Vous entrez dans un restaurant, à Rio, et vous observez quelque chose d’étrange : la grande majorité des couples attablés devant vous ne sont pas assis face-à-face, mais côte-à-côte. Vous vous interrogez sur la raison de ce positionnement particulier et vous demandez une explication à l’amie brésilienne qui vous accompagne. Qu’ont donc ces gens ? Se seraient-ils tous disputés ? Non, bien au contraire, vous répond votre amie, chez nous, les couples d’amoureux s’assoient de cette façon. Pour nous, il est beaucoup plus important de sentir la chaleur du corps de son partenaire, de pouvoir le/la toucher, que de pouvoir le/la contempler bien en face !
Comment utilisons-nous l’espace ? A quelle distance nous tenons-nous les uns des autres ? La situation actuelle, dans laquelle nous faisons l’expérience d’un espacement des distances dans l’espace public et d’un rétrécissement des distances dans l’espace privé, attire l’attention sur ces questions de proxémie, à travers les nombreuses situations inédites qui émergent de cette nouvelle configuration de notre contexte de vie.
L’expérience du confinement est l’occasion pour certains de découvrir, parfois avec surprise, dans quelle mesure le fait que leurs proches pénètrent beaucoup plus souvent dans leur "bulle" d’espace personnel est une chose tantôt agréable, tantôt irritante. Comme certaines espèces animales, tels les phoques ou les hippopotames, peu sensibles au stress lié aux entassements, les uns goûtent avec délice le fait de se retrouver pelotonnés en famille, d’accueillir la jeune étudiante obligée de revenir à la maison pour quelques temps, de partager le repas de midi avec sa compagne en pleine semaine... Mais pour d’autres qui, tels les chevaux ou les faucons, sont habitués à garder une distance personnelle avec leurs proches beaucoup plus importante, la promiscuité est parfois déjà franchement difficile à supporter au quotidien après seulement quelques jours...
Certains observateurs s’interrogent aussi sur notre propension soudaine à chanter ou à applaudir sur nos balcons, à twitter, à téléphoner, à publier en ligne divers messages destinés à nos congénères, au risque d’engorger les infrastructures existantes... On comprendra peut-être mieux ce phénomène en se rappelant que, chez les animaux, la distance au-delà de laquelle l’individu perd le contact avec son groupe - qu’il ne peut plus voir, ni entendre, ni sentir - est celle où il commence à ressentir de l’anxiété. Chez les flamants roses, par exemple, cette distance est de seulement quelques mètres, alors que d’autres espèces d’oiseaux sont en mesure de conserver le contact entre eux à des centaines de mètres grâce à des sifflements puissants.
Beaucoup de parents ont ressenti au cours des derniers jours le besoin impérieux de réunir leur progéniture auprès d’eux, à portée de la main, pour les sentir en sécurité. Venez nous rejoindre dans la maison familiale à la campagne, vous verrez, vous serez bien, vous ne manquerez de rien, les enfants pourront profiter du jardin ! C’est que chez nous, êtres humains, comme chez de nombreuses espèces de mammifères, la distance sociale n’est pas fixée une fois pour toutes de manière rigide, elle est en partie déterminée par la situation et susceptible d’évoluer en fonction de la perception d’un possible danger.
Nombreux ont été ceux qui se sont indignés contre celles et ceux qui ne respectaient pas les distances de sécurité, qui continuaient à se serrer la main, voire à se faire la bise, alors que les consignes avaient déjà été clairement communiquées par les autorités. C’est sous-estimer la puissance des règles non-écrites qui structurent nos interactions sociales. Ainsi, le fait de transgresser une de ces règles, par exemple en ne serrant pas la main d’une personne que nous rencontrons, peut, à juste titre, éveiller la peur d’être confronté à une réaction de contrariété, voire même, dans certains cas, d’hostilité. A la veille du confinement, une femme et son compagnon retrouvent un groupe d’amis proches pour une dernière soirée ensemble. Sur le chemin du retour, elle ressent un sentiment étrange, une sorte de malaise... est-ce que nous sommes partis fâchés avec nos amis ? Non, se dit-elle après coup, c’est juste que, pour la première fois, nous ne nous sommes pas fait la bise en nous disant au revoir !
On le voit, ces réaménagements importants des distances personnelles ne sont pas sans impacter notre humeur au quotidien. Le contexte change... et soudainement, je me sens différent, plus lourd, ou plus léger...
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