risque paradoxalement de ne pas leur prêter assez attention ( ce qui est mis en scène dans le jeu de rôles).
Les styles de l’ensemble du groupe se confrontent, s’entrechoquent, s’enrichissent. Il y a échange de sensibilité à sensibilité dans le groupe formation constitué par les étudiants et les formateurs.
C’est ce pontage singulier entre l’étudiant qui présente son style, les pairs et les formateurs qui favorise l’émergence des singularités et des capacités de transformation.
Un des participants a choisi le texte de Raymond Devos, “A tort et à raison” pour présenter son style.
Un autre a réalisé un dessin lors de la dernière journée en guise d’évaluation sur le travail du style.
Ces deux métaphores empreintes d’humour nous semblent être un excellent mot de la fin :
On ne sait jamais qui a raison ou qui a tort.
C’est difficile de juger. Moi, j’ai longtemps donné
raison à tout le monde.
Jusqu’au jour où je me suis aperçu
que la plupart des gens à qui je donnais
raison avaient tort !
Donc, j’avais raison !
Par conséquent, j’avais tort !
Tort de donner raison à des gens qui avaient
le tort de croire qu’ils avaient raison.
C’est-à-dire que moi qui n’avais pas tort,
je n’avais aucune raison de ne pas donner tort
à des gens qui prétendaient avoir raison,
alors qu’ils avaient tort !
J’ai raison, non ? Puisqu’ils avaient tort !
Et sans raison, encore ! Là, j’insiste, parce que ...
moi aussi, il arrive que j’aie tort.
Mais quand j’ai tort, j’ai mes raisons, que je ne donne pas.
Ce serait reconnaître mes torts !!!
J’ai raison, non ? Remarquez ... il m’arrive aussi
de donner raison à des gens qui ont raison.
Mais, là encore, c’est un tort.
C’est comme si je donnais tort à des gens qui ont tort.
Il n’y a pas de raison !
En résumé, je crois qu’on a toujours tort d’essayer
d’avoir raison devant des gens qui ont toutes
les bonnes raisons de croire qu’ils n’ont pas tort !
(Raymond Devos)
Cathy Caulier est Psychothérapeute systémique au service de santé mentale St Gilles ( Bruxelles) et Louvain la Neuve. Formatrice à l’Institut de Formation à l’Intervention en Santé Mentale ( IFISAM) et à la formation continue de l’Université Libre de Bruxelles. Alain Marteaux est Psychothérapeute systémique. Formateur à l’Institut d’Etudes de la Famille et des Systèmes Humains de Bruxelles et à l’IFISAM. |
Alain Marteaux est Psychothérapeute systémique à Bruxelles (Ixelles et Etterbeek). Alain est aussi Formateur à l’Institut d’Etudes de la Famille (Bruxelles), à l’Ifisam (Bruxelles), à Tabiyeen (Liban). Il a également suivi une Masterclass en Récits de Vie (thérapies narratives) chez l’asbl les Réveilleurs d’Histoires et une formation diplômée en « Accompagnement des personnes traumatisées : fondements théorique et pratiques » (en ligne au Training Institute for Psychology and Health averc Moîra Mikolajczak et Isabelle Roskam).
Il est Membre de l’European Family Therapy Association, de l’Abipfts (Association belge des intervenants en psychothérapie systémique), et du Groupement belge des formateurs en thérapies systémiques.
Il est aussi Titulaire du certificat Européen de Psychothérapie (CEP) délivré par l’Association Européenne de Psychothérapie (AEP).
40, av. du 11 novembre à Etterbeek (1040)
3, square du Solbosch à Ixelles (1050)
marteaux.alain@gmail.com
0476/62.28.60