Viktor E. Frankl est un personnage peu présent dans le paysage psychothérapique français. Peu connu et étudié, je ne l’aurais probablement pas encore découvert si je n’étais tombé sur une vieille édition de La Psychothérapie et son image de l’homme dans un recoin poussiéreux de ma librairie d’occasion préférée.
Il fut ainsi transféré d’un recoin à un autre, jusqu’à la pile de livres à lire qui trône sur ma table de chevet, où il a stationné pendant quelques années encore. Ce qui m’a poussé à l’ouvrir sans en connaître le contenu, entre Covid et guerre en Ukraine, m’invite à semer une graine sur l’internet en langue française pour partager ma découverte de cet auteur souvent ignoré chez nous, voire en francophonie. Et pourtant, le personnage est attirant. Psychiatre et psychothérapeute, mais aussi neurologue, chirurgien et docteur en philosophie, Viktor Frankl est d’abord connu pour son récit des camps de concentration, où il fut déporté en 1942 avec sa famille. Là, il observe ce qui pourrait bien différencier ceux qui survivent et les autres. Il découvre que la robustesse physique ne garantit en rien la survivance, au contraire d’une vie intérieure riche, qui permet de faire contrepoids lorsque la réalité extérieure est insupportable. Il fait également l’hypothèse que les plus aptes à survivre sont ceux qui ont un projet, quelque chose à faire pour l’après.
Disciple d’Alfred Adler avant de prendre son autonomie, il est contemporain de Freud qu’il rencontre, mais dont il demeurera distant.
Viktor Frankl a élaboré une psychothérapie dirigée vers le sens de la vie, qu’on pourrait dire existentielle, et qu’il nomme logothérapie.
Tout cela, vous pouvez le lire sur la page Wikipédia de Viktor Frankl. Mais la forte adéquation entre les propos de Frankl et ce que je lis, vois, entends chaque jour, m’invite à écrire quelques lignes de plus. Notre époque est propice à la recherche de sens, nul besoin d’être très malin pour s’en rendre compte, on le claironne d’ailleurs partout. Ce qui pouvait poindre depuis quelques années déjà s’est fortement accéléré avec la pandémie, dont l’enthousiaste sortie artificielle, provoquée par un allègement des restrictions aussi soudain et incohérent que fut sa mise en place, a été froidement douchée par l’irruption de la guerre. Que faire dans ce monde étrange, quel avenir imaginer, voilà à peu près ce avec quoi chacun se débat en ce moment, si tant est qu’il en ait le loisir, autrement dit s’il a la chance de n’être pas occupé à organiser sa propre survie.
Des mouvements comme celui de la Grande démission paraissent montrer une révolte contre un système en fin de cycle, mais si on les observe au prisme de la désaffection de la sphère politique, et de la sphère publique en général, ils pourraient tout aussi bien entrer dans le cadre d’un repli massif sur soi, celui qu’on nomme à tort individualiste. Nous sommes peut-être dans un entre-deux, au sujet duquel cet extrait de Viktor Frankl aurait pu être écrit aujourd’hui :
« Je me risquerai à prédire que tôt ou tard un nouveau sentiment de responsabilité s’emparera de l’homme moderne : j’en vois les signes avant-coureurs dans la marée des contestations. Il faut pourtant reconnaître qu’une bonne partie de ces prétendues contestations se ramènent à un « test d’opposition », dans la mesure où elles s’insurgent contre quelque chose plutôt que de s’engager pour quelque chose – dans la mesure où elles ne savent pas proposer des alternatives constructives. Elles paraissent ignorer ou oublier que la liberté se pervertit et dégénère en arbitraire si elle ne trouve pas son indispensable complément dans la responsabilité ». (in La Psychothérapie et son image de l’homme, p.157)
Là où Freud parlait de frustration sexuelle, Viktor Frankl substitue le terme de frustration existentielle ; les humains sont malheureux parce qu’ils ne savent pas où ils vont. Sans but, la vie est une errance qu’on tente de masquer avec une couche de bonheur suffisamment épaisse. On retrouve ici toute la dynamique d’une grande partie du développement personnel et du bien être, que Frankl aurait probablement fustigé, comme il fustigeait la recherche d’accomplissement pour elle-même, quête narcissique et vaniteuse si elle est dépourvue d’un sens plus élevé.
Nous gagnerions à nous plonger dans ses écrits qui amènent chacun à s’interroger sur l’existence, la responsabilité, qui nous incitent à douter plutôt qu’à réagir. J’ai été réellement surpris par l’actualité de son propos qui date d’un demi-siècle et continue de m’interroger sur les raisons qui l’ont rendu si peu visible dans le paysage psy français. Trop proche dans son identité de la psychothérapie existentielle, pas suffisamment identifiable ? Pris entre deux époques, entre psychanalyse freudolacanienne et nouvelles thérapies ? Ou bien est-ce simplement moi qui suis passé complètement à côté ? Mieux vaut tard que jamais, ouf, me voici un peu plus à jour. Et vous ?
« Pleurer atteste de ce qu’un homme fait preuve
du plus grand des courages, celui de souffrir ».
V. E. Frankl
Vidéo : Interview de Vikto Frankl - Trouver du sens dans les moments difficiles
Pour aller plus loin :
• La psychothérapie et son image de l’homme, difficile à trouver, à rééditer !
• Un article sur Viktor Frankl par Joran Farnier et conçu comme un résumé de son livre le plus connu : Découvrir un sens à sa vie avec la logothérapie
• Autre article de Nicolas Depetris sur Frankl et la thérapie existentielle.
Pascal Aubrit s’inscrit dans le courant de la psychothérapie relationnelle. Ce champ disciplinaire est basé sur le postulat suivant : quelle que soit la technique utilisée par un thérapeute ou ses outils, c’est avant tout la relation qui soigne.
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