Chronique

Séduction ...? La tentation de l’innocence…

Par Virginie Megglé


Séduction ...? La tentation de l'innocence…

Admirée ou ridiculisée, à la lisière du délicieux et du détestable, qu’elle soit du ressort de l’innocence ou de celui de l’incroyance, qu’elle s’exerce de façon passive ou active, la séduction lance un défi à la loi. Et qu’elle agace, ravisse, flatte, intrigue, surprenne, paralyse ou démobilise, son champ pose une question de frontières, de partage, de respect, de (re)connaissance, en terme parfois de droit et de non droit. Pointant ce qu’il est permis de considérer comme juste selon les normes héritées, elle nous invite à réfléchir sur les écarts et les différences, sur les limites que l’on trace et celles que l’on franchit.

Charme, flatterie, persuasion… Exhibitionniste ou insidieux, plus ou moins discret, son exercice serait l’expression probable d’une légitime volonté de puissance… Jouant sur l’apparence, le visible, le perceptible pour atteindre l’imperceptible, elle répond à un besoin viscéral de plaire, d’attirer l’attention, d’entretenir l’illusion (de l’éternité). Plus ou moins lumineux, plus ou moins généreux, plus ou moins manipulateur ou pervers, son pouvoir rassure sur l’attention que l’on nous porte car il exige que l’on se présente sous son meilleur jour. Première ride, premier cheveu blanc, premier enfant, à la faveur de certaines transformations, nous nous interrogeons tous sur ce pouvoir. Et lorsque l’un de nous tire force et fierté de ses tempes grisonnantes l’autre ne pensera qu’à les camoufler…

Rarement dénuée d’arrière-pensée – bonne, mauvaise, affleurant ou non à la conscience – la séduction peut abuser celui dont on veut s’aliéner les faveurs…

Énigmatique, elle laisse entrevoir un sentiment, soupçonner un émoi, plus qu’elle ne les traduit. Et agissant comme une ruse, elle l’utilise pour échapper aux situations délicates. Étrange, ambiguë, alors qu’elle interroge les mystères de l’âme et les tréfonds de l’inconscient, dans le meilleur des cas, elle est le masque qui signe la pudeur …

Invitant à défier les convenances, encourageant l’imprudence, le risque, l’exception, l’exquis parfois, l’injuste ou l’interdit, celui qui joue de son influence fait appel au charme. À l’envoûtement. Aux pouvoirs magiques. Aux jeux de l’acteur, aux pirouettes du clown, aux calembours, à l’humour… Pour distraire. Stratagème plus ou moins volontaire, elle agrémente en cas de crises les rapports sociaux avant qu’ils ne se distendent ou dégénèrent en lutte. Précieuse pour appâter, enjôler, décrisper un moment de tension, égayer l’atmosphère. Utile dans le rapport amoureux pour (r)animer la flamme ou faire surgir la lumière sur un visage que la douleur détruit, la séduction sollicitée à bon escient prépare des surprises agréables. Un secret à l’oreille, une caresse à la dérobée, une proposition alléchante, un compliment inattendu. Un soupçon d’on ne sait quoi… Mimique désopilante, gerbe de fleurs resplendissante ou coupe de champagne malgré les dettes. Stratégie ou art d’être attentif à son interlocuteur, la séduction, telle une nécessité, se faufile partout… Clin d’œil et appel à la connivence en amorcent la démarche, qu’elle soit ou non offensive. Et nous aimons le plus souvent séduire ou être séduit…. À condition d’être consentant. Mais comment deviner si Méphisto ne se glisse derrière l’hôte accueillant pour n’en faire qu’une bouchée… ?

Séduire, qui a concurrencé puis éliminé l’ancien français souduire, n’a perdu aucune nuance de ses origines latines. Formé avec la préposition sub, dessous, sur la racine duco, ducere, ductum, tirer, mener et, par suite logique, être attirant pour, subducere (prononcer soubdoukéré !) a pu aussi bien dire, attirer vers, attirer à soi, exercer une traction, soulever, amener en haut, séparer, retirer, soustraire, tenter, enlever à la dérobé… avant de se transformer en vieux français « souducere » puis « souduire » et de laisser enfin la place à notre moderne séduire.

Tentative de maîtriser l’univers symbolique, impulsée par une volonté de posséder, détruire ou dévorer, la séduction, même quand elle convoque des principes spirituels, a le plus souvent une portée charnelle. Avec elle, c’est le corps qui entre en jeu dans la valse des désirs, la jouissance (sexuelle ou non) qui s’éveille et l’esprit en perd parfois la raison. Il n’est qu’à évoquer l’influence de certains gourous qui au nom de principes souverains subordonnent leurs adeptes au profit d’une fortune matérielle et sexuelle… personnelles !

La séduction n’est pas chose simple. Manipulation ou invitation… ? Deux regards qui se croisent et l’un qui accroche… Faut-il le fuir ou se laisser ravir par le plaisir qu’on y lit ? Comment discerner le stratagème intelligent de la pression malhonnête ? Quand est-ce que le charme exercé pour le bonheur de tous bascule dans une volonté égocentrique de contraindre l’autre pour un appétit égoïste ?

Aime séduire qui se persuade de pouvoir le faire… Mais au-delà de l’attirance qu’elle met en scène, le problème que pose la séduction est celui des pièges qu’elle nous tend au nom de l’innocence… Serait séduisant ce qui exerce une attraction irrépressible. Et séducteur celui qui exprime la volonté de l’exercer pour arriver à ses fins. Quand le premier attire, comme malgré lui, de façon puissante, irrésistible, sans chercher à créer l’illusion, le second, sans scrupule, tentera de détourner sa proie de façon délibérée pour l’utiliser à ses fins non avouables.

Ainsi la méchante belle-mère de Blanche Neige qui ne supportait pas que la beauté de celle-ci surpassât la sienne, se déguisa-t-elle en inoffensive vieille dame et piégea par trois fois la fillette, non encore instruite des difficultés de la vie. Et l’enfant périt pour avoir croqué dans une pomme « belle, blanche et rouge », qu’on lui tendait « car quiconque la voyait eut envie d’y mordre »…

De son côté, Blanche Neige séduit successivement le chasseur, ému au point de désobéir à la reine en épargnant la vie de la fillette ; les nains, touchés par sa grâce bien qu’elle soit rentrée chez eux en leur absence et leur ait ensuite désobéi, et enfin le Prince qui succombe à sa beauté en son sommeil, sans pour autant abuser d’elle... Symbole de la séduction à l’état pur considérée par bonheur innocente, elle reste impunie malgré sa désobéissance. Mais qu’elle soit active, sous les traits d’un loup charmeur, d’une alléchante commerçante ou passive, figure d’une belle endormie, la séduction facilite la transgression des interdits. Et celle de Blanche Neige, qui n’avait pourtant rien manigancé… a bien « détourné le chasseur de son chemin » !

Jouant avec les apparences, virtuose du subterfuge et du faux-semblant, le séducteur impénitent aime à se parer des plus beaux atours. Expert dans l’art de manier le double langage et détourner l’attention pour parvenir à ses fins, avec lui toute relation est histoire de manipulation. Aimant être populaire à l’aide de manœuvres parfois peu populaires, il se dissimule derrière un masque plus plaisant qu’elles ne sont… Pour lui la fin justifie les moyens. Mensonges, tromperies, fausses promesses, sont monnaie courante… Ivre de lui-même, affairé à entretenir l’illusion, il cherche désespérément quelqu’un qui lui résistera et sa vérité dans celle des autres ! Éternel insatisfait, incorrigible chasseur de proies qu’il lâche à peine vampirisées, on peut comprendre qu’il n’ait que faire de la sincérité d’un miroir qui ne lui est d’aucun réconfort, et supposer qu’il en conçoive une amertume qu’il s’emploie à dissimuler toujours ailleurs à la conquête d’un nouveau leurre pour apaiser sa douleur.

Le virtuose de la séduction aime toucher, atteindre, ébranler, faire plier. Confondant plaisir de duper et celui de plaire, il se complait sans remords dans la turpitude. Diabolique, pour se dédouaner, il attribuera à la folie de l’autre ce qui résulte de sa seule extravagance ! Comédien dans l’âme, infidèle en amour comme à ses promesses, sa conduite varie au gré des circonstances. Mais quand la gentillesse se referme sur un piège, l’aigreur guette derrière la douceur. La séduction « démoniaque » s’exerce aux dépens de celui qui se laisse séduire mais le séducteur ne sort pas toujours grandi de l’entreprise. Face à la séduction, la répulsion qu’inspire la sorcière, une fois découvert son stratagème.

Pas besoin d’être sublime, les cas de séducteurs à priori rebutants ne sont pas rares. Mais que la grâce les approche et on présume la leur d’autant plus subtile que discrète. Ce qui parfois s’avère. Parfois se contredit… L’important est de croire en soi, d’être opiniâtre, de posséder… un je ne sais quoi qui sans correspondre aux canons révèle une aptitude à capter l’attention en créant la surprise … Une haute idée de soi - pendant ultime d’un sentiment d’infériorité ou d’une certaine vacuité que l’on cherche à fuir - peut fédérer une cour qui rassure sur ce que confèrerait cette beauté que l’on souffre de ne pas avoir… !

Cherchant sa vérité dans celle de l’autre le séducteur, sensible à ce qui présente un caractère diabolique, n’hésite pas à s’inventer une nouvelle histoire à chaque nouvelle rencontre ni à saccager une existence fraîche et innocente. Emblème de l’éternelle jeunesse, quand il commence à se friper, s’il ne modère ardeurs, il frise le ridicule. Et sa passion le condamne à souffrir plus encore…

Mais séduction et volonté de séduire ne sont pas toujours perverses. Pour qu’une volonté d’attirer le soit, il faut que les buts avoués en dissimulent d’autres inavouables. Que le séducteur ait des intentions captatrices déguisées, tel le loup - qui utilise les sentiments d’une petite fille à l’égard de son aïeule pour servir sa propre absence de sentiment - et dont le stratagème met délibérément son but hors de portée du petit Chaperon Rouge.

Un sourire est parfois nécessaire pour accompagner des soins douloureux… Impliquant un vouloir plaire rassurant, à travers des gestes quotidiens qui ne peuvent être tout à fait neutres, la séduction fait partie intégrante des soins que la mère prodigue à l’enfant. Sur le plan universel de l’inconscient parental, on peut considérer que cette dispensatrice de soins corporels devient la séductrice. Est-ce par mimétisme ou en réponse à la séduction maternante ? De son côté, très tôt le bébé a envie de séduire comme pour se rassurer sur sa capacité à entrer en contact, en attirant la bienveillance…

Façon de se situer au cœur de sa famille puis dans la société, ne peut-on imaginer qu’il tend à séduire d’une part, pour éprouver son pouvoir sur l’adulte avec une jouissance certaine mais … encore fort de sa fragilité ! Et d’autre part, pour mesurer la validité de celui de l’adulte, s’assurer de son authenticité avant de s’y adosser ? L’enfant étant en quête de ces limites indispensables à la construction d’une identité, il importe au parent, de veiller à éviter tout excès, de ne pas prolonger le bienfait d’un geste « délicieux » au-delà du besoin ou de la nécessité vitale, de ne pas le détourner au profit de son seul plaisir adulte et de ne pas jouir par procuration du pouvoir de séduction de ses enfants.

L’envie de séduire peut aussi être la marque d’un manque de confiance en soi… qui pousse à plaire ou faire plaisir car on ne se sent pas aimé. On peut imaginer un séducteur agité d’un profond sentiment d’insécurité contracté dans les premiers mois de sa vie face à une situation maternante troublante qui le conduit à douter profondément de son amabilité. Cette séduction procèderait d’un acte de désespérance, de survie, de résistance à l’appel du vide devant une mère par exemple qu’aveuglerait douleur ou indifférence… Parfois aussi, c’est en désespoir de cause qu’un enfant cherche à séduire une mère qui le rejette, car elle le trouve « pas »… Pas beau, pas fille, pas garçon, pas. Ou « trop »… Trop gros, trop grand, trop petit, trop maigre…Ou parce que « absente », elle l’amène à se rappeler à son souvenir, à lui signifier sa présence si ce n’est son existence. La séduction est alors le pendant maladroit d’un sentiment d’abandon qu’elle voudrait conjurer. Séduire pour se persuader qu’on n’est pas le rien que l’on redoute de devenir. Séduire car on ne soutient pas la comparaison ou pour résister à la tentation de disparaître en devenant mieux que ce rien qu’il nous semble être dans le cœur d’une mère elle-même aspirée par son mal de vivre… Ainsi, l’enfant qui séduit ses parents est parfois peu sûr de la valeur de l’amour qu’il reçoit. Comme si celui affiché était remis en question par une autre réalité… Et le désir de plaire, l’expression d’une défense pour échapper à l’angoisse de mort.

Difficile ici de ne pas évoquer les hésitations de Freud. Son questionnement. Ses tâtonnements. Et de ne pas pencher pour la théorie de la séduction, telle qu’il l’avait d’abord pressentie. Tout fantasme de séduction abusive aurait des origines bien ancrées dans le réel. Que le sujet ait subi une scène de séduction ou qu’il soit, en quelque sorte l’hôte, (le réceptacle) passager de restes mnésiques d’actes abusifs supportés par un ancêtre et transmis de façon douloureuse par la mémoire familiale et l’hérédité.

La sexualité que suppose la démarche de séduction qu’un adulte entreprend vers un enfant fait effraction dans l’univers de celui-ci.

Toute scène de séduction passive vécue par l’enfant dans l’effroi a une valeur pathogène et traumatisante - c’est-à-dire apte communiquer une sensation de mise en danger et de paralysie contre lesquels l’enfant n’est pas en mesure de se protéger.

Répétition au mobile inconscient, il est des lignées de séducteurs ou de séductrices dont il n’est pas toujours facile d’être le fruit. Une mère séduisante décontenance mais une mère séductrice plus encore. Elle dit l’insatiabilité à l’origine parfois de conduites addictives. Aussi envahissante qu’une mère indifférente est inquiétante, ne supportant pas que l’on s’éloigne sinon pour servir son narcissisme tout à la fois blessé et blessant, exacerbé et exacerbant, elle monopolise l’espace, n’en laissant guère à sa progéniture qui voit surgir le désir d’échapper à son emprise, en même temps que l’espoir sans fin d’être reconnu par elle.

Difficile d’être l’objet de celui ou de celle qui ne se supporte qu’en étant admiré, sans chercher à l’être à son tour à tout prix. Mais pour qu’un enfant joue de son pouvoir d’attraction encore faut-il qu’un partenaire le lui confirme…Un adulte qui succomberait à ses faveurs ne pourrait l’en tenir pour responsable. L’enfant ne peut intégrer le sens d’une démarche de séduction à son endroit, sinon en tant qu’intrusion de caractère traumatique. Non encore apte à évaluer la portée de ses actes, il a besoin qu’on leur impose des limites, au fur et à mesure qu’il s’affirme.

Traiter une enfant d’allumeuse sous prétexte que l’on est sous son charme revient à se donner une excuse en inversant l’ordre des choses pour profiter de ce charme… Qu’un adulte s’amuse des gestes d’un enfant, à son corps défendant, ou les interprète de façon tendancieuse, trouble ce dernier… L’enfant aurait la prescience du bien et du mal. L’intrusion de l’inconscient de l’adulte dans son univers, à travers certains actes apparemment innocents qui véhiculent des connotations sexuelles, destinées à se faire plaisir à travers lui, lui fait violence car il n’est pas en âge d’en comprendre le sens, ni de les intégrer. Entre l’enfant et l’adulte, la séduction ne peut s’exercer de manière interactive sans danger. L’adulte se devrait de ne pas répondre par la séduction à la séduction qu’exerce sur lui l’enfance. C’est à lui d’essayer au-cela de ses pulsions inconscientes de maîtriser les messages qu’il fait passer à travers gestes et paroles, pour ne pas porter atteinte à l’enfant ni nier la responsabilité que confère l’expérience. Jetant un trouble dans l’intimité, toute tentative de séduction serait susceptible d’attenter à la pudeur. Pour qu’elle reste délicieuse, trouve sa légitimité, la maintienne, la séduction nécessite un rapport de force équilibré entre les parties qui la lient, et des intentions dénuées d’arrière-pensées « criminelles ».

Mais la relation vitale, ouverte dans la réciprocité, peut aussi s’émailler - à travers des mots anodins - de messages imprégnés de significations sexuelles - traces résiduelles inconscientes d’événements traumatiques - énigmatiques pour l’enfant, mais aussi pour l’adulte qui les transmet, comme à son insu. Leur puissance au-delà du réel peut les piéger - l’un et l’autre - et troubler en même temps l’enfant présent et celui que l’adulte a dû refouler suite à une expérience traumatisante. Un travail d’accompagnement pourra aider l’enfant, devenu adulte, à symboliser ces « messages compromis » pour éviter une répétition tendancieuse.

Au-delà du nécessaire, le registre de la séduction détourne l’enfant de ses besoins véritables et devient un mode de fonctionnement, dont il aimerait pouvoir se sortir. Prise aux jeux de la séduction, depuis son enfance, pour égayer une mère dépressive, une femme peut avoir l’impression de plaire pour ce qu’elle n’est pas, tout en cherchant à attirer, par son comportement, des hommes qui en définitive, lui proposent ce qui ne l’intéresse pas. Ne sachant en quoi elle plait, elle a souvent l’impression de tomber dans un piège. Sans savoir lequel. De ne plus - ou ne pas - être elle-même. Et rêve, sans y parvenir, à des contacts plus profonds, plus stables, plus équilibrés, plus équilibrants, qui n’inviteraient pas à s’arrêter aux apparences, ni ne se laisseraient subjuguer par elles.

Au-delà du charme qu’elle distille une relation qui s’appuie sur la séduction emprisonne.

Une face de la personnalité mise en valeur peut… en effacer une autre. Mignon, on ne saurait être vilain et on s’interdira tout ce qui le laisserait croire… Déclaré gentil, on peut en venir à éviter tout geste susceptible d’être interprété comme ne l’étant pas, et l’éventail est large qui met la gentillesse en question sans pour autant être de la cruauté… La séduction fige et admet mal une attraction contraire. Aussi faut-il être vigilant lorsqu’un aspect de notre personnalité attire, car il se peut que l’on cherche, par la flatterie, à nous enfermer dans ce qui tend à en interdire d’autres, tout aussi passionnants, pour les neutraliser, car ils se feraient menaçants pour celui qui nous prétend séduisant. Nous estimant dangereux pour lui… Il peut le devenir de ce fait envers nous. Ce n’est pas tant du machiavélisme concerté qu’un mode de défense humain qui exhorte à l’éveil. Ainsi voit-on fleurir les appellations « minorisantes » faussement tendres, « gentil » « charmant » « serviable » qui tendent à exclure. « Toi qui réussis si bien le thé peux-tu nous en préparer un…Pendant que nous allons nous promener ». Par sa façon de paralyser en se manifestant « séduit » par un aspect enchanteur de votre personne auquel il voudrait vous réduire, quand s’ouvre pour vous des portes qui ne s’ouvrent pas pour lui, le séducteur redoute le séduisant qui risque de le détrôner. Et veut se l’aliéner.

Un brin de séduction intervient de façon positive pour détourner l’enfant d’habitudes dans lesquelles il s’emmure. À doses homéopathiques, elle peut le sortir de la torpeur. Mais certaines personnes, dont le(s) charme(s) s’étiole(nt) avec le temps, découvrent d’autres ressources pour exercer un ascendant plus ou moins tyrannique auquel elles ne sauraient renoncer pour rien au monde… Tout comme les pleurs peuvent être un moyen de séduction enfantin, la plainte de l’adulte en est un autre pour capter l’attention sur ses problèmes affectifs… Ne pas se laisser manipuler par celui qui tente de vous attirer par ses difficultés à vivre, ses problèmes conjugaux, n’est pas toujours facile, car en général cela fait appel à notre compassion… Derrière les plaintes et les pleurs les plus émouvants, peut se dissimuler un grand narcissique qui se soucie peu de vous, sinon pour son confort. Car c’est bien le piège de la séduction de n’attirer à soi que pour flatter.

Sans stigmatiser la moindre invitation empreinte de sexualité… Ni voir derrière chaque caresse une tentative de soumettre, on peut (se) mettre en garde contre les risques de dérives inconscientes.

Une tentative de séduction peut être plus lourde qu’on ne le croit en fonction de la fragilité de la personne à qui elle s’adresse, en fonction de ce qu’elle réveillera en elle d’un passé douloureux…

L’adolescent aime à être populaire envers autre que père ou mère… Quitte à créer l’illusion de l’amour en attendant de le rencontrer ! On comprend qu’il ait envie de mesurer sa faculté de plaire hors de la maisonnée familiale ; d’oublier dépit et contrariété, mettre de côté les tracas quotidiens, être reconnu aussi par celui - ou celle - qui l’aidera à se dégager de la tutelle parentale. Quoi de plus important que de prendre des forces en se développant à l’extérieur, en y exerçant son pouvoir ? Séduire une amie, un camarade … Un professeur… ? Intervient ici la réponse en tant que sens qu’elle produit en retour. Le bonheur de la jeunesse nous attire et nous nous laissons volontiers gagner par sa générosité qui éclaire un instant la grisaille, sans pour autant avoir envie d’amorcer une relation sexuelle… Son ardeur à défendre une cause enchante. Son absence de préjugé nous fascine. Entre deux de même poids, il en va des rapports de force ordinaires dont on sort plus ou moins vaincu, plus ou moins vainqueur. Mais là encore il faut faire preuve de vigilance… Certains professeurs choisissent de revêtir une neutralité sévère… pour s’interdire de répondre aux avances de l’adolescent même s’ils n’y sont pas insensibles . Devons-nous veiller, parents, à ce que l’enfant n’abuse de son charisme pour lui épargner certaines déconvenues ? Ou le laisser traverser des situations délicates pour qu’il fasse l’expérience par lui-même du bien et du mal, comme Blanche Neige, par trois fois prise au piège ? Et comment mettre en garde l’adolescent sans être suspecté de le jalouser et d’exercer telle la sorcière un pouvoir castrateur ? Tact et délicatesse sont précieux. Le sens social peut marquer ici les limites de l’exercice de la séduction dont les vertiges tournent parfois la tête et nous mènent là où nous ne pensions aller…

Arme à double tranchant, avantageuse entre personnes de même rapport, la séduction mal utilisée procure une force que l’on est tenté de gaspiller sous l’emprise de la passion. De même qu’elle peut venir combler un manque de confiance en soi, elle peut l’engendrer en se substituant à tout autre mode de relation. Plus ou moins manipulateur, plus ou moins aimant, on a tous, homme ou femme, un petit Dom Juan, un méchant loup ou une vieille sorcière qui sommeille en soi et rêve plus ou moins de s’exprimer pour capter l’attention du monde… Mais grandir c’est aussi ne plus chercher à plaire à n’importe quel prix, à n’importe qui, et accepter un détachement que n’autorise pas la fixation à l’enfance. C’est savoir ne plus chercher à être aimé pour ce que l’on n’est pas … Renoncer à la toute puissance… S’offrir le luxe de refuser et de ne pas se sentir meurtri lorsque l’on n’est pas choisi par quelqu’un dont, en secret, on sait qu’il ne nous intéresse pas…

La séduction c’est aussi l’art de ne pas se plier à la fascination qu’elle exerce. Langage parallèle qui envoûte ou parasite, superficielle en apparence, elle pose en profondeur la question de la réciprocité, de l’égalité, du respect (ou non) de l’autre. Sollicitant le désir, la manipulation fonctionne (aussi) pour qui veut bien être trompé. À nous d’adopter la juste attitude, de ne pas corrompre le merveilleux mais de s’inspirer de la pertinence qui émane de son essence ! Sans prêcher pour une austérité sacerdotale, à nous de ne pas nous laisser détourner de nos intentions premières, par qui néglige nos intérêts. De ne pas nous laisser soustraire à ce qui fait la richesse de notre vie. Ni ensorceler tel le loup par le charme que l’on opère sur qui ne songe qu’à nous… ravir.

De même que la séductrice flétrie qui n’accepte pas de vieillir évoque l’horreur, la fraîcheur de la jeunesse figure souvent la séduction idéale. Le séduisant pourtant en son essence n’aurait pas d’âge, un vieillard attentif étant plus touchant qu’un adolescent tyrannique…

Alors, la séduction… Un art ou un artifice ? Tout dépend de la façon d’en user ou d’en mésuser à l’aune des intentions qui la sous-tendent. Certaines stratégies créatives, nourries de la volonté de plaire et reposant sur l’illusion, débouchent dans le réel sur une œuvre émouvante… L’art d’attirer à soi, pourquoi pas, à chacun de veiller que ce soit pour de belles causes !

Publication proposée par : Megglé Virginie

Virginie Megglé est psychanalyste spécialisée dans les dépendances affectives et les troubles de l’enfance et de l’adolescence. Sa pratique s’étend aux constellations familiales, à la psychanalyse transgénérationnelle et à la psychosomatique. Auteur de plusieurs ouvrages, elle est également fondatrice de l’association et du site Psychanalyse en mouvement.

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