L’objet de cet article est d’interroger l’hypnose, comme mode de communication, et ses éventuelles connections avec la thérapie familiale. Non pas de (se) poser la question de la compatibilité ou de l’incompatibilité des deux disciplines mais de montrer que la communication ericksonienne est une et qu’elle peut s’utiliser en thérapie individuelle, conjugale ou familiale.
Nous poserons également la question de l’accordage relationnel entre thérapeute et patient(s) et la nécessaire empathie, créativité, co-création d’images et de langage commun circulant entre eux par l’utilisation de métaphores thérapeutiques.
La réalité ne sert qu’à accrocher nos rêves ( Bachelard, 1947)
Qu’y a t-il de commun entre la thérapie familiale et l’hypnose ?
La thérapie familiale postule que le thérapeute interagit avec une famille ou un couple et agira sur la communication cherchant à en modifier les règles, il identifiera les rôles, les mythes familiaux dysfonctionnels etc.
L’hypnose relèverait à priori plus d’un état modifié de conscience et, après un état d’induction, procéderait par suggestions afin d’éliminer ou soulager la souffrance d’un patient.
Nous pensons que la communication éricksonienne ou hypnotique est une interaction affectant le(s) patient(s) ET le thérapeute. Nous nous intéresserons donc au processus de communication. Comme le dit Salem (2012, p.218) « l’affinité entre thérapie familiale et hypnose tient à « l’art conversationnel ». Communication verbale et non verbale interviennent en thérapies individuelles (sous « hypnose », terme très connoté que nous remplacerons souvent par « état modifié de conscience ») et familiales.
Après un rapide survol historique du développement de la thérapie familiale dans les années 50-60 à Palo-Alto, nous développerons une vignette clinique relatant une séance de thérapie familiale dans laquelle nous avons pratiqué une induction hypnotique en groupe (famille). Nous développerons également le concept d’hypnose conversationnelle ou d’hypnose sans hypnose. Ces deux disciplines, il va sans dire ne peuvent être développées que par des praticiens correctement formés. En effet sur le marché apparaissent des formations accélérées en hypnose plus fantaisistes que rigoureuses…
Sans entrer dans l’histoire du développement de cette discipline (de Puysegur, Messmer, Charcot, Freud, Erickson…) que le lecteur trouvera dans nombres livres traitant du sujet, nous ferons nôtre la définition de Milton Erickson qui l’a décrivait comme « une attention intense mais focalisée » ( cité in Balken, 2004, p. 270). Erickson décrivait cet état modifié de conscience comme une façon nouvelle de communiquer avec l’inconscient ou encore comme il l’écrit ailleurs : « l’hypnose est essentiellement une communication d’idées et de compréhensions, de telle façon que le patient soit le plus réceptif possible et par conséquent soit motivé à exploré ses propres potentialités corporelles afin de maitriser ses réponses psychologiques et physiologiques ainsi que son comportement » (in Balken 2004, p.270.). Il donne également une autre définition définition qui met en exergue la co-hypnotisation et la créativité du thérapeute : « l’hypnose est une relation vitale d’une personne stimulée par la chaleur d’une autre « personne ».
Lorsque nous parlons d’inconscient, il ne s’agit pas tellement du concept admis par la psychanalyse freudienne mais de l’inconscient comme réservoir de ressources, règles, émotions, expériences passées qui s’impriment en nous. L’hypnose repose sur la dissociation conscient/inconscient. Le patient se trouve en situation « d’ ici et maintenant » (lieu, temps, dans le cabinet du thérapeute) et dans le même temps il va se laisser aller à un état de relaxation, de rêverie et accepter (s’il n’y a pas de résistances) les suggestions du thérapeute activant les ressources inconscientes.
L’état hypnotique, n’a rien d’extraordinaire, n’est pas un état de sommeil mais laisse le patient concentré sur telle(s) ou telle(s) pensée(s), expériences, actes etc. Le thérapeute, contrairement à une idée erronée et persistante, n’est pas ce « sorcier » muni de pouvoirs étranges « mais un praticien se mettant en position basse et cherchant au moyen de techniques hypnotique à occuper, saturer la conscience du sujet pour mieux permettre la communication avec son inconscient » (Erickson, in Malarewicz et Godin 1986, p. 32)
Il s’agit donc ici de suggestions directives ou permissives (éricksoniennes) , reposant sur des métaphores, contes, allégories créés, inventés par le thérapeute et se rapportant aux troubles ou aux solutions présentés par le patient. Nous y reviendrons.
Les suggestions reposent sur le langage analogique, imagé, utilisé créativement par l’hypnothérapeute mais en concordance avec les calibrations (observations) du langage verbal et non verbal du patient et des véhicules sensoriels (le vakog en PNL) utilisés par celui-ci. Cet état de conscience modifié est un état de dépotentialisation de la conscience. Le patient est accaparé par les suggestions qu’il associera avec les images métaphoriques. Cet état est après tout banal nous le connaissons tous lorsque nous sommes plongés dans un livre ou dans un film par exemple ou quand nous pensons à quelque chose qui est en dehors de la communication directe avec l’interlocuteur. Cet état va amplifier la relation patient-thérapeute car la suggestion ou l’image ou la métaphore n’agiront pas comme s’il s’agissait d’un conseil, d’une interprétation ou d’une remarque faite par le thérapeute. Cette pratique hypnotique est par conséquent un mode de communication patient-thérapeute dans lequel tous deux sont actifs. Ce co-travail repose évidemment sur la confiance, l’affiliation et l’accord sur les valeurs éthiques des « partenaires ». Le langage éricksonien est essentiellement non directif et permissif : « vous pourriez…peut-être pouvez-vous…quand vous le voudrez… etc.
Nous ne décrirons pas plus en détail les techniques hypnotiques comme le changement de voix, la catalepsie, le truisme, la confusion, la fixation de l’attention etc. tous phénomènes que le thérapeute induira, observera lors des états de transe. Nous dirons simplement et de façon très résumée qu’il y a trois temps dans une thérapie sous hypnose : l’induction de l’état de transe, la (les) suggestion(s), la sortie de transe. Pour approcher ces notions, nous renverrons le lecteur à la bibliographie clôturant cet article. Citerons néanmoins les auteurs qui nous ont guidés dans notre pratique outre Erickson lui-même, Jay Haley (1984, 1992), Jacques-Antoine Malarewicz (1992), Joséphine Balken (2001 et 2004), Thierry Melchior (1998), Gérard Salem (2001 et 2012), Jean Godin (1992) et bien d’autres encore…
En 1952, John Weakland, William Fry, Don Jackson étudient avec GregoryBateson les paradoxes communicationnels à Palo-Alto. Milton Erickson allait féconder par sa pensée les recherches de ce groupe et en retour être fortement influencé par lui. Erickson avait découvert l’importance de la relation intersubjective thérapeute-patient et redéfinir le concept d’inconscient comme ressource. Erickson énoncera que ce sont les limitations conscientes de l’individu qui ne lui permettent pas de se servir des mécanismes habituels de guérison ou d’annihiler un état de mal-être ou de souffrance. Par après les chercheurs de Palo-Alto intégrèrent les recherches de cybernéticiens (Wiener, Shannon) et celles de Von Bertalanffy portant sur la théorie générale des systèmes. C’est à travers l’apport d’Erickson que la notion d’influence (fondement de l’hypnose traditionnelle ou directive) prit un autre sens, tels celui de pouvoir ou de stratégie, pierres angulaires des thérapies stratégiques (communément et erronément appelées « brèves ») développées par Jay Haley et Cloé Madanes.
Contrairement à une croyance répandue, Erickson n’utilisait l’hypnose qu’avec une partie de ses patients. Avec d’autres il utilisait une démarche stratégique. |
En 1958 Haley rejoignit le Mental Research Institute à Palo-Alto. Madanes le rejoint en 1966 et de leur rencontre naquit deux ouvrages célèbres : « Strategic Family Therapy » écrit par Madanes 1981 et « Problem Solving Therapy » rédigé par Haley en 1976 ( in Albernhe et Albernhe, 2014).
La thérapie familiale ou individuelle stratégique est directive et interventionniste. Problèmes et symptômes sont abordés frontalement mais à travers l’enracinement contextuel. Ce courant se propose d’étudier « comment » apparait le symptôme plutôt que « pourquoi » il advient. Ou de quelle façon en expérimentant de façon récurrente des solutions erronées ou inadaptées le patient entretien et aggrave le problème. Des énoncés comme « la solution devient le problème » ou « on fait toujours plus de la même chose » ont fait flores dans le jargon systémique.
Les thérapies stratégiques, ni brutales ni agressives utilisent entre autre l’humour, non pas au détriment du patient mais de façon à créer l’alliance et faciliter les prescriptions de tâches afin de lui suggérer ainsi des orientations nouvelles défiant sa logique. L’éthique et le respect du patient d’ailleurs étaient la ligne de conduite d’Erickson .
Cette démarche stratégique appelée également « l’hypnose sans hypnose » est définie par Malarewicz (1992, p.22) comme « une forme de thérapie où il ne s’agit en rien d’obtenir cet état qu’on appelle l’état hypnotique mais où se retrouvent les mêmes techniques de communication et les mêmes stratégies thérapeutiques dont les finalités se définissent en terme de changement ». Dans l’hypnose conversationnelle le thérapeute se contente de converser avec le patient tout en favorisant un climat dissociatif grâce à la trame de la communication hypnotique.C’est en écoutant le patient que le thérapeute captera son attention en lui narrant diverses anecdotes thérapeutiques qui évoqueront d’autres situations analogues. La transition graduelle entre une conversation banale et une conversation hypnotique se fera très subtilement. N’importe quel comportement spontané ou involontaire du patient pendant cette phase est accepté et utilisé comme signe d’installation progressive de la transe. Les résistances apparentes du patient (sourire sceptique, interruptions etc.) sont acceptées et recadrées dans le même sens.
Le comportement para-verbal et non verbal du thérapeute joue un rôle non négligeable dans cette approche : changement de tonalité vocale, couplage de suggestions avec le rythme respiratoire, les postures, gestes, mimiques, regards sont autant d’ancrages de l’expérience en cours. Chacun de ces procédés doit avoir pour effet d’orienter l’attention vers le vécu intérieur du patient (réactivation des ressources « endormies », souvenirs oubliés, sentiments refoulés) » ( Salem & Bonvin, 2001, p.130).
Salem posera la question de (l’in)congruité d’articuler hypnose (thérapie individuelle) avec la thérapie familiale où le thérapeute s’efforce de faciliter et/ou modifier les interactions dans le groupe familial. Salem considère l’hypnose comme « une façon particulière de communiquer entre individus. En hypnotisant plusieurs personnes, le thérapeute catalyse et facilite un changement dans son régime de conscience et établit avec lui/eux une forme de relation particulière et une forme d’échange qui sort de l’ordinaire. Ce qui sera perceptible par un observateur » (Salem, 2012, p. 217). Il observe que le thérapeute change aussi de régime de conscience, mais de façon plus discrète et plus subtile puisqu’il reste attentif au(x) patient(s).
Par contre pour Malarewicz le thérapeute familial est réputé s’adresser, en séance, au système familial, à cet ensemble d’individus unis par des liens contractuels, filiaux, fraternels . Cet auteur considère qu’ il ne s’agit en rien, dans l’optique stratégique d’hypnotiser une famille entière ou un couple. Il s’agit d’utiliser des techniques de communication et une conception du changement qui s’inspirent de l’hypnose éricksonienne dans le contexte d’un entretien avec une famille ou avec un couple. Mais il ajustera la dimension de l’inconscient car « le thérapeute familial, en séance, communique avec un système familial. Il s’adresse à la logique du système familial. Cette logique est constituée par l’ensemble des finalités (immédiates et transgénérationnelles) de ce système servies par des modes d’interactions et des modes communicationnels spécifiques et habituels à une famille. Cette logique du système familial, en ce qu’elle constitue une infrastructure qui en grande partie n’est pas apparente, peut être considérée, à la dimension du groupe familial, comme une transposition de l’inconscient individuel (nous soulignons). Elle peut trouver ici le même statut, c’est-à-dire essentiellement celui d’un outil d’intervention pour le thérapeute » (Malarewicz, 1992, p.41-42).
Nous n’avons pas retrouvé dans les écrits des exégètes d’Erickson trace d’entretiens de couple ou de famille dans lesquels celui-ci aurait utilisé des techniques hypnotiques. Le Dr Corydon Hammond (2004, p. 396) mentionnera des taux de succès dans le traitement de dépendances tabagiques pratiquées en groupe. Les traitements hypnotiques en groupe focalisées sur d’autres dépendances utilisent des suggestions de renforcement du moi. (L’auteur reste néanmoins prudent vu le taux important de rechutes).
Nous concernant, il nous semble pertinent que des techniques d’hypnose sans hypnose soient pratiquées en entretiens de couple ou de famille. Parmi ces techniques, citons les ancrages visuels, auditifs ou kinesthésiques, les techniques de dépotentialisation de la conscience, la fixation de l’attention etc.). Salem (2012, p.221) identifiera des catégories distinctes (au nombre de trois) d’interventions hypnotiques auprès de familles en thérapie : hypnotiser un membre de la famille en présence des autres, hypnotiser tous les membres de la famille, hypnotiser une partie de la famille (le sous-système parents ou enfants p.ex.).
Dans la présentation de notre vignette clinique nous avons rassemblé les deux premières façons de procéder en utilisant une métaphore thérapeutique sous hypnose.
La métaphore, la parabole, le conte systémique, l’allégorie sont depuis longtemps utilisés et théorisés en thérapie systémique (Philippe Caillé et Yveline Rey, Lynn Hoffmann, Maurizio Andolfi, Carl Whitaker, Milton Erickson). L’école systémique la plus récente utilisant les métaphores et les histoires est celle du constructionisme social (Michael White et David Epston). Dans un article précédent, utilisant la thérapie narrative avec un patient adolescent délinquant nous avons illustré l’utilisation des narrations ( Marteaux, 2008). L’utilisation de la métaphore en psychothérapie y était envisagée comme technique de recadrage, d’imagination de la solution, d’interprétation. La métaphore produisant un glissement de sens d’un terme concret dans un contexte abstrait par substitution analogique .
En utilisant la métaphore l’on stimule les chaines d’associations créatives et déjouons les résistances. Elle n’est pas menaçante (on dit sans dire…). C’est une communication indirecte qui permet au patient d’opérer une dissociation c’est-à-dire de se couper de sa réalité. Elle a une dimension régressive et mobilise les capacités imaginatives du sujet et du thérapeute. Elle va proposer de façon imagée au patient des alternatives, des solutions, une construction nouvelle de la réalité. Malarewicz (1992, p.63-63) notera qu’il est primordial que la « métaphore fasse partie de l’expérience de vie du thérapeute et soit singulière à chaque patient traité ». Il n’y a donc pas de standardisation de la métaphore. La métaphore doit « coller » à la situation du patient et/ou au contexte thérapeutique. Elle doit être évolutive et porter en elle une dynamique de changement.
Salem décrit bien l’usage des métaphores et récits comme « techniques mobilisant les processus d’apprentissage du système familial et qui se caractérisent par la stimulation de l’imagination, de l’intuition, de l’inventivité de ce système…le rôle du thérapeute peut consister à « réveiller » une famille, à « réchauffer » son imaginaire et son potentiel créatif en l’aidant à revivifier, à exprimer et à réaliser les désirs et talents gelés de ses membres…L’avantage des métaphores se vérifie sur plusieurs plans : elles déjouent les rationalisations et les intellectualisation défensives, elles permettent un recadrage imagé du problème, elles touchent en profondeur à la résonance souvent informulable des dilemmes relationnels » (Salem, 2005, p.154-155).
Monsieur D. prend rendez-vous et demande un entretien familial avec son épouse et leur fils adoptif Diego, 16 ans… Le couple nous expliquera que Diego, Colombien, adopté à l’âge de 3 ans par le couple a été abandonné par ses parents biologiques et recueilli en orphelinat. Monsieur et Madame recourent aux services d’une association internationale afin d’adopter, ce qui prendra 2 ans. Ils ont par ailleurs, un fils de 21 ans, Bernard, qui vit en colocation car dit celui-ci l’ambiance familiale est devenue « irrespirable » et que si cela continue « cela se terminera par un meurtre » (nous transmettent les parents…). La décision d’adoption fut prise après la naissance (particulièrement difficile) du fils Bernard, Madame D. ne pouvant plus avoir d’enfants. Les débordements comportementaux de Diego sont décrits comme incessants et entraînent de nombreux conflits dans le couple parental. Diego vole, trafique en rue et à l’école, se fait renvoyer de trois écoles et point (non final) vole la recette de son employeur, coiffeur, chez lequel il était en contrat d’apprentissage… Un dossier est ouvert au Tribunal de la jeunesse pour ces différents faits, les mises en garde du magistrat resteront inopérantes.
Diego est décrit, de 5 à 13 ans, comme un enfant renfermé, peureux, communiquant peu et n’aimant pas l’école. Il y aurait souffert de moqueries dues à son teint très métissé. Il provient d’une région côtière de la Colombie ou des descendants d’esclaves de couleurs sont nombreux. Le parcours délinquant commence à 14 ans. Les parents sont très croyants et ne sont pas loin de croire à une punition divine. Qu’ont-ils bien pus commettre pour mériter cela ? Diego les insulte, les vole, il a des moments de fureur auxquels succèdent des moments d’abattement où il s’excuse de son comportement. Il régente toute la vie familiale. Le seul à avoir réagi violemment est son frère Bernard, qui, trouvant sa mère en pleurs empoigna rudement Diego (ce qui eut un effet d’apaisement immédiat…). Madame a bien essayé de le canaliser, discutant, expliquant, suggérant, punissant. Monsieur est très absent, ingénieur il est souvent appelé à l’étranger en missions. Il reproche à son épouse sa sévérité et elle lui reproche mollesse et absences.
Après trois entretiens, il s’avère difficile pour nous d’interrompre les escalades symétriques dans le couple. Diego les écoutant avec un sourire narquois. Ils ont bien conscience des difficultés, et de leur participation à tous aux problèmes mais… A la 4è séance, nous leur proposons une expérience un peu « folle ». Nous leur expliquons ce qu’est un état modifié de conscience, leur demandant leurs idées préconçues quant à l’hypnose et recadrant cette discipline et démontant les croyances erronées. Nous leur expliquons également que l’expérience concerne Diego puisqu’il est présenté comme le « symptôme » mais que peut-être cela pourrait faire surgir une créativité nouvelle et des changements qualitatifs dans leurs relations à trois. La famille accepte. L’affiliation, à notre surprise, est pratiquement immédiate.
Après la phase d’induction au cours de laquelle nous travaillons sur le souffle et la respiration, les modifications du rythme cardiaque etc. nous les invitons, chacun, à penser à la représentation d’une scène agréable, paysage de vacances pouvant renforcer un sentiment de sécurité. Cette « safe place » nous la renforcerons en suggérant des sensations visuelles, auditives, gustatives, kinesthésiques. Cet endroit sera pour chacun le lieu où se réfugier dans les moments de stress (suggestion post-hypnotique) hors séance. Sous hypnose je les invite lors de cette séance à remercier leur inconscient (ce qui fait d’eux des acteurs responsables de la réussite ou de l’échec de cette expérience). A ce moment de l’induction de transe nous demandons à Diego, tout en acceptant ce moment de détente, de ne pas se soumettre aveuglément à nos suggestions mais de garder un minimum de vigilance (prescription paradoxale). Diego a les yeux fermés, ainsi que sa mère, le souffle est lent. Monsieur a le regard fixe et vague (autre indice de transe) et nous commençons alors le récit métaphorique totalement improvisé en ce moment de la thérapie. Ce récit prendra une demi heure et nous le résumerons forcément afin de le rendre lisible. Les points de suspension indiquent les courts silences entre les phrases, leurs scansions, ainsi que la modification du ton de notre voix (ton monocorde, accordé sur le souffle d’un des patients) :
« Il y a bien longtemps déjà…dans un état du nord de l’Inde…un maharadja guerroyait souvent, soucieux d’agrandir ses territoires et de sécuriser ceux déjà conquis…Il ne se rendait pas compte que ses absences créaient l’insécurité…son épouse s’occupait de la gestion du palais mais une rancœur sourde grandissait au fil de ses absences…le maharadja et la maharani poursuivaient néanmoins un autre but…venir en aide aux enfants déshérités, abandonnés, les recueillant dans les dépendances de leur immense palais…le maharadja ne pouvait comprendre que chacune de ses absences ravivaient rupture et abandon chez ces enfants…l’un deux, presque adulte, intelligent et volontiers frondeur décida de l’affronter… « mon armée est dans ce palais se disait-il, je ne dois pas guerroyer à l’extérieur…l’ennemi est dans la place… » il leva son armée d’enfants et un jour ils assiégèrent le maharadjah jusqu’au moment où celui-ci leur accorda une audience dans la plus grande salle du palais…il lui tint ce langage : « si nous avons été abandonnés ou reniés par nos parents, nous pouvons nous unir, mais nous voulons être guidés…et non délaissés à nouveau…nous voulons sécurité, amour et attention… ». Le maharadja, d’abord surpris par ce ton direct et insolent, fut, dans un premier temps furieux…ensuite, se ressaisissant, leur répliqua : « vous ne vous rendez pas compte de la lourdeur de ma tâche…sécuriser le royaume, c’est vous recueillir et vous protéger…mais je serai attentif à vos demandes…je crois que votre demande s’adresse à une partie de moi que je n’ai pas l’habitude d’interroger…et de donner ! ».
Nous avons construit et « brodé » pendant une demi heure cette métaphore de reconstruction familiale dans laquelle le père reprenait une place, la mère se sentait soutenue, et le fils pouvait revendiquer sans se montrer destructeur. Tous trois étaient en transe légère (yeux fermés, fibrillation des paupières, traits du visage afaisés etc.). Ce récit, cette induction narrative était intentionnellement ouverte. La fin de l’histoire, le futur de celle-ci était de la responsabilité de la famille. A la fin de la séance, nous leur demandâmes, pour la prochaine rencontre d’écrire un texte dans lequel figurerait une ébauche de solution aux relations entre le maharadja, son épouse et les enfants (nous restons toujours dans la métaphore). Cette métaphore ne possedait pas de solution « clé sur porte » mais ouvrait un espace imaginaire très grand à l’élaboration, fictionnelle peut-être, de solutions et de rapprochements entre le conte et la dynamique familiale.
Le choix de l’hypnose familiale fut fait après réflexion de ne pas stigmatiser Diego. Ils jouent dans la même pièce…La prudence avec laquelle nous avons terminé le conte avait aussi valeur de prescription paradoxale du symptôme. Le changement n’allait pas intervenir instantanément. Le maharadja devait consulter, parler, offrir de la présence relationnelle. Diego allait sans doute poursuivre ses comportements délinquants quelque temps encore. Utiliser le symptôme quelque peu réinterprété (la révolte des enfants est collective et souligne une injustice qui leur est faite, Diego agit seul et le contexte social l’étiquettera délinquant…). La métaphore donnera de l’information au système familial. La famille est invitée au changement interactionnel, le système s’en trouvera oxygéné.
Dans cette famille, le symptôme avait une double fonction : sauver, en détournant inadéquatement l’attention sur lui, le couple adoptant et également inviter au changement dans la hiérarchie familiale. Il nous semblait anxiogène pour un adolescent d’être confronté à sa toute puissance, de devoir relayer la place du père et ceci à un âge où quitter la famille commence à se poser. Ce « leaving home » avait déjà été expérimenté lors du départ de Bernard, l’ainé, de façon douloureuse. Les parents ne semblaient pas en état de (re)vivre à deux ? Etape cruciale dans le cycle de vie intrafamilial. D’autre part, l’insécurité engendrée par les conflits intraconjugaux renvoyait vraisemblablement Diego à un –nouveau ( ?) – fantasme de rupture, ayant été abandonné à 3 ans et mis en adoption deux années après cet l’abandon. Nous croyons qu’à l’adolescence il y a reviviscence de cette crainte et que les débordements visent à la prévenir en la précipitant pour mieux, paradoxalement, la maitriser. Cet abandonisme est bien connu des éducateurs d’enfants placés en institution par ailleurs…
Double fonction également : stabiliser l’état antérieur ou actuel (ne pas changer) et appeler au changement car le présent est insupportable. Mais comment et dans quel sens aller ?
Balken (2002, p. 251-252-253) cite Erickson rappelant la différence qu’il définissait entre transe et hypnose « l’hypnose est une technique permettant d’atteindre la transe, état psychique au cours duquel est intensifié le contact avec les ressources inconscientes… » « l’effet thérapeutique est la possibilité de contacter et d’activer des liens associatifs nouveaux, différents, en intégrant ces ressources et de permettre des modifications comportementales en vue d’une meilleure adaptation à son milieu ».
Des expériences récentes présentées cet été à Paris au congrès international d’hypnose démontrent, par imagerie cérébrale, que la visualisation, en transe, d’événements ou de souvenirs heureux par exemple présente un tracé plus dynamique, mobile (comme en 3D) de l’expérience (le sujet est « dans » celle-ci) qu’une simple remémoration.
Le travail utilisant la métaphore en l’alliance avec la famille a permis de comprendre combien l’accordage relationnel est capital. Balken (2004, p.215) parlera « d’un sentiment de bonheur et de plénitude s’accompagnant d’une sensation non explicitable d’accomplissement sans qu’on puisse en déterminer le pourquoi ». Elle qualifiera d’esthétique cette interaction harmonique et harmonieuse. La transformation est donc mutuelle et c’est dans l’accomplissement de celle-ci que l’expérience devient esthétique. Le sens du mot esthétique est préféré à artistique car en rapport avec le sentiment et la perception du beau, de l’harmonie. Cette « notion » ou plutôt cette immersion dans l’harmonie partagée est citée déjà par Bateson, Erickson et leurs élèves notamment Keeney et Gilligan auxquels J. Balken rend hommage. Cet accordage ne découle pas d’une technique mais d’une réelle empathie et d’un ajustement recherché et construit.
Notre travail a tenté également une convergence, un point de rencontre, entre l’hypnose éricksonienne et les théories narratives telles le constructionisme social. Dans un précédent article ( Marteaux, 2008) nous soulignions les convergences entre l’apport d’Erickson (sa construction des récits, l’hypnose conversationnelle etc.) et les thérapies narratives théorisées par White et Epston qui, s’inspirant de la linguistique, décrivaient l’importance des narrations, de leurs déconstructions quand porteuses d’exclusions et de souffrances. Pour Gergen (Marteaux, 2008) l’identité elle-même est produite par les narrations issues d’échanges communs. Les narrations du moi renvoyant à des relations sociales bien plus qu’à des choix individuels.
L’approche ericksonienne cherchait, peut être, c’est une hypothèse, à déconstruire des « vérités » ou constructions de la réalité séparées des contextes et des conditions de leur production. Par une histoire, une métaphore, peut être, contribuons nous à l’externalisation de récits aliénants et ainsi à l’édification de narrations alternatives. Nous croyons, par conséquent, qu’il y a un fil rouge reliant les travaux d’Erickson aux avatars les plus récents, post-modernistes, de la thérapie familiale.
La pertinence de la combinaison de l’hypnose et de la thérapie familiale est-elle une vraie question ? La poser c’est, nous semble t-il, en poser la congruité et à en explorer son caractère opérationnel. Nous concernant, nous dirons qu’elle stimule bien plus l’imagination créatrice du thérapeute. Elle le pousse à explorer et à OSER. Beau défi, gage de découverte de chemins nouveaux à explorer dans le travail thérapeutique avec les couples et les familles.
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Alain Marteaux est Psychothérapeute systémique à Bruxelles (Ixelles et Etterbeek). Alain est aussi Formateur à l’Institut d’Etudes de la Famille (Bruxelles), à l’Ifisam (Bruxelles), à Tabiyeen (Liban). Il a également suivi une Masterclass en Récits de Vie (thérapies narratives) chez l’asbl les Réveilleurs d’Histoires et une formation diplômée en « Accompagnement des personnes traumatisées : fondements théorique et pratiques » (en ligne au Training Institute for Psychology and Health averc Moîra Mikolajczak et Isabelle Roskam).
Il est Membre de l’European Family Therapy Association, de l’Abipfts (Association belge des intervenants en psychothérapie systémique), et du Groupement belge des formateurs en thérapies systémiques.
Il est aussi Titulaire du certificat Européen de Psychothérapie (CEP) délivré par l’Association Européenne de Psychothérapie (AEP).
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