Chronique

L’accompagnement décentré et influent du praticien narratif

Par Brigitte Legrève, Réveilleuse d’histoires.


L'accompagnement décentré et influent du praticien (...)

Quel regard porter sur les personnes que nous accompagnons ?
Comment rendre ce regard fort afin que la personne devienne ce qu’elle désire être ?
Comment restaurer des identités abîmées pour une projection sereine dans l’avenir ?
Les Réveilleurs d’histoires vous proposent quelques éléments de réponse issus des pratiques narratives.

La puissance du regard Pygmalion

Pygmalion, roi de Chypre, sculpteur, célibataire endurci entreprend de sculpter dans le plus bel ivoire une statue de la femme parfaite. Réussite totale puisqu’il tombe amoureux de sa création. C’est le regard de l’amour qui a fait d’une statue une femme désirable. Ce mythe suggère qu’en traitant la personne comme un être rempli de beauté et de ressources, elle a plus de chance de devenir ce qu’elle désire être.

« Tout comme le regard que l’on a posé sur nous dès notre naissance a forgé notre identité, la façon dont nous regardons les autres est fondamentale » nous dit Dina Scherrer dans son livre « La puissance du regard Pygmalion » [1]

L’intention du praticien narratif est d’honorer la personne accompagnée, de lui rendre son statut d’auteur et d’acteur principal de son histoire. Michael White, l’un des fondateurs des pratiques narratives, nous enseigne que cette intention se met en acte sous la forme d’une posture « décentrée et influente  ».

La posture décentrée du praticien narratif

La personne accompagnée est au centre de la conversation, c’est elle qui est experte de sa vie, la place du praticien est ainsi « décentrée ». Il n’en reste pas moins que son engagement est intense : il accorde, plus qu’à son savoir, la priorité aux histoires personnelles, aux savoirs et aux compétences de la personne en tant que narratrice de son vécu. Marylin Frye, philosophe américaine et théoricienne du féminisme, parle de « l’œil d’amour » [2] , celui qui libère la personne considérée comme « sachante » en contraste avec « l’œil arrogant » qui place au centre le point de vue de l’expertise du professionnel.

C’est en rendant aux personnes le statut d’auteur principal de leurs histoires qu’ils dévoilent leurs savoirs, leurs compétences et leurs apprentissages à travers les récits qu’ils racontent.

Car oui : nous sommes multi-histoires !

Mais comment découvrir d’autres narrations que l’histoire de « Problème » qui prend souvent toute la place ?

C’est là que le praticien narratif se transforme en reporter d’investigation …

Le praticien narratif se rend sur des territoires inconnus : la curiosité pour la nouveauté et l’étrangeté lui sera essentielle. Les questions narratives témoignent d’une forme de naïveté et encouragent la personne à donner davantage de détails sur ses histoires. Le praticien narratif incite la personne accompagnée à se découvrir autrement, à prendre conscience d’autres angles narratifs que celui de sa relation à l’histoire de “Problème”.

Le praticien narratif enquête en s’efforçant de rester ouvert, sans parti pris à l’égard de ce qu’il va découvrir. Sans cette disponibilité, le praticien ne ferait plus un travail d’investigation, mais bien une recherche orientée qui viserait à faire prendre conscience à la personne ce qu’il souhaite qu’elle comprenne. Il pourrait même être recruté par les problèmes auxquels la personne tente de résister et ce sentiment de connivence pourrait le mener à une posture de sachant et d’expert du problème.

L’approche narrative suppose que c’est le récit que la personne fait de ses expériences qui fabrique la cohérence de son identité et par là même la forge. L’intention du praticien narratif est donc de permettre à la personne d’ « exotiser le domestique » [3] , selon l’expression de Michael White. Comme il le disait si bien “J’ai toujours pensé que les gens qui nous consultent étaient plus intéressants qu’ils ne le laissaient entendre.” [4]

… et adopte une posture influente !

Le praticien n’exerce pas un pouvoir de sens en élaborant une intervention pour conduire la personne vers une destination qu’il considère comme la bonne.

Son influence s’exerce en construisant, au moyen de questions et de réflexions, un échafaudage qui permet à la personne de raconter autrement son histoire. Soutenue par cet échafaudage, elle peut changer le rapport qu’elle entretient avec son « histoire de Problème » et s’appuyer sur d’autres histoires plus engageantes pour elle. Grâce à ses questions et réflexions, le praticien lui permet de décrire plus richement d’autres anecdotes de vie laissées à l’écart ou dormant dans des territoires inexplorés. La personne peut ainsi prendre position grâce à des ressources qui se sont avérées appropriées pour répondre à des difficultés.

Serge Mori, dans le domaine thérapeutique avec des parents et des enfants, a d’ailleurs développé le concept de « NarrActeur » [5] où le thérapeute et le patient sont co-auteurs/acteurs des narrations qui se construisent dans l’espace thérapeutique.

En encourageant la personne à trouver d’autres significations à ses expériences, le praticien questionne, conjecture, recherche du relief dans le plat, de l’insolite dans le monotone et, en ce sens, tisse une relation de collaboration dans l’élaboration d’une nouvelle histoire dont la personne redevient actrice.

De son côté, André Grégoire, s’appuie sur l’image du Sherpa, tel « un guide qui se tient un pas en arrière » [6] par opposition au « guide de voyage » qui oriente et dirige. Cette image du Sherpa rend par ailleurs compte de l’équilibre relatif entre savoir et non-savoir, expertise et naïveté en ce sens que le praticien sait qu’il sait un certain nombre de choses et que tout l’art de l’accompagnant se situe dans la façon dont il assure le savoir et le met à disposition de la personne.

L’art des questions dans l’approche narrative

Cet art s’exerce au travers de questions qui sont là pour ouvrir le champ narratif. Elles sont souvent poétiques ou métaphoriques, afin de permettre un décalage entre la personne et son récit, condition essentielle pour elle de se distancier du récit « dominant » ou du récit « Problème ». Il s’agit de redonner un sentiment d’initiative et d’action à la personne sur sa vie.

Ces questions visent à amorcer ou enrichir des récits qui permettent aux personnes de se fasciner pour elles-mêmes, ce qu’elles ont accompli, ce qui les surprend, ce qui leur tient à cœur. La palette de questions du praticien narratif s’inspire toujours du répertoire de mots de la personne. C’est ainsi qu’il peut arriver de nommer des créatures narratives et de dialoguer avec elles. Une question telle que « Comment “Courage” s’y prendrait-il pour rendre ta vie plus scintillante ? » ou “ Comment as-tu fait pour déjouer les tours de Madame Procrastination ?” invite à un récit décollé du discours étroit et répété dans lequel la personne a fini par s’enliser.

C’est au travers de ces questions qu’un autre récit émerge, un récit qui redonne de la dignité à la personne, qui prend soin de la personne. Comme le dit Jérôme Bruner, « Le plus cadeau que peut offrir un thérapeute à une personne accompagnée est de devenir son propre écrivain » [7] .

Au cœur des questions narratives, l’intention prédominante est de faire preuve de curiosité, de susciter l’intérêt de la personne pour elle-même et de porter un regard neuf et différent qui ouvre la voie vers d’autres possibles.

Pour aller à la découverte des histoires de vie des personnes accompagnées, Michael White a mis au point des « cartes narratives », comme autant d’instruments de navigation. Ces cartes façonnent l’architecture du questionnement pour enrichir les histoires des personnes que accompagnées et explorer de nouveaux territoires.


[1La puissance du regard Pygmalion, Dina Scherrer, Editions Le Duc, 19/05/2020

[2Politics of Reality, Essays in Feminist Theory (1983), Marilyn Frye

[3Cartes des Pratiques Narratives, Traduction française ISABELLE LAPLANTE et Nicolas De Beer, Editions Satas, 2009

[4Grand manuel d’approche narrative, Catherine Mengelle, Interéditions 2021

[5Une nouvelle « voix » de recherche en thérapie familiale ou comment redevenir « NarrActeur », Serge Mori, dans Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux 2022/2 (n°69), pages 83 à 92

[6La thérapie narrative, Charlie Crettenand et Rodolphe Soulignac, Chroniques Sociales, 2021

[7La présence thérapeutique, L’expérience vécue par des thérapeutes dans la rencontre psychothérapeutique, Shari Geller, Leslie M. Greenberg, dans Approche Centrée sur la Personne. Pratique et rechercher 2005/1 (N°1), pages 45 à 66

Publication proposée par : Réveilleurs d’histoires (les)

Les Réveilleurs d’histoires accompagnent les personnes et les groupes en transition en déclenchant un autre imaginaire narratif, plus porteur de sens et constitutif d’une histoire, d’une identité « préférée ».
-  www.lesréveilleursdhistoires.be
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