Je suis très ennuyée de venir ici me plaindre de mes petits problèmes, alors que d’autres personnes souffrent vraiment, enfin je veux dire, plus que moi. Cette personne que j’ai croisée tout à l’heure dans votre salle d’attente semblait aller très mal, j’ai culpabilisé à l’idée que je venais avec des futilités, alors que certains ont de vrais enjeux…
Pour un psy, ce discours est familier. Il est particulièrement énoncé par des personnes qui ont grandi dans des familles où la plainte est proscrite. Construits dans l’âpre et le dur, forgés pour avancer dans la vie sans rechigner, ils ont fini par oublier qu’il leur était possible de se plaindre sans qu’on les taxe de faiblesse ou d’apitoiement facile.
A l’inverse, en psychothérapie, on apprend à ne pas se comparer ; qu’il y a certes toujours plus malheureux et plus misérable que soi, mais que ça n’en fait pas une raison suffisante pour se taire lorsqu’on souffre.
Bien sûr, la plainte n’est pas une fin en soi, comme l’a souligné François Roustang, ni la thérapie une jérémiade interminable sur la condition humaine. Mais se plaindre est une étape nécessaire. Tout comme un alcoolique ne peut se soigner tant qu’il n’admet pas son état, aller mieux est très difficile si je n’assume pas que je vais mal.
Mais mal comment ? Puis-je dire que je vais mal alors que je ne vais pas si mal que ça ? C’est ici que les Monty Python et leur Flying circus viennent nous montrer à quel point ma souffrance n’est pas comparable avec celle d’un autre.
Le sketch qui suit dans cette vidéo s’intitule Four Yorkshiremen. Il met en scène nos quatre comparses dans une ambiance on ne peut plus britannique. Smoking tiré à quatre épingles, cigare et brandy à la main, la discussion de ces quatre gentlemen s’apprête à raconter l’épopée de leur réussite financière et de leurs succès, quand elle prend soudain une tournure toute autre. En effet, le narcissisme qu’on pensait voir apparaître dans le récit de leur success story ne devient visible qu’en négatif, à travers une succession de récits d’enfance bafouée, plus sordides les uns que les autres. C’est à celui qui aura été le plus pauvre, malheureux, battu… Le running gag étant le suivant : comment peux-tu te plaindre, chez moi c’était pire !
Le récit tourne vite à l’absurde, nous démontrant qu’il est aberrant de vouloir comparer deux existences différentes. Ma vie, ma souffrance, ma trajectoire, sont miennes, donc uniques. Savoir que d’autres enfants que lui mourraient de faim au Soudan ou en Chine (à l’époque) n’a jamais aidé un enfant à apprécier les épinards.
Ce sketch des Monty Python montre également la manière dont le narcissisme vient se loger à des endroits inattendus. Car l’enjeu pour chacun des 4 yorshiremen est bien d’apparaître comme le plus grandiose, du fait d’être revenu du fin fond des enfers. Cela me rappelle une histoire tout aussi absurde et paradoxale, où le narcissisme des protagonistes est rattaché à l’enjeu d’apparaître comme le plus humble :
Trois astrophysiciens se trouvent dans un taxi entre le lieu de la conférence qu’ils viennent de tenir et leur hôtel. Après un bref moment de silence, le premier s’exprime ainsi : « Quand je pense à l’immensité de l’univers et à la petitesse de mon savoir, je me dis que je ne suis rien du tout. »
Les deux autres acquiescent en silence, puis le second astrophysicien prend la parole à son tour d’un ton pénétré : « Quand j’entends ce que j’entends et que je pense à l’infinité du temps, je me dis que je ne suis qu’une poussière dans l’univers. »
Chacun prend un temps pour mesurer les paroles qui viennent d’être dites, puis le troisième s’élance à son tour : « Quand je pense à la somme des connaissances que je n’ai pas et n’aurai jamais le temps d’apprendre, et quand j’entends ce que j’entends, je me dis… (Il marque un temps) Je me dis que je suis microbien. »
Le silence qui suit ces déclarations vient finalement à être interrompu par le chauffeur de taxi : « Quand je pense à la somme de connaissances que vous représentez tous les trois et quand j’entends ce que j’entends, je me dis que moi, je suis moins que rien du tout ».
Les trois astrophysiciens se regardent alors, interloqués, avant d’apostropher le chauffeur : « Mais pour qui se prend-il, celui-là ? »
Pour aller plus loin :
Pascal Aubrit s’inscrit dans le courant de la psychothérapie relationnelle. Ce champ disciplinaire est basé sur le postulat suivant : quelle que soit la technique utilisée par un thérapeute ou ses outils, c’est avant tout la relation qui soigne.
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