On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. (Héraclite)
Il est des phrases qui marquent un parcours, au point qu’elles nous reviennent régulièrement en écho plus tard. Quand on change, on a changé, était l’un des mantras de Nicolas de Beer et Isabelle Laplante, auprès de qui je me suis formé au coaching entre 2009 et 2011. Ils exprimaient là leur croyance dans un monde en perpétuel changement, en un équilibre sans cesse renégocié. Une croyance qui nous soutient lorsque la vie nous fait croire à un douloureux retour en arrière.
Tout est à refaire ; ça recommence encore une fois ; me voilà rendu à mon point de départ ; c’est toujours pareil. Nous exprimons ainsi la vague de désespoir qui nous submerge lorsque la vie nous remet face aux accrocs de notre histoire. Nous pouvons même être pris, parfois, dans une volonté inconsciente de voir ainsi le récit se dérouler encore et encore, sous notre regard apparemment impuissant ; vous aurez peut-être reconnu la compulsion de répétition que décrivait Freud.
Le travail thérapeutique consiste justement à identifier, puis circonscrire, ce qui se répète, pour tenter la délicate mise en place d’un aiguillage, afin de ne plus suivre les rails pourtant rassurants de notre pilote automatique. Quel désastre lorsqu’il nous semble que tout ça demeure vain, face à ce qui nous apparaît comme les manifestations de l’implacable destin. Nous voilà à nouveau comme le château de sable léché patiemment par les vagues, puis très vite englouti par la marée, alors même que nous avions mis en place toutes les défenses possibles et imaginables, triple niveau de douves, renforts de galets, dérivation du courant…
Pourtant, si le château de sable disparaît inexorablement, il est injuste et erroné de penser que nous revenons à la case départ. D’une part, nous gardons en nous le moment – peut-être partagé avec d’autres – à bâtir ce château de sable et à tenter de le sauver. D’autre part, nous conservons l’expérience qui servira à construire le suivant.
Philosophe du 6ème siècle avant J.-C., Héraclite soutient que tout est en perpétuel changement. Il s’oppose à l’idée de permanence, d’essence et d’identité. (source : la pause philo) Il affirme le changement absolu : malgré les apparences, rien ne demeure identique mais tout se défait et se fait constamment.
Lorsque Héraclite nous dit qu’on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve, c’est parce que le fleuve, comme le baigneur, sont en évolution constante. L’eau s’écoule, le temps passe, et de ce fait, une situation ne se produit jamais deux fois à l’identique. Certes, je refais des erreurs qui me font penser que je n’ai rien appris, mais si j’y porte l’attention, ce ne sont jamais tout à fait les mêmes. De toutes petites différences me permettent de mesurer mon avancée, même si c’est par à-coups.
Bien sûr, nous aimerions que ça aille plus vite, progresser plus sûrement, plus régulièrement. Les patients s’en plaignent parfois. En filigrane, on entend le reproche adressé au psy, à la méthode : comment ça, mais on fait du sur-place ! Seulement, il en va en psychothérapie comme dans tous les apprentissages, apprendre est souvent plus chaotique qu’on ne l’imagine.
Dans mes formations d’éducateur sportif, on nous présentait souvent ce diagramme, ou un équivalent, tiré des recherches de Jean Piaget, qui illustre la manière dont nous apprenons. Il est certainement dépassé aujourd’hui par les récents développements des neurosciences. Mais il me semble parlant, car il montre comment un apprentissage déstabilise un équilibre pour l’amener à un autre, en passant par une phase de régression qui peut être frustrante. Tous les sportifs ayant eu à corriger un jour un défaut qu’ils avaient pris depuis longtemps ont maudit leur entraîneur en voyant leur niveau baisser durant la phase de déséquilibre, ici en rouge. Mais s’ils ont eu le courage de poursuivre leur effort, ils ont pu profiter ensuite de leur progression, après avoir intégré l’apprentissage correctif permettant d’augmenter leurs performances.
Bien sûr, c’est la vision la plus positive. Il arrive également que le nouvel équilibre ne soit pas plus élevé que l’équilibre initial (il est rarement en-dessous), mais la mise en abscisse introduit l’irréductibilité du temps et renforce notre conviction : une fois engagé, le retour en arrière est impossible.
Les addictologues le disent : si vous avez arrêté de fumer deux semaines, c’est toujours ça de pris. Bien sûr, vous pouvez culpabiliser, je n’ai pas tenu, je suis encore retombé. Mais le plus important consiste à se dire que vous avez gagné deux semaines. Deux semaines de cigarette en moins dans vos poumons, mais aussi l’expérience de l’arrêt, du manque, les efforts pour tenir, tout cela est acquis, rien ne saurait vous le voler.
De la même manière, même si nous avons parfois l’impression de retomber dans nos travers, de nous être faits avoir encore une fois, c’est pourtant un moment différent et unique. Ni Sisyphe remontant sa pierre le long de la montagne, ni le bousier construisant un énième agglomérat et le poussant devant lui (ou derrière) ne sont en capacité de suspendre leur action pour s’interroger sur ce qu’ils sont en train de faire.
Certes, la conscience nous rend parfois nos échecs plus douloureux encore, mais c’est cette conscience au travail qui permet d’imaginer l’aiguillage que nous finirons par prendre un jour. Quoi qu’il en soit, nous ne reviendrons pas à la case départ, ni ne serons jamais comme avant. Forts de nos réussites et de nos échecs, avançant dans le temps, nous serons comme après.
Pascal Aubrit s’inscrit dans le courant de la psychothérapie relationnelle. Ce champ disciplinaire est basé sur le postulat suivant : quelle que soit la technique utilisée par un thérapeute ou ses outils, c’est avant tout la relation qui soigne.
Cabinet de psychothérapie
120, rue Adrien Lemoine
95300 Pontoise - France
Tel. 0609115058
Site
Facebook