Léonie vient d’entrer dans mon cabinet. Bonjour madame, installez-vous, je vous en prie ! Elle enlève son manteau et s’assoit. Elle vient me consulter pour mettre un terme à ses insomnies. Elle me regarde avec sa petite mine et me raconte son histoire. Je sens qu’elle fonde tous ses espoirs en moi. C’est bien sûr une énième tentative. Le somnologue est généralement l’ultime recours. Léonie a déjà effectué un long parcours auprès de divers intervenants... Par quel bout vais-je prendre le problème ?
C’est une pièce qui se joue en 2 actes.
1er acte : Léonie souffre t-elle vraiment d’insomnie ? Pour répondre à cette question, je dois disposer d’une définition suffisamment claire de cette notion, bien plus complexe qu’il n’y paraît.
Dans la dernière Classification Internationale des Troubles du Sommeil (celle de 2005), on ne trouve pas moins de 88 troubles recensés - dont l’insomnie ne représente qu’un seul item ! (pour bien se figurer ce nombre, il suffit de visualiser le clavier d’un piano : il contient exactement 88 touches). Sachant cela, la question se corse. Non seulement Léonie souffre t-elle vraiment d’insomnie, mais encore ne souffre t-elle pas - en sus ou à la place - d’un autre trouble du sommeil ?
Mais concentrons-nous sur notre sujet : l’insomnie. En voici une assez bonne définition, entendue récemment lors d’un congrès : avoir une insomnie, c’est souffrir de ne pas dormir quand on veut dormir. Un petit dormeur (qui ne souffre donc pas - qui se contente par exemple de 5 heures de sommeil par nuit pour être en forme) ne fait donc pas d’insomnie. Et quelqu’un qui se prive volontairement de sommeil (qui ne veut donc pas dormir - pour des raisons professionnelles, récréatives ou autres) n’en fait donc pas non plus.
En faisant un pas de plus, en étant un brin provocateur, on peut d’ailleurs dire que l’insomnie est avant tout un problème de jour ! C’est en effet la souffrance diurne, vécue en conséquence d’un pauvre sommeil nocturne qui caractérise l’insomnie. L’insomniaque est donc celui qui se plaint avant tout d’avoir des problèmes la journée ; à savoir : de la fatigue (ce qui est très fréquent), de la somnolence (ce qui est très rare, la fatigue s’opposant à la somnolence – plus on est fatigué moins on s’endort !), de l’anxiété et parfois de la dépressivité, de l’irritabilité et de l’agressivité, des déficits cognitifs (attention, concentration, mémoire, jugement, raisonnement, rendement au travail…), etc.
Sur le plan épidémiologique, rappelons qu’1 personne sur 10 souffre d’une insomnie chronique et 1 personne sur 3 d’une insomnie transitoire (ce qui fait tout de même 3 millions de Belges !). Il s’agit donc là d’un trouble extrêmement fréquent, davantage présent chez la femme et la personne âgée. Au-delà de la rime, voilà d’ailleurs pourquoi Léonie s’appelle Léonie, et non pas Léon ou Paméla.
Cela dit, l’être humain est extrêmement résistant à la privation de sommeil. Lorsqu’elle est totale, cette dernière tue un rat en 1 semaine, mais elle ne tue jamais un homme… pas dans le court terme du moins ! Rappelons que le record de nuits blanches est détenu par un certain Randy Gardner qui, en 1963, à San Diego, est parvenu à rester 11 jours sans dormir une seule seconde, et sans avoir à déplorer de conséquences fâcheuses sur sa santé. Notons en outre que dans certaines neuropathies rares, des personnes peuvent même vivre des mois sans dormir du tout.
Mais cela doit être nuancé. A la suite du chercheur britannique Horne, on a pensé pendant longtemps que la privation de sommeil n’avait de réelle incidence sur la santé que sous le seuil des 4 heures 30 de sommeil par nuit. Il appelait ça « le cœur du sommeil », considérant le reste comme du superflu. Depuis quelques années cependant, le groupe de Chicago (une ville qui porte décidément chance aux somnologues – cf. la découverte du REM par Kleitman, Azerinski et Dement en 1953) - conduit par Eve Van Cauter (une chercheuse belge), a démontré que des problèmes physiques apparaissent déjà sous la barre des 5 heures 30, voire 6 heures 30 de sommeil par nuit. Ce qui pose sérieusement question dès lors qu’on sait qu’1 Belge sur 2 dort moins de 7 heures par nuit ! Les problèmes qui peuvent surgir sont variés et parfois fort graves. L’immunité est réduite (baisse des cytokines et lymphocytes T4). Des troubles métaboliques apparaissent, comme une résistance accrue à l’insuline - ce qui peut entraîner du diabète, et comme une augmentation de la ghréline (goût pour les sucres et les graisses) et une diminution de la leptine (message de satiété) - ce qui fait prendre du poids. Une dépression peut apparaître (suite à une baisse de la sensibilité des récepteurs à sérotonine, et à une hausse de la production de cortisol). Le système inflammatoire et un stress oxydatif est activé, ce qui entraîne entre autres des pathologies cardio-vasculaires (augmentation de l’athérosclérose, de l’interleukine–8, de la tension artérielle…). Le cerveau est également atteint : diminution de la plasticité cérébrale et du renouvellement des neurones dans l’hippocampe et les ventricules latéraux (là où la neurogénèse se maintient toute la vie)… De telle sorte que la privation de sommeil pourrait entraîner, à long terme, une hausse significative de la mortalité ! Mais cette nuance doit être à son tour nuancée, la recherche ne portant pour l’instant que sur le court terme, et se basant avant tout sur les rongeurs...
Quant aux répercussions psychologiques, elles sont complexes et souvent contradictoires. Elles en appellent à notre humilité en tant que « savant ». D’un côté, la somnologie est une science toute neuve (elle n’a qu’une cinquantaine d’années). Et d’un autre côté, nous ne sommes pas tous égaux devant le sommeil, loin s’en faut. Une quinzaine de gènes - découverts à ce jour - se chargent de faire de nous des petits ou des gros dormeurs, des sujets du soir ou du matin, des dormeurs mono ou bi-phasiques… ainsi que des personnes résistantes ou non à la privation de sommeil. En plus des répercussions diurnes déjà mentionnées, la privation partielle de sommeil est réputée depuis longtemps pour ses vertus antidépressives ! La psychiatrie du 19ème siècle l’avait baptisée « agrypnie ». Et pour des sujets à l’humeur normale, la privation de sommeil a généralement un effet « hypomaniaquisant ». Mais elle rend également plus sensible. C’est comme si elle réduisait l’épaisseur du pare-choc psychique. Le sujet est alors plus à fleur de peau, plus vigilant, plus irritable, voire plus anxieux.
Fait assez cocasse : d’un point de vue historico-sociologique, il n’est pas impossible que l’insomnie soit une invention bien de chez nous ! C’est en effet l’essor du commerce international en continu (24 heures sur 24) qui est à l’origine de l’émergence de l’insomnie en tant que problème de santé publique. Et ceci eut lieu au 17ème siècle, ici même, dans les Provinces Unies (Pays-Bas Espagnols). |
Notons enfin qu’avant la révolution industrielle, on se couchait dès la nuit tombée, on dormait en deux gros blocs (séparés par une assez longue interruption) et on restait dès lors en moyenne 14 heures au lit !
Mais revenons à présent à notre chère Léonie… notre patiente commence sérieusement à ne plus être patiente. Et considérons qu’elle souffre effectivement d’insomnie. Que lui a t-on déjà proposé ? A tous les coups, des pilules pour dormir. Or, ces pilules peuvent avoir de nombreux inconvénients. Citons-en les principaux : une altération de la qualité du sommeil (laquelle occasionne parfois des déficits de mémoire), un masquage des problèmes sous-jacents éventuels (lequel empêche leur résolution), le développement d’une dépendance et/ou d’une tolérance (lequel maintient et amplifie même l’insomnie), etc. Il faut noter toutefois que certaines personnes ne rencontrent aucun de ces problèmes ! En outre, les somnifères sont fortement déconseillés chez l’enfant et la personne âgée. En contrepoint, plusieurs traitements non médicamenteux ont fort heureusement été élaborés au cours des dernières décennies. C’est ce qui fait l’objet de l’acte 2.
2éme Acte : Quelles sont les questions que je vais me poser, et dans quel ordre, ce afin de mettre en œuvre les interventions non pharmacologiques les plus indiquées ? 3 questions : pourquoi, pour quoi et comment.
Dans un 1er volet, je vais rechercher des troubles sous-jacents éventuels
C’est la notion d’insomnie secondaire qui est discutée ici. Cette notion est assez controversée actuellement. On pense de nos jours que l’insomnie serait le plus souvent primaire. Qu’elle serait donc davantage cause que conséquence, les troubles sous-jacents ne faisant en somme que précipiter l’insomnie chez des personnes déjà vulnérables au préalable.
Et le modèle actuel de cette vulnérabilité est celui de l’hyperéveil. Pour être éveillé, il faut non seulement que le système neurologique d’éveil soit activé mais aussi que le système de sommeil soit inhibé. A l’inverse, pour être endormi, il faut non seulement que le système de sommeil soit activé mais aussi que le système d’éveil soit inhibé. Selon le modèle de l’hyperéveil, c’est ce dernier point qui laisse à désirer. Il s’agit d’une hyperactivation psycho-physiologique généralisée : cortex cérébral, certains neurotransmetteurs (sérotonie, histamines, acétylcholine, noradrénaline, norépinephrine…), certaines hormones (cortisol, ACTH…), métabolisme, température corporelle, cœur, etc. Ceci correspond à une hyperactivité d’une hormone de l’éveil : l’orexine (ou hypocrétine) - celle-là même qui vient à manquer dans la narcolepsie. A quand des somnifères à base d’anti-orexine ?
Voici néanmoins quelques exemples d’insomnie secondaire :
Insomnie liée à une dépression dite « endogène » (insomnie dans 80% des cas, 3 items sur 24 dans l’échelle d’Hamilton).
Insomnie liée à un trouble anxieux.
Insomnie liée à des mouvements périodiques des membres (PLMS) et/ou à des impatiences des jambes (RLS).
Insomnie liée à un syndrome d’apnées du sommeil (cette présentation étant plus fréquente chez la femme).
Insomnie liée à une fibromyalgie et/ou une fatigue chronique.
Insomnie liée à une parasomnie : rythmies, bruxisme…
Insomnie liée à une épilepsie morphéique.
Sur le plan du diagnostic, c’est la polysomnographie (l’étude de sommeil) qui me permettra d’exclure ou d’objectiver un trouble sous-jacent chez Léonie, avec rigueur et précision.
Sur le plan du traitement, mon rôle va surtout consister à orienter Léonie vers le spécialiste ad hoc.
Dans un 2ème volet, je vais rechercher des causes passées éventuelles
Il est fort probable que l’insomnie de Léonie se soit chronifiée à partir d’un événement déclencheur.
Comme exemples de causes passées :
Un événement de vie à valeur de trauma psychologique.
Le développement d’un « syndrome de la sentinelle » (depuis le post-partum, par exemple, Léonie n’a plus jamais bien dormi).
Une dépression « psychogène », la présence d’une « personnalité dépressive ».
Selon Gaillard, il existerait une « personnalité insomniaque », marquée par le refus du conflit, l’agressivité rentrée, le contrôle, l’obsession, l’hypercognition nocturne (qui se traduit par un excès d’ondes bêta et de gamma hypnagogiques), le déficit en imaginaire et en symbolique, une insécurité de base et la peur de régresser.
Sur le plan du traitement, je proposerai à Léonie une psychothérapie de type herméneutique, c’est à dire que je chercherai à donner sens à son insomnie, ceci dans une mise en perspective avec l’événement initial.
Et dans un 3ème volet, je vais rechercher des causes actuelles éventuelles
L’insomnie de Léonie est peut-être apparue récemment ou, ce qui est plus probable, son insomnie a été réactivée récemment par un événement.
Exemples de causes récentes :
Un événement de vie stressant, ou réactivant un événement traumatique.
Un trouble organique récent.
Un syndrome anxio-dépressif « réactionnel ».
Sur le plan du traitement, je proposerai à Léonie une thérapie cognitive, je ferai avec elle une pédagogie du sommeil, peut-être aussi de l’hypnose, je lui fournirai des « coping stratégies » et je lui témoignerai réassurance et soutien.
Le « pourquoi » en 1 mot est rétrospectif alors que le « pour quoi » en 2 mots est prospectif. Il oriente vers la recherche des bénéfices psychologiques que Léonie peut tirer de son insomnie ! Ces bénéfices (ou avantages) sont le plus souvent inconscients. Ils peuvent être primaires et secondaires. Ils sont toujours présents (ne fut-ce qu’au niveau des bénéfices secondaires). Une insomnie qui persiste remplit toujours une fonction pour le patient, de même que n’importe quel autre trouble psychologique ou psychophysiologique.
Quelques exemples de fonctions pouvant être remplies par l’insomnie :
L’expression d’une partie rebelle de soi : une rébellion contre la famille d’origine (dans les familles de bons dormeurs), contre la famille d’alliance (si le conjoint est bon dormeur), contre la société (qui prescrit le coucher et le lever tôt)… L’insomnie comme étendard d’indépendance, de liberté, comme refus de la routine « métro-boulot… -dodo ».
A l’inverse : l’expression d’une loyauté familiale (dans les familles d’insomniaques).
L’expression de la partie jouissante et insouciante de la personne : un espace de loisir, un sas de décompression, le moment des précieuses retrouvailles avec soi-même, un accès à la créativité (« L’étrange cas du Docteur Jekyll et de Mister Hyde » découle par exemple des rêveries d’un insomniaque qui s’appelait Stevenson).
L’évitement phobique diurne : évitement social, scolaire, professionnel, affectif, sexuel… - mal dormir de manière à être mal réveillé (et ne plus pouvoir fonctionner).
L’évitement phobique nocturne : éviter l’angoisse de mort, les cauchemars, les reflux oesophagiens, les crampes aux jambes… - ne pas dormir pour ne pas dormir.
Une tentative de régulation conjugale : un alibi pour faire chambre à part, une protestation contre le fait de devoir dormir seul (suite à une dispute, une séparation, un deuil…).
Veiller et protéger ceux qu’on aime (nouveau-né, enfant, conjoint, parent… ).
Veiller et se protéger soi-même (à côté d’un – nouveau – partenaire de lit, contre des voleurs…).
Sur le plan du traitement, je vais proposer à Léonie une thérapie de substitution. Il s’agit de trouver un substitut qui remplira aussi bien la fonction remplie par l’insomnie. Sans cela, Léonie risque de ne pas lâcher facilement la proie pour l’ombre…
Il s’agit ici de rechercher les cercles vicieux qui nourrissent l’insomnie de Léonie. Quelle que soit son origine, l’insomnie tourne à présent toute seule. Parfois, l’insomnie se réduit toute entière à ces cercles vicieux, on la baptise alors insomnie psychophysiologique ou encore insomnie de conditionnement. Mais dans tous les cas, dès lors que l’insomnie de Léonie s’est chronifiée, elle s’auto-entretient par les efforts fournis par Léonie pour essayer de mieux dormir !
La notion de cercle vicieux implique celle de causalité circulaire. En voici le
mécanisme :
une cause transitoire (peu signifiante) a naguère déclenché l’insomnie.
cette insomnie a entraîné des efforts pour mieux dormir (« je dois
dormir ! »).
ces efforts nourrissent, entretiennent et amplifient l’insomnie en retour.
La 3ème question peut s’approcher, à ma connaissance, de 5 manières
différentes au moins :
Sur le plan du traitement, j’appliquerai à Léonie une technique contre- paradoxale, c’est à dire une prescription d’éveil.
A titre d’exemple :
« Efforcez-vous par tous les moyens de dormir encore moins que d’habitude ! »
« Lisez le bottin téléphonique jusqu’à 3 heures du matin ! »
« Essayez d’entendre à travers le mur ce qui se passe chez les voisins ! »
« Allumez la radio à un niveau à peine audible et forcez-vous à écouter et à comprendre ce qui se dit ! »
Le degré d’acceptation de consignes aussi bizarres est fonction de l’adéquation de l’explication qui les encadre. Cette explication doit se conformer aux particularités de chaque individu. Si Léonie a un profil « rationnel/obsessionnel », une explication du type : « si vous parvenez à aggraver votre insomnie, vous gagnez du contrôle sur celle-ci » donnera sens à la prescription. Si Léonie est au contraire « intuitive/magique », la prescription aura plus d’impact si elle s’accompagne de la confidence suivante : « je ne sais absolument pas pourquoi, ni comment, mais je sais qu’en pareil cas cela a déjà marché »… Une fois données, ces explications doivent rendre aux yeux de Léonie le comportement prescrit aussi adapté, sinon plus, que ceux qui variaient sur le thème : « je dois essayer plus fort de dormir ! ».
« je dois dormir plus pour compenser mon manque de sommeil », ce qui me pousse à un coucher plus précoce, un lever plus tardif, des siestes anarchiques…
en conséquence de quoi, une désynchronisation de l’horloge biologique
apparaît.
Sur le plan du traitement, j’utiliserai avec Léonie des outils que je sortirai de ma boîte à outils chronothérapeutique, à savoir :
L’horaire veille/sommeil : stabilisation de l’horaire, restriction du temps de lit et limitation des siestes.
La luminothérapie, qui va agir sur la glande pinéale afin d’inhiber la sécrétion de mélatonine au moment opportun et de procéder ainsi au recalage souhaité. Il s’agira d’une lumière bleue, provenant d’en haut (les récepteurs se trouvant dans le bas de la rétine), délivrée par un casque ou des lunettes de lumière.
L’exercice physique, qui agira sur le métabolisme, la température
corporelle et l’horloge biologique afin de favoriser le sommeil au moment souhaité.
La chronodiététique : modification des habitudes alimentaires afin de favoriser l’endormissement et une bonne qualité de sommeil.
La vitamine B12 : substance photosensibilisante permettant de maximiser l’action de la luminothérapie.
La mélatonine, qui est une hormone naturelle, véritable horloge parlante indiquant au cerveau la période nocturne. Elle agit directement sur l’horloge biologique (dans l’hypothalamus) afin de favoriser le recalage souhaité, l’initiation du sommeil ou le maintien du sommeil (mélatonine longue durée).
« je suis tellement préoccupée par mon insomnie, que tous les stimuli qui me conditionnaient autrefois au sommeil me conditionnent aujourd’hui à l’insomnie ».
par conséquent, les stimuli du sommeil conditionnent désormais l’insomnie (en bref, je ne sais plus voir mon lit en peinture).
Sur le plan du traitement, j’appliquerai à Léonie des techniques comportementales (comme les règles d’hygiène de sommeil, la restriction du temps de lit ou le contrôle du stimulus). Je lui appliquerai également des techniques cognitives (comme le questionnaire de Morin). Quoiqu’il en soit, je lui énoncerai les 4 commandements pour vaincre l’insomnie :
1. L’heure sur le réveille-matin, chère Léonie, de regarder tu t’abstiendras (tu retourneras ton réveille-matin et résisteras à la tentation de le re-retourner). Il s’agit d’accepter le lâcher-prise, la suspension des repères spatio-temporels. Car dormir, c’est faire l’expérience de l’infini et de l’éternel, c’est dériver sur un océan sans fin. Il s’agit aussi de mettre un terme aux ruminations mentales anxiogènes, les « je n’ai donc dormi que ça ! » ou les « je n’ai donc plus que ça à dormir ! ».
2. Chaque jour à la même heure, chère Léonie, tu te lèveras (7 jours sur 7) et à la lumière du jour tu t’exposeras (pendant au moins 1 heure, même à travers la fenêtre, mais sans lunettes solaires). En hiver, tu pourras également avoir recours au casque de lumière et à la mélatonine. Ceci est primordial pour régler l’horloge biologique. Dite circadienne (environ 1 jour), cette horloge doit être constamment réglée car elle est « plus longue » que l’horloge géophysique : avec sa moyenne de 25 heures 20 minutes, elle retarde en permanence !
3. Avant d’aller te coucher, chère Léonie, ta température corporelle chuter tu feras. Pour ce faire, tu pourras pratiquer un sport entre 17 et 20 heures ou prendre un bain chaud 2 heures avant de te coucher. Le sommeil est entraîné par la chute circadienne de température corporelle (à 17 heures : 37,2°C – à 5 heures : 36,2°C). Tout ce qui peut accentuer cette chute est donc bienvenu. Mais des études récentes montrent que la hausse de température aux extrémités du corps entraîne également le sommeil. Comme le dit avec humour un chercheur hollandais : « pour s’endormir, il faut manger une glace sans la tenir et tenir un thé chaud sans le boire ! » En ce qui te concerne, chère Léonie, une bouillote devrait suffire…
4. 20 minutes avant le coucher, chère Léonie, une légère collation sucrée (et contenant du tryptophane) tu prendras. Le tryptophane est un acide aminé pro-sommeil. Il est le précurseur biochimique de la sérotonine, un neurotransmetteur fortement impliqué dans le sommeil. Et cette sérotonine est elle-même précurseur de la mélatonine, la clé qui ouvre la porte du sommeil. On trouve du tryptophane dans le lait, le miel et les bananes. Les protéines au souper également tu éviteras (car elles ont une action pro-éveil). Ainsi que l’alcool tard en soirée (lequel est un somnifère pervers : il facilite l’endormissement et altère ensuite fortement la qualité du sommeil). Et ainsi que la caféine après 14 heures (elle accroît la vigilance en se fixant sur les récepteurs neuronaux à adénosine, ce qui bloque l’effet hypnogène de cette substance). La caféine a donc une action anti-sommeil. Sa très longue demi-vie est d’environ huit heures. Ce qui signifie que huit heures après ingestion, le sang en contient encore la moitié.
Sur le plan du traitement, je proposerai à Léonie de l’imagerie mentale (sophrologie, auto-hypnose, biofeedback) et/ou de la relaxation.
Sur le plan du traitement, je proposerai à Léonie de suivre une rééducation kiné de son hyperventilation.
Mécanisme général lié à la 3ème question
Nous avons eu l’Acte 1 et l’Acte 2. Place à présent au Final.
Avec un peu de chance (il en faut toujours), nous avons fait un sort, Léonie et moi, à son insomnie - en tout ou en partie. Mon travail peut donc s’arrêter là. Ou bien Léonie peut se rendre compte que son insomnie lui a en quelque sorte servi d’alibi, lui permettant en fait de pousser avec plus de facilité la porte d’un psychologue. Et elle peut me proposer dès lors de troquer ma casquette de somnologue contre celle de psychothérapeute.
Mais ça c’est une pièce qui se joue sur une autre scène…
Roland Pec est licencié en Psychologie Clinique - Université Libre de Bruxelles. Il est psychologue, psychothérapeute et spécialiste des troubles du sommeil. Il a reçu aux Etats-Unis une formation de somnologue dans un laboratoire accrédité par l’American Academy of Sleep Medicine, et a été diplômé en somnologie par la Société Française de Recherche sur le Sommeil (Diplôme Inter-Universitaire Veille/Sommeil). Il est actuellement adjoint au Centre d’Etudes des Troubles du Sommeil à l’Institut Médical Edith Cavell à Bruxelles.
Dans le domaine psychothérapeutique, il a été formé à la thérapie familiale à l’ULB (auprès de Mony Elkaïm), à la thérapie brève au MRI de Palo Alto (auprès de Paul Watzlawick), à l’hypnose ericksonienne à l’Institut Milton Erickson de Belgique, au travail du rêve en gestalt thérapie à Esalen (Californie) et à la thérapie de couple (auprès de Robert Neuburger).
Roland Pec est psychologue, psychothérapeute et somnologue responsable de l’Unité de sommeil à domicile DOMO SleepWell. Licencié en psychologie (ULB). Formation de somnologue aux États-Unis (Los Angeles). Diplômé en somnologie par la Société Française de Recherche sur le Sommeil (Université de Paris XII).Formé à la thérapie systémique brève (au MRI de Palo Alto, Californie), à l’hypnose ericksonienne (à l’IMHEB) et au travail du rêve en gestalt thérapie (à Esalen, Californie).
Unité de Sommeil à Domicile DOMO SleepWell, Centre Européen de Psychologie Médical PsyPluriel
Gsm : 0477/803 704
E-mail : info@rolandpec.org
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