Des conduites addictives existent bel et bien chez les enfants et l’on n’y pense pas assez !
Le terme peut paraître fort mais voici ce dont il s’agit (vous pouvez pensez à un acte aussi simple que la succion du pouce) : chez nombre d’enfants s’installe et se maintient l’une ou l’autre conduite précise, répétitive, tenacement fixée pour quelques mois ou davantage.
Elle commence pour des motifs variés et non-spécifiques : Hasard, ennui, irritation organique, angoisse ou tristesse, compensation ou conflit affectif, etc.
Elle s’avère centralement source d’un plaisir tout de suite recherché comme tel ou obtenu par hasard, et qui plaît beaucoup à l’enfant ; celui-ci apprend donc tout seul à le retrouver via la même conduite et en devient progressivement esclave ou quasi : une contrainte intérieure plus ou moins forte le pousse à recommencer, voire à ajouter quelque piment à sa conduite en l’affinant.
Le plaisir vécu s’entend dans une acception large du terme ; il peut être très diversifié, chaque fois propre à la personne concernée : plaisir corporel gratuit ou anesthésie d’un inconfort ( les succions du pouce au début, quand bébé se sent tout seul ), mais aussi plaisir d’un surcroît d’attention reçu jusqu’à être parfois le centre du monde, plaisir de vivre une affirmation de soi inavouée et d’être plus fort que ses parents, ivresse de poser un acte exceptionnel, etc.
Au fur et à mesure que le temps passe, ce premier plaisir central se maintient ou s’étiole ou est remplacé par d’autres ... mais même s’il y a accoutumance, c’est à dire si le niveau de conduite déjà existant problématique ne génère plus autant de plaisir qu’avant, il est possible qu’elle se maintienne comme un automatisme tenace, l’équivalent comportemental d’un trait de caractère.
Les conduites visées ici sont donc très variées.
Ce peuvent être des gestes auto-érotiques (succion du pouce), mais aussi des conduites plus structurées ( p.ex., prises de risque, gourmandise et obésité, premières consommations d’alcool ou de tabac … ) Il arrive même qu’elles engagent centralement autrui dans un créneau relationnel très étroit et sans que la quête de plaisir soit avouée ( mutisme sélectif, rites de sommeil, certaines habitudes tyranniques autour des tâches scolaires ...)
Une problématique affective est donc parfois à l’origine d’une recherche de plaisir, alors compensatoire. Au fil du temps elle peut elle-même disparaître ou se maintenir. Dans cette dernière éventualité, on peut se représenter la conduite fixée comme ayant et une dimension d’assuétude et une autre plus affective (par exemple, elle constitue aussi la compensation d’un vécu anxieux ou dépressif toujours présent... elle constitue aussi une manière de capter jalousement l’attention d’un parent, etc.)
De simples gestes du corps : se sucer le pouce ou les doigts ; se ronger les ongles ; se tordre les cheveux (trichotillomanie) : se gratter ; se balancer ou cogner sa tête contre une paroi (Head banging) avant de s’endormir et d’autres « stereotypical movement disorders » non-spécifiques (p ; ex., se frotter les yeux sans raison … )
La réalisation au-delà du nécessaire de fonctions psychophysiologiques : Gourmandise et obésité ; (dans certains cas l’inverse : plaisir secret de l’anorexie) ; (rarement chez des grands enfants : consommation d’alcool, voire de cannabis) ; (dans certains cas), encoprésies ; mérycisme des bébés ; pratiques sexuelles où la recherche du plaisir devient un esclavage : certaines masturbations ; perversions débutantes : premiers vrais abus sexuels…Je range ici, chez certains, le plaisir secret de décharges agressives répétées.
Des comportements plus structurés et qui engagent autrui de façon claire ou détournée : Revenir dormir près d’un parent chaque soir ; capter et tyranniser un parent pour les devoirs ; tenir bon dans un mutisme sélectif, etc.
Inclassables :
Je ne suis pas indifférent à l’idée qu’un enfant se débarrasse d’un symptôme gênant pour lui ou pour son entourage. Mais l’effort de réflexion et de comportement qui l’y amène suppose chez lui une motivation forte, autant que les encouragements de son milieu
De façon générale, comment faire face à ces comportements où existe une dimension significative d’assuétude ?
I. Il arrive qu’on n’ait pas le choix et qu’il faille lutter énergiquement contre eux avec une certaine violence thérapeutique et éducative s’il le faut. C’est quand ils sont dangereux, antisociaux ou/et dégradants : par exemple, consommation de produits illicites, perversions sexuelles en voie d’installation, prise de risques insensés, anorexies ayant atteint des limites dangereuses pour la vie, temps interminables passés sur Internet, etc.
Dans ces cas, explication claire de la raison d’être de l’interdiction, cohérence et coopération des adultes ; force des sanctions négatives et positives ; soutien ; présence et vigilance : mise en place de plaisirs alternatifs et d’une meilleure attractivité du quotidien…devraient contribuer puissamment au changement
Par ailleurs, même quand on est choqué, il faut TOUJOURS rechercher les racines affectives éventuelles du comportement interdit et y remédier. Je pense notamment à ce garçon de treize ans et demi, qui avait abusé de sa petite sœur de neuf ans, en goûtant les plaisirs du sexe et l’ivresse de la domination, mais chez qui on avait découvert une rage et une jalousie depuis toujours contre cette sœur, super protégée par la maman…
II. Mais bien plus souvent l’assuétude ne présente pas ces caractéristiques radicales d’inacceptabilité. Alors, le degré de motivation de l’enfant pour dépasser son problème devient un élément-clé de l’organisation du programme thérapeutique et éducatif :
A. Dans une minorité de cas, l’enfant souffre beaucoup de son problème et veut s’en débarrasser sans ambivalence significative ( par ex., certains cas de trichotillomanie ou de gestes répétés qui ridiculisent l’enfant )
L’on peut recourir alors à une thérapie d’introspection ( surtout s’il y a souffrance affective originaire conjointe ) en la couplant à une thérapie cognitivo-behavioriste centrée sur une meilleure gestion des comportements.
Il faut parfois des activités de soutien complémentaire, comme par ex. des rencontres avec un(e) diététicien(ne) pour l’enfant obèse … des ateliers d’esthétique ou de coiffure pour lui apprendre à réinvestir son corps ou ses cheveux … des ateliers créatifs ou du sport pour apprendre à réoccuper sont temps, etc …
Si l’activité addictive était source d’un grand plaisir, cela vaut la peine de réfléchir avec l’enfant à la question : « Qu’est-ce qui pourrait te faire plaisir à la place ? » … parfois même, on doit commencer par mettre en place ce « plaisir alternatif », acquis par de nouveaux comportements
Complémentairement, s’il y a résultat, ce sera au terme de réels efforts consentis par l’enfant ( par ex., arriver à renoncer à manger trop, à se sucer le pouce, à rejoindre chaque soir les parents dans leur lit ) Les parents doivent en être conscients et promettre une fois, sans y revenir perpétuellement, une très belle récompense à l’enfant s’il mène l’aventure à terme et la lui donner effectivement si le résultat est acquis.
Il est donc très utile de mettre en place corollairement une guidance parentale. Cette dernière est destinée à réduire les sources de difficultés affectives qui alimentent le comportement, à soutenir les efforts de l’enfant, à lui éviter les bénéfices secondaires liés au comportement problématique et éventuellement à mettre en place d’autres sources de plaisir.
B. Mais dans une majorité de cas, l’enfant semble indifférent à son problème ou à tout le moins ambivalent. Alors la prise en charge est beaucoup plus délicate :
1. S’il s’agit principalement d’une assuétude, on peut certes faire l’hypothèse qu’une violence pédagogique appliquée très fermement et suffisamment longtemps par les parents, avec le soutien actif des thérapeutes, pourrait dissuader l’enfant de continuer son comportement et l’orienter vers d’autres plaisirs plus socialisés.
L’adhésion de l’enfant suivrait d’ailleurs d’autant plus probablement qu’on lui aurait expliqué les raisons positives de l’interdiction et qu’on récompenserait solidement les efforts qu’il ferait pour se conformer à ce que l’on attend de lui : certains programmes nord-américains vont dans ce sens, et prétendent obtenir des résultats ( à titre d’exemple, Krona et coll., 1992 ; Stuart Watson et Allen, 1993 )
2. Je ne choisis pas souvent cette voie mais je ne m’abriterai cependant pas derrière des affirmations soi-disant éthiques pour justifier mon abstention : je puis concevoir que certains comportements, comme le mutisme sélectif, soient extraordinairement coûteux en invalidation ou en énergie familiale et qu’on arrive à vouloir les éliminer via des positions très directives mais qui restent non sadiques.
3. Mais alors si l’on n’opte pas pour l’insistance ferme, comment faire face à ces enfants ambivalents et figés dans une assuétude qui indispose au moins leur entourage ? On peut :
Jean-Yves Hayez est psychiatre d’enfants et d’adolescents, docteur en psychologie et professeur émérite à la Faculté de médecine de l’Université catholique de Louvain (Belgique).
Site de Jean-Yves Hayez