La fragilité est au cœur de notre humanité et de notre singularité. Elle est le berceau de nos expériences les plus vivantes : l’art, l’amour, la joie, la paix intérieure, …
Pourtant elle reste méprisée. Nous la dissimulons, la réprimons, la rejetons au plus loin ou plutôt au plus profond de notre être. Nous pensons être « trop » fragiles, « trop » sensibles, « trop » vulnérables. Il nous faudrait alors nous durcir, nous armer et (nous) combattre.
Alors parfois, au plus noir de ce combat émerge, ou nous submerge, notre fragilité avec toute la puissance et la beauté qu’elle recèle.
Dans son dernier livre, « Étonnante fragilité » qui vient de paraître aux éditions Eyrolles, Virginie Megglé nous invite avec sensibilité, clarté et intelligence à renouer avec la fragilité, avec notre fragilité. Délicatement, comme dans une douce rencontre entre ami.e.s, Virginie nous parle de toutes les facettes de la sensibilité, de la vulnérabilité. Y compris les siennes.
Elle nous montre ce qu’il advient lorsqu’on abandonne les relations de dominations stériles, les mécanismes de défense qui nous éloignent de nous et des autres. Elle prend le temps de nous laisser contacter cette fragilité et au final nous permet de nous rendre à l’évidence de ce qui nous constitue tous et chacun en tant qu’humain. Elle nous parle de l’enfance, de l’adolescence, elle nous raconte les fragilités, et donc les talents, d’artistes et personnages célèbres qui continuent de nous émouvoir parce qu’avec courage et obstination ils n’ont pas renoncé à leur sensibilité.
Dans une socie ?te ? ou ? la re ?ussite est le mai ?tre mot, la fragilite ? inquie ?te. Souvent confondue avec la faiblesse, moque ?e, ridiculise ?e, elle peut faire l’enjeu de stigmatisations, de mauvais traitements. On la fuit, on la refuse, on l’e ?vite, elle de ?boussole, on la de ?nonce, elle n’est pas gage de qualite ?, on peine a ? lui accorder le droit de cite ?. Le mot me ?me de fragilite ? semble nous mettre en danger.
Lorsqu’en public elle nous gagne, nous craignons qu’elle nous handicape, nous fre ?ne dans notre e ?lan. Nous trahisse. Non seulement, elle nous e ?branle mais au lieu de susciter la bienveillance, le re ?confort, elle e ?veille la me ?fiance, la condescendance, voire le de ?dain et fait de nous une proie potentielle.
Aussi la plupart du temps la dissimulons-nous pour nous prote ?ger sous des masques, des de ?guisements, des cuirasses, des jugements, des attitudes artificielles, comme des secondes peaux. Fragiles, nous nous de ?fendons de l’e ?tre.
Ne vaut-il pas mieux, pour re ?ussir, e ?tre conque ?rant ? S’afficher sans de ?faut, avec de ?termination, parler d’un ton ferme, prendre des de ?cisions rapides sans se laisser e ?branler, braver les obstacles sans flancher face aux difficulte ?s ? S’affirmer fort parmi les forts ? Ce style de re ?ussite obe ?it a ? des crite ?res exte ?rieurs. Alors, pour l’atteindre, nous nous conformons a ? des ide ?aux suppose ?s, a ? une certaine vision de la puissance. Par obligation ou mime ?tisme. Bonne volonte ?, automatisme ou besoin d’appartenance, mais le plus souvent au de ?triment de notre sensibilite ?. Ne ?gligeant ainsi notre fragilite ? premie ?re, nous nous suradaptons.
Pourtant la fragilite ? est constitutive de l’humanite ?. C’est ainsi qu’elle e ?meut chez ceux que l’on admire ou fascine quand elle transparai ?t chez des personnes qui ont « re ?ussi ». On pense ici a ? Patrick Modiano. A ? l’entendre parler, on comprend que la fragilite ? n’exclue pas la puissance. Il est devenu prix Nobel malgre ? son e ?trange difficulte ? a ? s’exprimer, a ? la limite du be ?gaiement dont il a su faire un trait fort de sa personnalite ?. On en devine la gra ?ce et l’on se reconnai ?t, incognito, a ? travers des aspects que l’on s’obligeait a ? dissimuler.
Et si, pluto ?t que d’exiger de nous sans compter, nous apprenions a ? e ?couter et mesurer notre fragilite ? originelle, a ? mieux la respecter ?
La nier ou l’enfermer dans une cuirasse ne la supprime pas. Pas plus que la neutraliser dans des automatismes ne l’annihile. La vie, l’expe ?rience, l’observation, nous apprennent que lorsque la vulne ?rabilite ? n’est pas conside ?re ?e, elle s’accroi ?t a ? notre insu, nous met en pe ?ril, menace notre e ?quilibre. Aucun avantage a ? la maltraiter : son insistance est redoutable quand elle met en de ?faut. Le craquage physique ou psychique, le no ?tre ou celui d’un proche, viennent en contrecoup de la ne ?gligence dont elle fut l’objet. La crise de de ?sespoir e ?galement quand soudain nous n’en pouvons plus de dissimuler, quel que soit le degre ? de confiance en soi jusque-la ? affiche ?.
Heureux sont ces sympto ?mes, lorsqu’ils incitent a ? re ?interroger notre mode de vie. Mais pourquoi attendre de se sentir exclus, isole ?, affaibli, en exil pour prendre conscience que nous restons, par-dela ? les apparences et les croyances obstine ?ment inculque ?es, des e ?tres extraordinaires doue ?s, oui, de vulne ?rabilite ? ?
Que serait une re ?ussite qui maltraiterait une dimension premie ?re de notre e ?tre au monde ? La fragilite ? n’est pas une faiblesse. C’est en se rendant a ? cette e ?vidence, que nous puisons en nous les forces les plus authentiques.
Tel un acte de naissance, elle est un don qui me ?rite notre attention.
Laissons-nous surprendre par elle...
© Eyrolles 2019
Étonnante fragilité. Virginie Megglé. 144 pages. Paru aux éditions Eyrolles dans la collection "Les mots qui guérissent". |
Virginie Megglé est psychanalyste spécialisée dans les dépendances affectives et les troubles de l’enfance et de l’adolescence. Sa pratique s’étend aux constellations familiales, à la psychanalyse transgénérationnelle et à la psychosomatique. Auteur de plusieurs ouvrages, elle est également fondatrice de l’association et du site Psychanalyse en mouvement.