La transmission du sentiment d’insécurité dans la relation maman enfant.

Par Virginie Megglé


peur
Virginie Megglé

L’évocation et l’invocation répétitives de la « sécurité » comme enjeu politique à travers les médias m’ont amenée à me demander comment, aujourd’hui, le but de sécurité, à la source de la confiance en soi et de ses capacités d’ouverture sur le monde, en venait à servir de pré-texte au tout-sécuritaire, qui parfois déclenche l’inquiétude plus qu’il ne l’apaise.
Face à des parents dominés par leur sentiment d’insécurité, il arrive que l’enfant affiche (simule) des attitudes de grande assurance : tout-savoir, témérité, omnipotence. Dissimulant l’inquiétude de ne pouvoir entrer en contact avec le monde tout en feignant d’y parvenir sans problème. Comme si l’inquiétude parentale anesthésiait le propre sentiment d’insécurité de l’enfant, au point que celui-ci donne l’impression de ne pas en être l’objet. Tant celui de l’adulte le trouble, l’encombre, le paralyse.

On peut se demander si celui ou celle qui remplit la fonction parentale - dans le réel ou par substitution symbolique – n’alimente pas, comme malgré lui, l’inquiétude plus qu’il n’invite à la surmonter et à l’apaiser, quand il ne peut plus concevoir ni émettre à l’égard de l’enfant de fiction directrice tangible, réconfortante, dans le sens de la vie. Comme si, au-delà de l’apparence rassurante du tout-sécurité, ne parvenant à autoriser l’apaisement de l’enfant, il le maintenait sans cesse en devoir de vigilance extrême. Comme si l’adulte - ou l’état qui le représente - ne pouvait projeter l’enfant dans un avenir correct qui entrât en écho et en correspondance avec la réalité de cet enfant-là.

Vide, béance, déficit… Les mots associés aujourd’hui à la sécurité sont révélateurs du trouble que peut inscrire l’insécurité dans le sujet quand, n’ayant pas été considérée comme une dimension intrinsèque à la fragilité humaine, elle s’installe, inquiétante, à demeure. C’est peut-être lorsqu’une société ne peut plus envisager, pour les sujets qui la compose, de fictions directrices adaptatrices justes, que l’insécurité se déploie comme un vide qui menace d’engloutir. Pourquoi ne pas entendre « ce vide » non plus comme un pré-texte pour institutionnaliser et réglementer panique et désarroi, mais comme la manifestation d’une donnée humaine à travers une infériorité existentielle à la source de l’évolution humaine ? Celle-ci ne suppose-t-elle l’acceptation de la liberté du sujet et la confiance en ses capacités d’autorégulation.
Au-delà des craintes inhérentes au sentiment d’infériorité… ?

Aussi, quand l’actualité met en valeur l’évidence et le bien-fondé de sa philosophie, je crois qu’il est bon de rappeler que si Freud a élaboré le complexe d’Œdipe, la conception de ceux d’infériorité et de supériorité, à la source desquels se trouve cette insécurité constitutive de l’homme qu’il a mise en lumière, revient à Adler.


Pour commencer, je soulignerai, une fois de plus, cette pensée : « Être humain signifie souffrir d’un sentiment d’infériorité qui incite constamment l’être à le surmonter ».
Partant de là, j’ai tenté d’approcher certains processus de structuration de la personnalité d’un enfant, au sein d’une relation maternelle inquiétante. Et la structuration de cette relation, lorsque le sentiment d’insécurité inhérent au petit de l’homme, est exacerbé tant chez la mère que chez l’enfant. Comment, à partir de ce sentiment premier, s’élabore et s’installe, même déguisée en son contraire, une insécurité profonde qui marque de son empreinte le style de vie….
« Toute la psyché de l’enfant étant imprégnée » comme le soulignent Mormin et Viguier, « du rapport avec l’autre », je me suis demandée comment, dans les premiers temps, les premières années de la vie, la présence de cette autre pas tout à fait autre qu’est la mère pouvait interférer de façon déterminante dans le développement ultérieur de l’enfant, par le biais des transmissions. D’indicible à indicible. De corps à corps. D’inconscient à inconscient. D’incompris à incompris. Et quel était le sens, à travers le non-dit des émotions, des réactions de l’enfant ? Quand ces réactions sont induites par exemple, par des phénomènes de mimétisme plus ou moins conscients, qui le conduisent à s’identifier à sa mère ou à la protéger. Ou encore à se contre-identifier à son père…
Ces réactions, bien sûr, trouvant des expressions différentes selon le milieu, l’histoire, la culture familiale, la position dans la fratrie, selon que l’on soit fille ou garçon.

Autrement dit, quels peuvent être les effets de transmission du sentiment d’insécurité dans la relation maman enfant ?

Comment celui-ci, quand il n’est plus moteur de progrès, se traduit-il dans le comportement de qui en souffre au fur et à mesure qu’il grandit ? Est-ce qu’il n’est pas à la source de certains réflexes ou comportements sécuritaires qui tout en prétendant rassurer exprimeraient en fait une inquiétude inhibante et fondamentale (bien que parfois figée ou neutralisée) chez celui ou celle qui les exprime.
Comment, l’inquiétude, une fois installée, aggrave le sentiment premier d’infériorité tant chez l’enfant que chez la mère, lorsque cette dernière par exemple se sent coupable de cette infériorité car elle se vit incapable de rassurer au cœur de ce cocon où se nourrit -ou se désagrège- le sentiment communautaire inné ?

Étant donnée sa fragilité lors de sa venue au monde, l’inachèvement du nourrisson, son insuffisance, sont presque de l’ordre de la pré-maturation. Et la relation maman bébé, portée par l’émotion, tel un langage pathologique, non qu’elle relève de la maladie, mais au sens étroit du terme, de la passion. Pathos, ayant à l’origine la double signification de passion et de souffrance (l’une et l’autre étant à la fois porteuses et le fruit de l’émotion).

1- Premier temps, première étape : à partir d’observations personnelles
On peut imaginer que, pour se sentir en sécurité - c’est-à-dire non inquiété et donc autorisé à aller voir ailleurs hors du cocon maternant - l’enfant ait besoin d’une mère suffisamment forte qui l’autorise à partir. Et que la culpabilité se doive de ne pas intervenir entre elle et lui, inquiétante… par exemple, au point de résonner auprès de l’enfant comme un interdit de partir, et auprès de la mère, comme un interdit de le laisser partir.
L’enfant a besoin d’être rassuré, d’être rendu sûr, c’est-à-dire de s’appuyer sur plus fort que soi. Pour gagner peu à peu ces forces qui lui permettront de se mesurer, dans un premier temps, au contact de ses parents et progressivement à celui de ses semblables.
Alors qu’il est encore fragile, et ne peut subvenir à ses propres besoins, la sécurité en principe est avec la mère. D’abord dans son ventre, puis en son sein, puis auprès d’elle ; on conçoit que si elle ne peut répondre ni aux attentes ni aux besoins essentiels, le sentiment d’insécurité se développe et se transforme en inquiétude latente permanente à la source de toutes les frayeurs.

De son côté, la mère réagit face à son enfant selon ce dont il est porteur sur un plan symbolique. Et selon son propre imaginaire, qu’elle projette sur lui, auquel elle l’identifie. Auquel il réagit - et auquel il s’identifiera, ou non.

Face aux absences symboliques de la mère, face à l’inquiétude que distillent ou renforcent ces absences , à travers l’exacerbation d’un sentiment d’infériorité ou d’impuissance, l’enfant se sent démuni. La faiblesse maternelle est vécue comme un handicap au cœur de la relation ; comme un obstacle au développement. L’enfant peut se sentir troublé, pas aimé, mal aimé, moins aimé que… Et peut agir, en réponse, dans un but de sécurité, pour apaiser la relation, et renforcer sa mère afin de tenter de faire taire en elle cette insécurité qui le trouble, afin de se sentir mieux aimé et/ou de ne pas perdre l’attention dont il ressent encore un besoin essentiel.

Au cœur d’une relation maternelle non sécurisante, l’enfant comme s’il ne pouvait être lui-m’aime, peut se sentir coupable de ne pas être aimé et se demander ce qu’il a fait ou ce qu’il est de mal pour ne pas être aimé. Quitte à en venir aux bêtises comme pour vérifier l’amour qui lui est porté ou justifier ce qu’il ressent comme du non-amour – ou - pour attirer l’attention à soi. Comme s’il voulait légitimer l’insécurité maternelle, et la maternité insécurisante, sans parvenir cependant à s’y résigner, comme pour donner raison à sa mère, en se mettant en danger. Comme pour la trouver bonne mère malgré ce qu’il ressent qui lui fait vivre le contraire.

Ainsi parfois tout se passe comme si la mère (ou l’enfant) devait entretenir l’insécurité (chez la mère, chez l’enfant) (en se mettant en danger constant insurmontable) comme pour justifier ce sentiment (d’insécurité) ressenti au contact de l’autre. Et là où l’enfant par nature attend que les soins maternels pourvoyeurs de confiance, l’apaisent, il (ne) trouve rien, c’est l’impossible repos ; et l’insécurité qui alimente l’insécurité. L’enfant se ressentant aussi désemparé face à un supérieur écrasant qu’à un supérieur absent. S’il sent ses parents inférieurs à lui il en conçoit une inquiétude intolérable.
Le corollaire philosophique de l’inquiétude fondamentale de l’humain est la possibilité de chercher de quoi se rassurer et d’être maintenu en mouvement par la volonté de gagner en reconnaissance afin de maintenir un équilibre en accord avec le développement constant du pouvoir.
Pris au piège d’une relation qui se referme sur elle-même l’enfant n’est plus en mesure de reconnaître les vrais dangers au cœur de la société. Ni de leur faire face pour les surmonter.
Que l’enfant cherche à rassurer sa mère pour pouvoir grandir et partir l’empêche … de grandir et partir… Il joue au grand… mais ne peut le devenir. Se retient auprès d’elle, et malgré son besoin de grandir se met en échec comme pour justifier cette incapacité déchirante. En effet, le pouvoir qu’il acquiert sur sa mère en la rassurant est vécu comme un pouvoir illégitime. Qui ne lui permet d’obtenir aucune juste reconnaissance. Ëtre l’idole ou le sauveteur de sa mère ne peut être un devenir et handicape l’enfant dans ses premières années, même si par la suite il peut compenser ou dépasser ce handicap. Il n’a alors (fort auprès de sa mère) plus le droit de vivre sa - propre - fragilité.

Si au départ, sa faiblesse éperonne son énergie créatrice, celle-ci en vient à être en quelque sorte immobilisée, dans ce projet contre nature de protéger et sécuriser sa mère pour qu’elle le protège et le sécurise en retour . Sa façon de surmonter son infériorité initiale, adaptée à la réalité maternante, et inadaptée à l’évolution sociale, empêche le développement du sentiment communautaire au-delà de la relation toi moi maman enfant.
Ce processus de compensation illusoire ne débouche sur aucune finalité sociale ; et tend à refermer l’enfant sur lui-même. N’utilisant pas ses forces créatrices à bon escient, mais à son insu - à son détriment, il est amené à douter de lui, à ne plus oser s’affirmer autrement que par la négative comme pour confirmer et trouver des forces dans cette confirmation de l’image négative, la seule à travers laquelle il se sente exister… et un peu supérieur à rien.

L’inquiétude maternelle peut entraver la séparation, si elle devient un mode de fonctionnement comme un langage toxique, dont la mère aurait besoin en écho à une douleur plus profonde, dans le cadre de sa maternité. Seuls des parents forts et justes ne mettraient pas en doute le bien fondé de votre venue au monde…Mais.

2- Deuxième étape, pour une approche similaire, à travers la perspective de la Psychologie individuelle et comparée en tant que dynamique des relations interpersonnelles.
Interactions possibles entre deux styles de vie (celui de la mère, celui de l’enfant) à la fois semblables et différents qui devraient tendre à se nuancer mais parfois se confondent…. Actions et réactions entre l’individu, la relation, la famille.

Le sentiment d’insécurité encourage à priori la vigilance… mais que se passe-t-il lorsqu’il domine la relation et l’imprègne de façon négative ? Quand certains styles de vie défaillants l’accentuent ? Quel regard porter sur la souffrance au contact de l’inquiétude qu’il diffuse ?
J’ai tenté d’ouvrir ces interrogations en les articulant entre elles à la lumière de certains axiomes adlériens fondamentaux
- L’intentionnalité, qui fait tendre vers un but et ici la recherche de sécurité.
- Le courage, forme d’énergie psychique supérieure qui nous invite à dépasser notre condition, à fortifier autant que faire se peut notre fragilité.
- L’interdépendance générale avec le cosmos qui vit en nous, auquel nous ne pouvons nous soustraire totalement et qui nous rend capable de ressentir ce que les autres ressentent. À fortiori, pour ce qui nous préoccupe ici, au cœur de la relation mère/enfant.
- Le sentiment d’infériorité et son corollaire, l’insécurité.
- Le sentiment communautaire souligné par Ellenberger en ces termes « perception par l’individu des principes qui régissent les hommes entre eux ». On imagine qu’il y a plusieurs modes, plusieurs échelles, de perception.
- Enfin, la structuration spontanée à l’intérieur d’un tout, et les phénomènes d’action – réaction – interaction - adjacents.

Autrement dit ici, la structuration de l’enfant à l’intérieur du « tout » qu’est la relation, mais aussi, par interaction, structuration de la mère à l’intérieur de cette relation, au fur et à mesure que l’enfant grandit et qu’elle est mise à l’épreuve de cette (toujours nouvelle) réalité. Mécanismes de défense et d’affirmation, sentiment de négation et d’aliénation… Perceptions maternelles : images, souvenirs, fantasmes, craintes intervenant dans la relation, la structurant, la façonnant, (la maltraitant parfois) et réactions de l’enfant qui la façonne en retour.

Adler insistant sur l’importance de la réaction de l’individu à l’infériorité - on peut comprendre l’importance, pour l’enfant, de la surmonter ; et penser que la volonté d’apaiser la souffrance, liée à l’insécurité, puisse présider à la plupart de ses actes (paroles comprises) aussi maladroits se présentent-ils.
On peut aussi voir la volonté de puissance naturelle, alliée au sentiment d’insécurité, à l’origine de « son aptitude à modifier son milieu ». Et ceci, d’autant plus si la relation mise à mal par l’histoire est peu sûre : Ainsi voit-on des enfants prendre en charge père ou mère pour les modifier, les rendre plus forts, plus rassurants.
Ellenberger rappelle que, comme dans la mécanique des fluides, toute action amène une réaction, en particulier dans un groupe social . Le premier groupe étant le groupe Maman enfant, la psychologie dynamique de relations interpersonnelles me semble précieuse et apte mieux qu’une autre pour étudier, approcher cette relation.

Ici, je soulignerai en passant que, en tant que dialectique rendant compte des relations humaines et de l’interaction entre individus, dans le cadre du groupe et de la constellation familiale, le principe de la psychologie individuelle et comparée, est a cœur de la systémie si prisée aujourd’hui…

Si le sentiment d’insécurité s’installe, il s’apparente à une « infériorité organique » du système familial, qui empêche de bien réagir. Sauf si elle était par la suite compensée. Encore faut-il qu’elle soit bien compensée. Ce qui n’est pas toujours possible pour un enfant fragilisé, en position délicate, face à une mère défaillante, car elle-même fragilisée par son histoire sociale, sa préhistoire familiale…
L’enfant ‘ perdu ‘ devant une mère faible réagira chez lui avec « arrogance », « jalousie », « haine » selon les termes d’Adler, mais, en contre-partie, peut s’avérer à l’extérieur, timide, silencieux, « paresseux » car rendu incapable de produire par l’anxiété que génèrent la faiblesse maternelle et parentale, la faiblesse de la relation enfant/adulte, et l’inéquation des réponses en retour. Il peut aussi chercher à affirmer sa supériorité sur l’autre : son père, par exemple, considéré comme défaillant à ses yeux car rendu responsable du mal-être maternel.
L’impossible adaptation à la fragilité maternelle induit une difficulté d’adaptation si ce n’est une inadaptation au social.
Ce sentiment d’infériorité - inhérent à la condition humaine - plus ou moins explicite, et s’exprimant parfois en son contraire ou à travers l’insécurité infantile tant chez l’adulte que chez l’enfant – fédère toutes les peurs, et finit transformé en complexe, par les justifier, s’il s’inverse dans la volonté inopérante de sécuriser de façon artificielle, quand il s’agirait d’apaiser le sujet en soi. La volonté sécurisante, qui tend à faire croire que l’insécurité n’est pas intrinsèque à la condition humaine, qu’elle serait indépendante du ressenti individuel et originiel, exacerbe l’inquiétude plus souvent qu’elle ne l’apaise, comme si elle la justifiait en lui opposant des épouvantails consensuels ou en proposant de prendre en main, la Sécurité, à la place du sujet, au lieu de l’accompagner dans l’acquisition de son autonomie.

L’enfant, souvent, cherche d’autant plus à affirmer une vaine supériorité que son infériorité ne lui est pas évidente face à des parents affaiblis. On peut le voir adopter des conduites de crise : cris, singerie, ambition déplacée ou mal placée, arrogance.
Ou se retrancher derrière des barricades.

Tout un chacun de nous peut détecter en lui certains mécanismes liés à ce phénomène qui apparaissent aussi comme manifestations d’étapes à surmonter. C’est lorsque l’inquiétude s’installe à demeure, paralysante, qu’ils deviennent a-normalement douloureux.
On peut ici essayer de voir ce qui fait qu’elle s’installe et se développe dans le cadre de la relation. Les faux-pas, les écueils, et tenter à partir de là d’esquisser la nature des réponses qui éviteraient d’avoir à recourir à la fameuse sécurisation extérieure qui au lieu d’encourager à surmonter sa faiblesse existentielle, légitime la peur - et ses expressions même poussées à leur paroxysme, telle la haine. Légitime aussi l’absence de ressources personnelles et la crainte de la séparation alors que cette dernière est vitale. La crainte de se séparer de sa mère engendre comme un désir de rester – lui-même source d’hostilité. Et parvenu à l’âge adulte, l’enfant qui ne parvient à s’assumer, se détourne de cette incapacité, la fuie, en dénonçant l’autre, pour détourner du même coup le regard (le sien et celui de l’observateur) de sa propre incapacité.

Atteindre un but caché qu’il ne saurait nommer
Si l’on admet que le but à atteindre, pour l’enfant rendu maladroit dans le cadre d’une relation fragile, est le but de sécurité, on devient plus apte à comprendre ce comportement, au-delà de ses maladresses ; et à travers elles…
Que faire lorsque un je ne sais quoi dans le lien maternel, dans l’histoire familiale, empêche ce « processus humain, à l’œuvre dans la nature vivante toute entière » qu’est le « passage d’un état considéré inférieur à l’état supérieur » , de s’accomplir avec bonheur ? Comment être, face à l’enfant qui, dans ses efforts, non dénués de courage, croyant défier la mort, défie la vie ? Et du côté de l’enfant, comment être, face aux peurs intériorisées maternelles, quand elles interviennent non plus pour en appeler à la vigilance mais pour signifier une réelle impuissance - parasite au développement - par peur de reproduire, peur de blesser, peur de mal faire, peur que ça se sache, peur que ça se voit… peur de l’enfant qui rappelle un souvenir douloureux, et le réveille sans toutefois permettre de le nommer ? (Tel un décès insupportable, un « acte criminel » insoutenable . Un accident impensable.
Guerre, luttes intestines ou tout autre indicible face auxquels l’enfant se paralyse, lorsqu’ils ne sont pas nommés pour ne pas en souffrir, et s’engage sans le savoir, sans le vouloir, comme à son insu dans des conduites de repli, inertie, anorexie, toxicomanie…)

Une fiction pouvant être considérée comme une façon de parler qui se maintient et nous maintient dans la réalité aussi longtemps qu’elle se montre utile, c’est une fiction comme une autre, je ne dis pas qu’elle soit la seule envisageable mais elle est suffisamment utile dans la pratique pour que j’en maintienne la dynamique.

Sachant que pour Adler, « tout se passe comme si l’activité humaine était régie par l’idéal normatif de l’adaptation de l’individu à la communauté et au cosmos » , que se passe-t-il quand ce processus d’adaptation est contrarié et tend vers une inadaptation ou quand l’enfant doit s’adapter à une situation maternelle maternante inquiétante au sein de laquelle il ne trouve pas les ressources pour développer ses forces créatrices de façon harmonieuse ?
Lorsque les phénomènes interactifs non dits entrent en jeu et interdisent le réconfort au profit de l’inquiétude maternelle (ou parentale), tout se passe comme si l’enfant et la mère –infantilisée par la re-naissance de son enfant en elle, de son enfance – tendait vers la sécurité – mais sans pouvoir y parvenir, effectuant des gestes contraires ou propageant un climat de tension inquiétante. La totalité de la relation mère/enfant influence les parties qui la modifient, une fois influencées par les méfaits de l’inquiétude, et ses conséquences, en retour, sur le plan social.

Ainsi, fort de sa tendance à la supériorité mal placée, celle-ci s’alliant au sentiment d’insécurité, l’enfant materne sa mère - qu’il sent peu sûre - pour la réparer et la mère (le) (se) laisse faire . Se sentant prise en charge, réconfortée par une mère de substitution qu’elle trouve en son enfant ; celui-ci venant remplacer le défaut de mère - sa propre mère absente - et combler absences réelles ou symboliques, et autres failles parentales. Ainsi en va-t-il de certaine conduite d’adultisme que l’on retrouve aussi bien chez le garçon que chez la fille ; mais qui contredisent la hiérarchie naturelle. C’est l’inversion des rapports. Ce n’est plus le plus jeune qui se soumet aux plus âgées, l’enfant mineur inachevé qui s’en remet à l’adulte sensé être mûr… C’est l’adulte qui se soumet à l’enfant - jusqu’à ce qu’il reprenne le pouvoir…. _ Mais, en attendant, l’enfant aura pris trop de pouvoir, trop vite. Un pouvoir qui ne lui appartient pas. Un pouvoir qui ne lui convient pas. Un pouvoir sur lequel il aurait eu besoin de se reposer.

Dans ce genre de situation, comme « chacun lit son destin dans les yeux de l’autre » la mère dans ceux de l’enfant et l’enfant dans ceux de la mère, l’enfant se fait protecteur de la mère qui le lui demande par sa conduite inquiète et inquiétante… et la mère en retour peut se sentir terrifiée … terrifiée par sa propre incapacité, qu’elle lit comme en écho, dans le regard de l’enfant.
L’enfant ainsi peut avoir comme fiction directrice – plus ou moins formulée mais vitale pour lui – d’être le sauveur de sa mère, ou son réparateur. Il peut se retrouver en porte-à-faux avec le père qui est , à ses yeux, à son ressenti – pas capable de rendre la maman heureuse, mais auquel si c’est un garçon il doit s’identifier cependant, ou si c’est une fille, sur lequel elle devrait pouvoir compter pour se séparer de sa mère sans être aspirée par l’inquiétude, mais trouver des éléments de confiance. Le garçon peut se vivre – pas capable en puissance – impuissant en devenir – et auprès d’elle en rivalité encore plus difficile avec le père.
La fille peut - tout en en voulant à son père de ne pas savoir faire avec la mère - lui donner raison, et donc s’en vouloir en tant que fille de la mère. Et se retrouver tiraillée entre père et mère.
La fiction qui s’impose à l’enfant, plus ou moins informulée, plus ou moins in formulable, mais qui s’impose comme nécessité vitale, est de réparer père ou mère, pour pouvoir y trouver des éléments de confiance, tout en leur en voulant de ne pouvoir s’appuyer sur eux et de se rendre plus forts par eux-mêmes.

Conséquence indirecte : le sentiment communautaire ne se développe pas. Limité à cette relation qui ne peut ouvrir (l’enfant) (ni la mère) ni s’ouvrir (la relation) sur l’extérieur, l’enfant ne peut y puiser la force d’aller (voir) ailleurs ; et pour en compenser les failles, s’invente des fictions improductives (Si…. Et si…. Et si…. Si j’avais… Si j’étais… ) des peurs fictives, des raisons à la « paresse ». Comme pour s’expliquer ce qu’il ressent (à travers les peurs maternelles qui lui sont communiquées) comme des échecs : c’est-à-dire, échec de relation avec les camarades, les professeurs, et autres échecs scolaires.
Son pouvoir créateur mis au service de la réparation (fictive) de la mère, de la famille, l’enfant se donne une fausse image de lui-même, à des fins qui lui seront socialement peu profitables (à moins d’avoir des talents artistiques exceptionnels, par exemple…). Son aspiration à la supériorité détournée est employée à des fins non adaptées à son âge.
Surtout si sa mère ne le contrecarre pas dans le rôle que lui confère cette fiction, le laisse faire en lui laissant croire qu’il est fort, qu’il fait bien d’être ainsi fort. En le laissant être son petit homme. (Certains enfants accomplissent ainsi les tâches maternelles avec héroïsme allant jusqu’à vérifier si les chèques sont bien remplis… lors d’une consultation. Alors qu’ils peinent à écrire ou à faire leurs devoirs personnels).

L’enfant a besoin d’une mère forte – d’un père aussi, cela va de soi. N’accablons pas les mères … Et , pour une mère fragilisée, la seule façon d’être forte qui lui reste est de laisser partir son enfant afin de lui laisser vivre ses expériences de construction loin d’elle, qui ne peut mieux… Certaines mères le comprennent qui ne recherchent pas à retenir leur enfant….
Peut-être s’agit-il aussi pour elles de recevoir un aussi bon accompagnement que possible….

- Virginie Megglé
psychanalyste en région parisienne, Virginie Megglé anime également le site www.psychanalyse-en-mouvement.net/

Publication proposée par : Megglé Virginie

Virginie Megglé est psychanalyste spécialisée dans les dépendances affectives et les troubles de l’enfance et de l’adolescence. Sa pratique s’étend aux constellations familiales, à la psychanalyse transgénérationnelle et à la psychosomatique. Auteur de plusieurs ouvrages, elle est également fondatrice de l’association et du site Psychanalyse en mouvement.

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