Neurosciences & Psychothérapie

Par le Dr. Michel Delbrouck


Neurosciences & Psychothérapie

Les neurosciences ouvrent de nouvelles pistes thérapeutiques.
Comment un psychothérapeute peut-il les utiliser ?
Analogie, complémentarité et congruence possible
entre d’une part les neurosciences et d’autre part la
psychanalyse freudienne, la psychanalyse de la relation d’objet, la théorie de
l’attachement, la psychiatrie infantile et la Gestalt.

Il y a une quinzaine d’anne ?es, pre ?valait un scientisme oppose ? a ? la conception psychanalytique, qui voulait expliquer tout le psychisme a ? partir de la chimie du cerveau et des neurotransmetteurs. Aujourd’hui, il y a un consensus, au moins parmi les personnes e ?claire ?es, pour reconnai ?tre que l’e ?tre humain est un objet complexe, constitue ? au moins autant par son milieu culturel et langagier, par son environnement social et familial, que par son substrat organique.

Cette position suscite de nouvelles questions e ?piste ?mologiques. Faudrait-il créer une nouvelle discipline comme la neuropsychanalyse qui pourrait prendre a ? son compte le double e ?clairage ? Ou a contrario, une coope ?ration entre plusieurs niveaux et domaines de recherche et de the ?rapeutique ne serait-elle pas plus appropriée ou chacun et chacune garderait ses spécificités et ses compétences propres tout en apprenant à collaborer et à s’intéresser aux découvertes et à la pensée de l’autre. Car, il persiste un danger de dilution à vouloir tout amalgamer.

Que recouvre le terme de neurosciences ?

ll représente le vaste ensemble des disciplines scientifiques étudiant le système nerveux.
Si nous abordons la question de l’ontogenèse psychique de l’être humain, nous pouvons affirmer que la naissance physique et la naissance psychique ne sont pas indépendantes mais ne sont pas non plus superposables. Par ailleurs, il semblerait y avoir beaucoup plus de continuité entre la vie intra-utérine et la toute petite enfance que la coupure de la naissance ne le laisserait supposer.

Les conceptions des théories psychanalytiques classiques, des théories des relations d’objet, de la théorie de l’attachement et l’apport des neurosciences ne s’opposent en aucune façon.

Il existe une progression conjointe de l’enfant à travers ces différents angles de lecture de la même réalité, l’enfant être humain qui devient peu à peu adulte et entame au fil de sa vie, la poursuite de son développement physique et psychique.

Le « nourrisson clinique des psychanalystes » nous dit Daniel Stern, doit être distingué du « nourrisson de l’observation des pédiatres et des psychiatres infantiles ». Les théories psychanalytiques supposent que le développement progresse d’un stade au suivant et que chaque stade est une phase spécifique du développement du Moi. La tendance classique serait de « caractériser les premiers stades du développement normal en fonction d’hypothèses s’appuyant sur des états pathologiques ultérieurs ».

Si nous introduisons dans notre approche de la psychogenèse les apports des théoriciens de l’attachement ainsi que le résultat des recherches sur le nourrisson, le sens apporté sera plus prospectif que rétrospectif.

Il n’y aurait " pas de phases mais plutôt des formes d’expériences sociales qui persistent tout au long de la vie". Les phases initiales de formation et d’acquisition des compétences du nourrisson restent fondamentales mais l’individu continue tout au long de sa vie à compléter ses expériences et à accumuler ses acquis. L’expérience sociale subjective se complète dans tous les domaines et notamment au fil de la prise en charge psychothérapeutique.
Les découvertes sur le fonctionnement du cerveau et en particulier les plasticités neuronales renforcent ces nouvelles conceptions. Elles légitimisent la place des psychothérapies.

Le changement fondamental dans la conception de la psychopathologie et de la vie psychique consistant à considérer les problématiques cliniques fondamentales sont à envisager comme des problématiques de la vie entière et non plus comme des questions de phases de développement.

Il n’y a pas d’opposition entre ces diverses conceptions mais un enrichissement mutuel qui peut aider le clinicien à mieux appréhender, comprendre et aider le patient qui vient consulter en souffrance. Le clinicien doit s’adapter au patient et non l’inverse. Nous pouvons poursuivre en considérant ces différentes approches de manière simultanée tout en évitant bien entendu de se perdre.

Que vont nous apporter les neurosciences à notre clinique de praticien ?

L’apport des neurosciences nous amène à concevoir autrement la prise en charge de nos patients.

La proposition pour les psychothérapeutes serait de considérer non plus les problématiques rencontrées comme des fixations à tel ou tel stade du développement psychogénétique mais de considérer que certaines phases de développement ont été incomplètes et qu’elles peuvent être complétées à un stade ultérieur de la vie de l’individu et cela grâce à la plasticité neuronale.

Pour Bernard Golse, "les parties non nées du fœtus sont probablement celles qui n’ont pas pu être encore contenues par aucun autre psychisme". Le rôle de psychothérapeute sera d’admettre, d’imaginer chez son patient cette partie inconnue de lui-même, de l’aider à la mettre au monde et à la contenir, la développer afin de poursuivre le processus de croissance physique et psychique. La prise en charge thérapeutique optimale comprendra les aspects psychique, émotionnel et les aspects corporels. Nous retrouvons ici l’aspect holistique de la prise en charge des gestalt-thérapeutes.

Connaître le mode de fonctionnement du cerveau du "nourrisson observé" qui, selon Bowlby, possède ses propres compétences et celui de l’adulte peut nous aider dans certains cas à envisager avec plus de pertinence certaines pistes thérapeutiques. Le concept de croissance neuropsychologique de l’individu tout au long de la vie étant acquis, elle va se poursuivre et mâturer à travers les réactions transférentielles et contre-transférentielles.

L’approche médicale classique considère la maladie comme un dysfonctionnement dans le présent et se donne pour objectif d’aider le patient à revenir à un état antérieur supposé de meilleure santé. L’approche psychothérapeutique par un travail de parole et de prise de conscience du sujet par rapport à son passé, sa situation présente et sa projection dans l’avenir donne sens à sa souffrance. Grâce aux multiples sollicitations relationnelles, comme la psychothérapie, le travail de resocialisation, le climat de confiance de la relation médecin-malade, le patient se reconstruit lentement, élabore une nouvelle manière d’être au monde. Il réaménage des Modèles Internes Opérants, adopte de nouvelles stratégies, ce qui est le propos des neurosciences.

Les conceptions de l’écoute du psychothérapeute peuvent nettement s’élargir et comprendre plusieurs niveaux d’appréhension et de compréhension en alliant les diverses approches psychanalytiques, humanistes, phénoménologiques et celles des neurosciences.

- Le niveau Freudien, (Sigmund Freud), qui est celui de l’ontogenèse personnelle où l’individu fait, en analyse, des déductions à partir de ses propres expériences subjectives notamment à travers les stades de développement psychosexuel.
- Le niveau Kleinien, (Mélanie Klein), pour qui le psychisme débute dès la naissance sous forme d’objets partiels et représente le niveau fantasmatique de sa relation à l’objet, à l’autre.
- Le niveau Bionien, (Wilfred Bion), qui envisage le niveau groupal ou environnemental inconscient, tenant compte des aspects intersubjectifs du développement de l’enfant.
- Le niveau Jungien (Karl Gustav Jung), qui tient compte du niveau phylogénétique, ou transgénérationnel avec la conjonction du féminin et du masculin ainsi qu’avec la transmission des mythes universels au sein de l’inconscient collectif.
- Le niveau phénoménologique, bien développé par les psychothérapies humanistes qui tiennent compte de l’individu dans son environnement ainsi que des évènements objectifs sans exclure l’aspect subjectif de l’individu.
- Le niveau neuro-développemental qui tient compte de l’expérience subjective et organisatrice du nourrisson. Chaque étape de croissance de l’enfant lui permet d’expérimenter de nouvelles expériences de vie, de les engranger en termes d’équivalent préverbal, verbal et existentiel et ainsi de structurer son psychisme.
- Le niveau des neurosciences rend compte du substrat biologique, de l’inné (génétique) et ce pour 50% et de l’épigenèse par les acquisitions de l’individu provenant de son environnement.

Quelles implications cela aura-t-il sur notre prise en charge ?

Avant la naissance, au stade gestationnel, nous pouvons mettre en évidence l’importance de plusieurs facteurs :
- La contenance et les apports biologiques sont assurées totalement par la mère
- Le rôle capital du psychisme maternel (cf. texte Naissance de B. Golse)
- La capacité de la mère à rêver et à contenir le bébé imaginaire de demain

Après la naissance, du fait de l’immaturité du nourrisson, la contenance et les apports biologiques doivent impérativement être assurés par les parents alors que la contenance et les contributions psychiques le seront de façon directe avec l’enfant. Le thérapeute sera amené à compléter ces processus de croissance au fil de sa croissance , en ce à l’âge adulte.

Michel Delbrouck est médecin, psychothérapeute à orientation psychanalytique, Gestalt-thérapeute, formateur et enseignant de la psychopathologie, superviseur. Il est aussi Past-président de la Société Balint Belge et de la Société Belge de Gestalt, membre associé de l’Institut International de Psychanalyse et de Psychothérapie Charles Beaudouin (Genève), membre de la Commission d’éthique de l’Association Belge de Psychothérapie.
Auteur de Le burn-out du soignant, De Boeck, 2003, 2008 ; Comment traiter le burn-out, De Boeck, 2011 ; Psychopathologie, manuel à l’usage du médecin et du psychothérapeute, Ed De Boeck, 2è édition, 2013 (3è en 2019) ; La relation thérapeutique en médecine et en psychothérapie, De Boeck, 2016 ; Psychopharmacologie à l’usage du médecin et du psychothérapeute, De Boeck, 2016 ; Psychothérapies Humanistes et Attachement, (Ed. et coll), FPHE, 2018.

- www.ifts.be

Publication proposée par : Delbrouck Michel

Le Dr Michel Delbrouck est Psychothérapeute, Formateur et Superviseur. Directeur de l’Institut de Formation et de Thérapie pour Soignants (IFTS). Membre de l’Association Européenne de Psychothérapie - CEP certifié.

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