L’être humain étant simplement complexe... ou comment j’ai été amenée à traverser le pont qui existe entre la logique du discours et l’approximation de "l’informulé".
La métaphore
Travaillant sur les troubles liés au stress, tels que l’anxiété, les troubles psychosomatiques et les états dépressifs, j’ai très rapidement ressenti la nécessité de me tourner vers l’hypnose et la thérapie brève. Cette brièveté explique le fait que j’utilise souvent le raccourci de la métaphore pour provoquer réflexion et changement, sans trop m’attarder à la recherche d’une cause, au pourquoi du problème. Tout le monde connaît le "flash" de compréhension que peuvent engendrer un symbole, un proverbe, une histoire par rapport à l’ennui que risque de susciter une longue explication pourtant opportune.
Toujours dans un esprit de synthèse, j’ai formulé mes suggestions et mes questions d’une manière de plus en plus "compacte". Cela s’est passé en trois temps : métaphore, puis ce que j’ai appelé la métaphore informelle et enfin la métaphore sans les mots.
C’est parce que Milton Erickson nous a habitués, par son travail exceptionnel sur l’inconscient, à côtoyer les opposés, à toucher du doigt les contraires, que j’ai eu l’audace de marier le “ non mot ” à la richesse souvent inexprimable de la douleur psychique.
Souffrance des pensées... pensées en souffrance
La pensée suit parfois des méandres bien sinueux lorsque la tristesse, la pudeur, la rancœur ... ou toutes autres émotions de cet ordre là font le chemin de l’expression chaotique et difficile. Qui n’a pas éprouvé cette difficulté à s’exprimer, quand les émotions sont trop vives et rendent notre espace intérieur" aussi confus qu’un soir de tempête ?
C’est pour contourner cet obstacle que je me suis détournée de la face éclairée de l’expressivité... Eviter la brillance de la parole consciente, du signifiant bien énoncé, pour se rapprocher du moins-clair, des pensées occultées dans les profondeurs de l’inconscient. C’est à la frange de cette face cachée que l’on peut appréhender les métaphores informelles et, un peu plus loin encore, dans ce flou entre la psyché et le soma, les métaphores sans les mots.
Simplifier pour atteindre le compliqué : la métaphore informelle
Pour expliquer ces termes, je dirais que la métaphore informelle est à la métaphore habituelle ce que la ligne pointillée est à la ligne continue.
Tels les cailloux blancs du Petit Poucet, une suite de mots peut très bien accomplir le même travail que la phrase entière. Ces mots sans liens apparents entre eux peuvent parfois conduire plus subtilement au but que le thérapeute s’est fixé, soit au niveau d’un questionnement soit au niveau de la suggestion... lorsqu’en parler semble insurmontable !
A titre d’exemple, j’aimerais vous parler de cette jeune femme, venue me consulter pour insomnies. Très vite, je me suis rendue compte que ces insomnies suivaient une période très angoissante, suite à l’agression qu’elle avait subie dans son magasin. Un homme cagoulé l’avait menacée d’un couteau pour avoir l’argent de la caisse. Il ne l’avait pas touchée mais elle avait eu très peur d’être violée. Ce qui était terrible pour elle, était d’avoir cru pendant un moment qu’il allait revenir. Comme il portait une cagoule, elle était obsédée par le fait qu’elle n’avait pas vu son visage et donc, qu’il pouvait être une des centaines de personnes qu’elle croisait quotidiennement.
Elle supportait très mal l’idée de reparler de tout cela (elle l’avait déjà raconté en long et en large à la police, à la famille, etc.) mais au point de vue stratégique, je désirais travailler en hypnose ce qu’il y avait derrière la cagoule. Pour l’amener très prudemment à en parler, tout en induisant une transe hypnotique, je lui demandai de se détendre tranquillement, de se laisser aller au confort du fauteuil, de laisser musarder ses pensées au fil de mes mots...
Mots comme... Détente pensées qui flottent ... détente délice dormir douter thé doux doux à avaler choses à avaler..
(Tout ceci d’un ton très doux, assez monocorde, avec des pauses plus ou moins longues et parfois des répétitions, suivant les indicateurs physiologiques que la personne veut bien me donner).
Avant arrière devant derrière ... accroche
décroche décrocher pouvoir décrocher envie (?) en vie en vol envolée en violée en violon bientôt en violon au violon long aux longueurs monotones tristesse esse est ce triste (?) trace tu traces tu traques les traces (!) efface à effacer face ... lance lisse qui lasse qui coûte couteau ... fort étrange étanche ce mic mac et tic et tac et qui m’attaque (?) tu caches coches couches tu caches sous les couches qui cache qui crache qui crache sous les couches (?) qui se cache sous les couches le cracheur le cacheur ce gaffeur (?) ...
A partir de là, j’ai commencé à l’interroger plus directement et je pouvais amener deux élément,, de ma stratégie : aller voir qui se cache derrière la cagoule (ce n’est plus n’importe qui n’importe qui ne peut plus faire l’affaire) et en un deuxième temps, parvenir à ajouter à ce "visage reconstitué" un élément ludique et drôle qui le rendrait peu ou moins menaçant !
La métaphore sans les mots : un chemin entre les maux et les mots ?
Françoise Dolto disait : "Quand il n’y a plus de mots, il y a des maux."... Comme une résonance, comme un étrange écho à ma propre sensibilité, ses paroles m’ouvraient un chemin entre le formel et l’informel, entre ma rationalité d’adulte et le jaillissement spontané de l’enfant que je suis encore, ... et c’est ainsi que je me suis aventurée sur ce sentier peu emprunté de l’expression idéophonique pour passer de l’un à l’autre.
Rappelez vous quand vous étiez enfant, dans certains livres, il y avait des dessins qu’il fallait reconstruire à partir de points numérotés dans un ordre croissant. On devait suivre les chiffres et les relier d’un trait pour découvrir enfin ! ce qu’ils cachaient. Souvenez vous de cette joie de voir apparaître derrière ce "fouillis pointilliste" une certaine cohérence ... qui ressemblait à un chat ou un chien ... alors que peu de temps avant, vous ne soupçonniez rien d’autre qu’un amusant point/ligne, point/ligne ...
C’est un peu dans cet ordre d’idées que je travaille par les métaphores sans les mots. S’il fallait les définir, je dirais qu’elles sont une suite (continue ou discontinue) de "non mots", de sons, de bruits,
d’onomatopées suggérant au sens large certaines émotions, certains sentiments, associations d’idées ... un peu comme ce que la Madeleine a pu si merveilleusement réveiller chez Proust.
Au point de vue méthodologique, j’établis souvent préalablement une stratégie mais je peux également me laisser uniquement guider par les réponses de mon interlocuteur . Ces non mots sont plus souvent de l’ordre du senti que du réfléchi et c’est donc souvent dans l’involontaire et l’intuitif que l’on "pêche" ce genre de matériel.
Dans quelles circonstances, ces métaphores quelque peu inhabituelles me semblent elles utiles :
Pour donner des exemples précis à propos de ce type de métaphores (d’autres exemples peuvent être trouvés dans le texte de ma lecture faite au 5e Congrès d’Hypnose Ericksonienne de Paris, en mars 1993) :
En ce qui concerne les onomatopées, de par leur vocation, elles amènent facilement dans un champ d’association d’idées propices aux visées de la thérapie. En effet, si je dis à la personne qui vient de me parler de son accident de voiture et de sa chute, des choses comme... BIDOUM DOUM DOUM... je pense qu’elle sera proche / qu’elle se rapproche : d’une route bosselée où la tête dodeline, de ce qui dévale en rebondissant, de ce qui est tombé et a fait boum... et du souvenir “ implicite ” de cet accident.
Ici, la consonnance suggère mais ne détermine pas ; laissant assez d’espace à celui qui l’entend pour lui permettre "d’accepter" ou de "refuser" de vous suivre dans cette voie là. Et il semblerait que les personnes ressentent et apprécient cette prudence !
Il ne faut pas négliger les formations onomatopéïques caractéristiques du langage enfantin car souvent, tout à la fois elles amusent, attendrissent et renvoient à un certain vécu ; matériel très précieux, on peut s’en rendre compte, quand on souhaite provoquer une régression en âge.
Les sons, les lettres même peuvent répondre au désir de toucher plus spécifiquement la sphère émotionnelle ou la sphère cognitive ou encore sensorielle de la personne. A mon sens, la voyelle "I" semble mieux s’adapter à la sphère plus anodine ou plus comique du petit, de l’enfant (Exemples de non mots : Bittibir Cassimi Crocmilou... ) ; la répétition de certaines syllabes également (Exemples : Rititi Biloulou ...). La lettre "A" bien campée sur ses jambes, nie traduit l’équilibre, une certaine force ; le "0" moins sûr de lui m’étonne mais moins anguleux se fait parfois plus doux (Exemples : Marata Moroto Malaca Moloco ... ).
Les lettres "b", ’T’ et "m", je les emploie pour les contextes plus "maternants", proches des notions de tendresse, de réconfort ou de protection (Exemples" : Matile Molinou Bassémom Momulane ... ). Les sons "CH", "SS" et "Z" touchent, à mon avis, le registre de la sensualité, de la souplesse ou encore du mouvement, quelque chose de l’ordre du sensorimoteur ou de l’information bio électrique (à fleur de peau).
C’est la sensibilité du thérapeute qui le guidera parmi ces différents outils.
Il est également possible d’unir les mots et les non-mots, produire une “ musique phonémique ” trouver l’accord et le ton sans s’encombrer de la fatuité d’une construction logique et créer ainsi, dans la relation thérapeutique, une partition d’impressions où deux sensibilités peuvent se rejoindre. Le rythme, la tonalité, l’intensité vocale, la tessiture même auront alors une grande importance.
La mélodie en demi teintes des mots peut bercer et planter le décor à toute transe hypnotique ayant pour but le questionnement intérieur et la mise à jour des potentialités inconscientes.
“ C’est comme le début d’une histoire où l’on entend, entre les mots et les sons, dans une sorte de quête tranquille... Et si c’était par simple sonorité que, soudain, sans préjudice, dans un soupir, ces choses pressenties sortent de nous et dans la qualité d’un silence... ou d’un son... nos ressources s’animent et nous sifflent, sans ordonner, une autre chanson … ce savoir, sans efforts consentis, simplement à la merci de l’importance que vous lui accorderez et ce facile sourire, accessible à tous, éclaircit doucement, sans accrocs, notre drôle et solitaire recherche … ce qui est attendu est là, tout proche, qui tapisse déjà d’espoir nos sensations et l’on se sent renaître à cela ... ”
Il est certain que tout ceci est relié à notre personnalité, à notre culture, à notre état et à la relation du moment ... En tous cas, ces métaphores laissent beaucoup "de place" aux deux partenaires. Ils trouveront, j’en suis sûre, en couleurs franches ou en demi teintes, de quoi matérialiser la beauté de leur "toile thérapeutique" et le plaisir de "créer" une œuvre commune.
Michèle Quintin - Centre de Relaxothérapie® et de Prévention
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