L’étude scientifique du sommeil a débuté dans les années trente, grâce, notamment, à l’invention de l’électroencéphalographie. Cependant, ce n’est qu’à partir des années cinquante que la recherche a réellement pris son essor, avec, surtout, la découverte du sommeil paradoxal. Les années septante ont ensuite vu apparaître les laboratoires de sommeil à visée clinique, ainsi que se développer la nosologie (la classification des troubles).
Puis, à partir des années quatre-vingt, des traitements vraiment efficaces ont commencé à voir le jour. Aujourd’hui, la polysomnographie (l’enregistrement du sommeil) est devenue un examen de routine. Et l’on entend de plus en plus parler du sommeil dans les médias, que ce soit à la télévision ou dans la presse. Aussi, le grand public a-t-il déjà eu l’occasion d’être sensibilisé à des thématiques telles que l’architecture du sommeil (les différents stades), les troubles du sommeil les plus fréquents, l’utilisation des hypnotiques, celle des antidépresseurs, etc.
Ce dossier se centre plus spécifiquement sur la question de la prise en charge non médicamenteuse des troubles du sommeil. Thème nettement moins médiatisé, et si important, pourtant, pour la personne souffrant d’une somnopathie.
Lorsqu’on évoque les troubles du sommeil, on pense immédiatement à l’insomnie. Et il est vrai qu’avec près d’un million d’insomniaques chroniques (et trois millions d’insomniaques occasionnels) en Belgique, il s’agit bel et bien d’un problème majeur de santé publique.
Mais grâce aux efforts de recherche fournis sans fléchir depuis une quarantaine d’années, à l’amélioration technique des enregistrements de sommeil et au nombre croissant de spécialistes s’intéressant à la question, la somnologie identifie aujourd’hui une vaste gamme de troubles. En témoigne la Classification Internationale, qui ne recense pas moins de quatre-vingt-huit troubles du sommeil différents ! Pour l’anecdote, ceci équivaut très exactement au nombre de touches sur un clavier de piano. Ainsi donc, le focus s’est en quelque sorte progressivement élargi d’une plainte spécifique — la difficulté à initier et à maintenir le sommeil (l’insomnie, donc) — à un temps spécifique, celui de l’homme endormi, pris dans sa globalité. La somnologie contemporaine envisage désormais l’individu dans son ensemble, à un moment précis de son existence. Un moment qui représente un tiers de la vie, et constituait, jusque-là, une terra incognita… la « face cachée de l’existence ». Depuis, les enregistrements polysomnographiques ont permis de mettre à jour des états physiologiques totalement différents de ceux qui prennent cours à l’éveil, susceptibles d’être la source de pathologies qui n’existent tout simplement pas à l’état vigile. Ces pathologies altèrent le plus souvent la continuité et la qualité du sommeil. Et elles mettent, en outre, fréquemment la santé en danger, voire même, parfois, la vie !
La difficulté à bien fonctionner la journée est le signe le plus manifeste permettant de faire suspecter l’existence d’un trouble du sommeil. Le sujet se plaint, alors, entre autres choses, de déficits cognitifs, de nervosité, d’anxiété, de dépressivité, de difficultés relationnelles, de problèmes sexuels, de fatigue et, plus que tout, de somnolence. Cette dernière peut interférer avec n’importe quelle activité diurne. On estime, par exemple, à 28 % la proportion d’accidents de la route dus à la « somnolence au volant » (ceci étant de loin supérieur aux accidents causés par l’alcool) ! La persistance de tels symptômes doit alerter la personne et la conduire à consulter un spécialiste de sommeil, le praticien le plus apte à poser un bon diagnostic.
Un bon diagnostic, c’est bien, mais un bon traitement, c’est encore mieux. Afin d’offrir les meilleurs traitements possible, les spécialistes d’aujourd’hui ressentent le besoin de suivre des formations en somnologie, ainsi que celui de travailler en équipes multidisciplinaires. Ces équipes permettent d’envisager le problème du patient dans sa globalité, et de lui faire bénéficier, ce faisant, des interventions thérapeutiques les plus adéquates.
Au sein de telles équipes, la prise en charge non pharmacologique s’est fortement développée, diversifiée, et soigne actuellement, avec succès, toute une série de troubles.
Tout le monde connaît la réponse habituelle aux problèmes d’insomnie : des pilules pour dormir. Or cette attitude peut avoir certains inconvénients. Citons, pêle-mêle, une possible perturbation de l’architecture du sommeil (laquelle est susceptible d’occasionner des déficits mnésiques), un masquage des problèmes sous-jacents (empêchant la résolution de ceux-ci), le développement d’une dépendance et/ou d’une tolérance (lesquelles ont tendance à maintenir, voire même à amplifier l’insomnie), une contre-indication chez l’enfant et la personne âgée, etc.
En contrepoint, plusieurs traitements non médicamenteux ont vu le jour.
La cause initiale ayant souvent disparu depuis des lustres, la plupart des insomnies chroniques sont auto-entretenues. Dans cette perspective, l’objectif thérapeutique consiste à transformer le cercle vicieux en cercle « vertueux ». Pour ce faire, des techniques « centrées sur le symptôme » conviennent particulièrement bien. La thérapie brève de type Palo Alto et l’hypnose ericksonienne donnent de très bons résultats (elles se fondent toutes deux sur l’usage du contre-paradoxe thérapeutique « force-toi à ne pas dormir »). Il en va de même des techniques comportementales et cognitives adaptées aux problèmes d’insomnie (TCCi).
De nombreuses insomnies sont également liées à un problème d’anxiété. Ces insomnies répondent donc bien à des techniques de relaxation, d’hypno-sédation et de bio-feedback. En outre, un cercle vicieux tout à fait caractéristique associe très souvent l’anxiété, l’insomnie et une hyperventilation chronique (SHC) nocturne. L’application d’une technique très simple de rééducation (à base de salves d’apnées volontaires) auprès d’un kiné respiratoire spécialisé permet, alors, d’améliorer significativement à la fois la dyspnée, l’anxiété et l’insomnie.
Enfin, ce sont parfois des difficultés de vie (présentes ou passées, objectives ou subjectives) qui empêchent une personne de dormir sur ses deux oreilles. Dans ce cas, une psychothérapie, dans le sens classique du terme, est souvent ce qu’il y a de plus indiqué.
L’usage au long cours de médicaments pour dormir (et, éventuellement, pour être mieux éveillé la journée) peut s’avérer iatrogène : il est susceptible de générer, lui-même, une insomnie chronique (cela dépend des contextes, des produits et, surtout, de la sensibilité individuelle de l’utilisateur) ! Aussi, la prise en charge d’une insomnie passe-t-elle, parfois, par la planification d’un sevrage médicamenteux. Ce déconditionnement doit s’effectuer de manière très progressive, avec une bonne compréhension des phénomènes de rebond d’insomnie, d’anxiété et de cauchemars. La règle de base est la suivante : si le médicament est utilisé depuis 1 an, la réduction progressive s’effectuera sur une période de 1 mois ; si le médicament est utilisé depuis 10 ans, la réduction progressive s’effectuera sur une période de 1 an ! Durant le sevrage, le patient peut éventuellement bénéficier de séances d’hypnose, ainsi que d’un « produit de substitution », une substance aux vertus dormitives n’engendrant pas de dépendance. La restauration d’un bon sommeil passe parfois, également, par la réalisation d’un autre type de sevrage ; la liste est longue : alcool, café (coca, etc.), cocaïne, « écrans » (jeux vidéos, TV, internet, etc.), jeux de hasard, jeux de rôles, addiction sexuelle, etc.
De nombreuses difficultés de sommeil tirent leur origine d’une désynchronisation entre l’horloge biologique, les rythmes corporels et le monde extérieur. C’est le cas, par exemple, pour le voyageur qui, ayant traversé plusieurs fuseaux horaires, subit le jet lag, le syndrome de décalage horaire. C’est également le cas pour le travailleur de nuit — ou le travailleur posté —, qui doit inverser (ou décaler périodiquement) son cycle. C’est encore le cas pour l’adolescent, dont le cycle a tendance à retarder, ainsi que pour la personne âgée, dont le cycle avance, le plus souvent. C’est enfin le cas pour la plupart des personnes souffrant de dépression (dépression hivernale [SAD] et dépressions majeures), ainsi que pour les sujets qui pratiquent un sport nécessitant une vigilance prolongée.
Les avancées de la recherche en chronobiologie ont permis de mettre au point, au cours des dernières décennies, toute une série d’outils chronothérapeutiques. Ces outils « remontent » l’horloge biologique, tout comme la couronne permet de remonter la montre-bracelet ! Parmi les outils les plus utilisés, mettons en exergue la luminothérapie (délivrée à l’aide d’un petit dispositif de type luminette), laquelle inhibe la sécrétion de mélatonine. Citons également la programmation de périodes recommandées pour dormir, pour éviter la lumière du jour (via le port de lunettes solaires de type googles), pour prendre de la mélatonine en complément, pour faire de l’exercice physique, pour prendre ses repas, etc. Notons encore la possibilité d’identifier ses propres pics de vigilance et de performances (mnésique, intellectuelle, manuelle et physique) au cours des vingt-quatre heures. Aujourd’hui, un chronothérapeute est en mesure de calculer rapidement un programme de rephasage de l’horloge biologique personnalisé.
Avec environ cinq millions de Belges qui ronflent — et sont susceptibles, de ce fait, de perturber le sommeil de leurs partenaires de lit —, et entre cinq cents mille et un million de Belges qui font des apnées de sommeil — anomalie qui affecte leur propre sommeil et nuit gravement à leur santé —, les troubles respiratoires au cours du sommeil occupent, actuellement, le devant de la scène. Les apnées sont responsables de 50 % des cas de somnolence diurne excessive. Elles sont plus nocives pour le cœur et les vaisseaux sanguins (infarctus du myocarde, AVC, etc.) que la plupart des autres facteurs de risque recensés, et augmentent, en outre, le risque de diabète.
Depuis 1975, date de la découverte du syndrome d’apnées du sommeil, la médecine a fait d’immenses progrès sur le plan thérapeutique. Elle propose, aujourd’hui, un panel de traitements qui regroupe, notamment, des techniques mécaniques — pression positive délivrée par un masque nasal, appareil dentaire (orthèse) d’avancement (ou de rétention) mandibulaire, dilatateur narinaire, etc. — et des techniques chirurgicales — chirurgie au laser de la gorge et/ou du nez, chirurgie craniofaciale, etc.
Ces traitements sont efficaces, mais relativement invasifs. Aussi, une courte prise en charge psychologique constitue souvent le petit plus qui permet d’améliorer la coopération du patient. Citons, entre autres, l’usage de l’hypnose (ou de la sophrologie), ainsi que celui de la désensibilisation progressive, pour accroître la « compliance » au traitement par pression positive. Un suivi peut également aider le patient à modifier certaines habitudes de vie, comme réduire la consommation vespérale d’alcool et/ou de benzodiazépines, l’usage de tabac, et, surtout, faire en sorte de maigrir : l’amaigrissement constitue presque toujours, en effet, le traitement de fond des troubles respiratoires au cours du sommeil.
Par ailleurs, certaines méthodes plus cocasses suffisent, parfois, à maitriser le problème respiratoire lui-même. La thérapie positionnelle consiste, ainsi, à utiliser un petit dispositif interdisant la position dorsale pendant le sommeil (la position la plus favorable au ronflement et aux apnées). Et certains exercices de chant, de même que la pratique régulière du didgeridoo (un instrument de musique à vent d’origine australienne), permettent de remuscler le diaphragme et les muscles de la gorge.
Certains comportements anormaux s’expriment exclusivement pendant le sommeil, sans nécessairement altérer ce dernier. On appelle de tels comportements des « parasomnies ». Parmi les plus courantes, on peut noter le cauchemar, la terreur nocturne, l’éveil confusionnel, le somnambulisme, les rythmies (répétition de mouvements stéréotypés), l’énurésie (pipi au lit), la somniloquie (parler durant le sommeil), le bruxisme (grincement des dents), etc. Certains de ces comportements sont susceptibles d’avoir des répercussions néfastes sur la santé. Ils doivent, en outre, être différenciés des épilepsies à expression morphéique.
Étant donné que les parasomnies touchent essentiellement les enfants, les médicaments sont, bien entendu, fortement déconseillés. On aura plus volontiers recours à des techniques non pharmacologiques spécifiques. Parfois, une simple pédagogie (« hypno-éducation »), ainsi que la mise en application de certaines règles d’hygiène de sommeil, suffit à résoudre le problème. Sinon, l’hypnose et la thérapie brève sont particulièrement bien indiquées. Enfin, une prise en charge de toute la famille (psychothérapie systémique) est parfois loin d’être du luxe.
Ces deux troubles sont fortement apparentés. Encore plus ou moins mystérieux, ils se situent au confluent de la rhumatologie, de la virologie, de la psychiatrie et de la somnologie ! Le plus souvent dans le décours d’une simple « grippe », le sujet se plaint de fatigue diurne excessive, de douleurs vives à des points précis du corps (tender points), de dépressivité, d’anxiété et de sommeil non réparateur. Ces symptômes peuvent être extrêmement invalidants, et ce, même chez le jeune. L’analyse du sommeil permet de confirmer le diagnostic par la détection de marqueurs polysomnographiques relativement spécifiques.
L’approche non médicamenteuse consiste, avant tout, à rompre la spirale d’échec face à l’effort physique, dans laquelle la personne s’est enferrée. Plus ses symptômes sont sévères, moins le sujet fait d’efforts, et moins il fait d’efforts, plus ses symptômes deviennent sévères ! Il s’agit de réaliser, ici, une désensibilisation de la « phobie de l’effort » qui s’est progressivement installée. La revalidation — par le truchement de la physiothérapie — peut également être une aide appréciable. Les troubles du sommeil spécifiques doivent, par ailleurs, être traités aussi : le bio-feedback (musculaire et cérébral) est tout particulièrement indiqué pour cela. Enfin, le trouble anxio-dépressif éventuellement lié, voire sous-jacent, nécessite, parfois, une prise en charge psychothérapeutique en tant que telle.
« C’est la nuit qu’on peut se voir sous son vrai jour », dit la sagesse populaire. Et il est vrai que nos rêves peuvent en dire long sur nous-mêmes. Encore faut-il comprendre ce qu’ils disent ! Depuis la nuit des temps, les hommes ont essayé d’interpréter leurs rêves. Pendant longtemps, ils ont cherché la Clé des songes, un code univoque permettant de traduire les symboles oniriques en messages intelligibles. Depuis Freud, et selon la jolie expression de Prévert, « On a mis la clé des songes sous le paillasson » ! Dans l’approche moderne du rêve, on pense, en effet, que la signification d’une image ou d’un scénario sera différente pour chaque individu. La découverte de cette signification doit donc faire l’objet d’un travail personnel. Aujourd’hui, on dispose de plusieurs méthodes pour aider les personnes qui se montrent intéressées par cette démarche.
La méthode la plus connue est probablement celle, psychanalytique, de la libre association, laquelle reste toujours d’actualité. Évoquons également la place importante réservée au travail du rêve par la gestalt thérapie, laquelle envisage le rêve comme le reflet d’une situation inachevée (et aide, dès lors, l’individu à achever celle-ci, par l’intermédiaire de techniques qui empruntent à l’existentialisme). Cette approche s’apparente, par certains aspects, à l’analyse jungienne du rêve. Relevons, enfin, les techniques ericksoniennes qui, à travers l’hypnose, permettent non seulement de comprendre les rêves, mais aussi de les modifier de l’intérieur. Ce qui se révèle particulièrement intéressant pour traiter les cauchemars récurrents et les flash-backs post-traumatiques.
No need for drugs ! Voilà, en peu de mots, la conclusion à tirer de ce dossier. Bien d’autres solutions efficaces peuvent répondre aux divers troubles du sommeil.
Roland Pec
Roland Pec est psychologue, psychothérapeute et somnologue responsable de l’Unité de sommeil à domicile DOMO SleepWell. Licencié en psychologie (ULB). Formation de somnologue aux États-Unis (Los Angeles). Diplômé en somnologie par la Société Française de Recherche sur le Sommeil (Université de Paris XII).Formé à la thérapie systémique brève (au MRI de Palo Alto, Californie), à l’hypnose ericksonienne (à l’IMHEB) et au travail du rêve en gestalt thérapie (à Esalen, Californie).
Unité de Sommeil à Domicile DOMO SleepWell, Centre Européen de Psychologie Médical PsyPluriel
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