Au-delà des outils et des procédures, le psychothérapeute s’intéressera aux processus conscients et inconscients. Il aura à explorer tant l’ontogenèse du patient que la sienne et tant ses propres aspects phylogénétiques que ceux de son patient. Et c’est à la frontière-contact entre ces deux êtres que des ajustements créateurs, innovateurs et conservateurs se réaliseront dans un climat d’éthique et d’amour universel.
Comment les notions vont-elles se jouer ou se rejouer au sein de la relation thérapeutique ? A propos de l’exactitude du lien thérapeutique entre le client, le patient et son thérapeute, ce lien se doit d’être empreint de respect, de réciprocité et d’authenticité.
Mais sa profonde inégalité, sa distorsion première vient de cette différence de niveau, l’un sait tout de l’autre et l’autre le client, le patient ne sait rien du premier, du thérapeute. Et il en va ainsi car c’est une condition sine qua non à l’avancée thérapeutique. Cette « fameuse « neutralité bienveillante » est à la fois nécessaire et indispensable et tout-à-fait insuffisante.
Le thérapeute comme le dit le professeur François. DUYCKAERTS [1], « est-il obligé de sauvegarder à l’égard des tendances qui luttent dans le psychisme du malade, une stricte et permanente neutralité d’observateur impartial ? ». Pour l’efficacité du traitement, faut-il que son rôle se limite à susciter, à travers un transfert, la libération des anciens conflits infantiles ? Lui est-il défendu d’assumer un travail de direction ?
Nous nous trouvons à la croisée des chemins entre d’une part la vision psychanalytique et psychothérapeutique clinique et d’autre part avec ce que Oswald SCHARWZ [2] et Charles BAUDOUIN [3] ont appelé la psychagogie.
La psychothérapie ramène le patient vers son passé à réparer et à reconstruire alors que la psychagogie oriente la tâche, l’action vers le présent et l’avenir. Comment à la fois, le thérapeute pourrait ou peut allier ces deux forces, non pas antagonistes mais qui prennent deux directions différentes. Conflit stérile à notre sens, car la résultante de ces deux forces pourrait être vecteur d’une plus grande force de changement thérapeutique. |
Au-delà des vicissitudes, des manquements, des traumatismes archaïques que la démarche psychothérapeutique et psychanalytique, explore et dont elle dénonce la néfaste influence, la seconde partie de la démarche thérapeutique consiste à ouvrir le passage vers de nouvelles terres ou cieux. Confronter le patient aux valeurs objectives, l’affranchir de ses complexes, de ses limites, lui enseigner l’action concrète, le courage va s’avérer indispensable.
Les récentes découvertes des neurosciences à propos des circuits de récompense, nous apprennent à travailler avec du « matériel positif » de renforcement. Là où les vrais opérateurs de changement seront à l’œuvre, c’est que le thérapeute comme son patient aura lieu aussi à s’engager dans le processus thérapeutique.
La qualité d’être, de présence du thérapeute, la qualité et la teneur du lien avec son patient va se révéler indispensable à cette tâche.
Il ne s’agit pas ou plus pour le psychothérapeute, le psychanalyste, le médecin de connaître mais de faire l’effort d’être un homme préoccupé à faire lui-même ce qu’il demande chaque jour à ses clients [4] . Cet aspect de la prise en charge thérapeutique révolutionne vraiment la médecine et la psychothérapie.
Comment le médecin peut-il proposer l’abstinence alcoolique ou tabagique si lui-même boit ou fume ? Comment accompagner le patient dans les méandres de la relation archaïque d’objet si le thérapeute lui-même n’a pas été visiter dans sa chair, dans son être les luttes intestines les plus douloureuses de la perte d’objet, ses mouvements d‘amour et de haine qu’il retrouvera chez son patient.
Son authenticité se placera juste à cet endroit. De par sa propre expérience, il sait qu’un pas de plus, une volonté d’en sortir, un mouvement vers l’avant lui a permis à lui et permettra à son patient d’avancer vers des terres nouvelles. Grâce à la dimension expérientielle que le thérapeute a lui-même traversé, il aura acquis les fonctions maternelle et paternelle indispensables pour sa tâche.
Deux dispositions affectives fondamentales sont requises à cet effet, le sentiment de sécurité et la confiance en soi. Grâce à elles, le patient et le thérapeute vont agir et grandir. Nous parlons d’importer au patient un sentiment de sécurité tel que la mère et le père le donnent à l’enfant. Ce sentiment qu’ont l’enfant et le patient « d’être chez lui » dans le monde lui offre sa principale source de sécurité.
L’acceptation et la reconnaissance inconditionnelles d’un autre être, même devenu adulte demeure un des aspects fondamentaux de la prise en charge. L’enfant et le patient en dépit de ses faiblesses, de ses erreurs et de ses fautes peut toujours avoir la possibilité d’un recours. La reconstruction de ce sentiment de sécurité peut prendre de nombreuses années lorsqu’il a été bafoué ou inexistant notamment dans les cas de maltraitance, d’abus moral, psychique et sexuel. |
Les charges et les exigences ne seront donc ni trop lourdes, ni trop légères, mais adaptées au stade de croissance de l’enfant, du patient-infans [5] que le thérapeute a en face de lui.
Le bon parent comme le bon thérapeute aura donc à la fois à garder son rôle passif [6] afin que dans le transfert, le patient puisse revivre les relations parentales primitives avec leurs manques, leurs douloureux échecs répétés. En effet, comme avec un enfant, le thérapeute et le parent se doivent de développer leur devoir de réserve, leur oubli d’eux-mêmes, leur acceptation inconditionnelle et ponctuellement en sortir, pour recadrer, stimuler, encourager les balbutiements, les minces progrès acquis, corriger l’inexactitude d’une tentative courageuse de changement. Cette attention de parent ne s’acquiert qu’avec le temps, un travail personnel du thérapeute, une connaissance de l’âme humaine et une profonde humilité.
Par ailleurs, la fonction paternelle du thérapeute va enseigner à l’enfant et au patient la confiance en lui. Apprendre à l’enfant, au patient, à l’Autre, à avoir confiance dans ses propres forces, progressivement en fonction de son âge physique et psychique. Il s’agit de travailler avec l’infans du patient adulte.
Le père apprend l’action, l’audace, le mouvement masculin « agressif », ad-gressere ou aller vers le monde. Il approuve et désapprouve de manière non arbitraire et non capricieuse mais bien par les valeurs des tâches, des actions que l’enfant et le patient ont à accomplir.
Si le patient n’a jamais reçu cette influence paternelle, doucement et fermement stimulante, il n’aura jamais l’occasion de s’engager dans l’action. Pour James Hillman [7] la créativité sera la rencontre entre Eros et Thanatos, entre d’une part la découverte d’un monde intérieur sécurisant où il est accepté inconditionnellement et d’autre part la certitude qu’ayant confiance dans ses propres forces, se développe son esprit d’initiative, sa persévérance dans l’exécution et sa joie dans le succès de ses entreprises. Le patient pourra enfin compter sur le monde et sur lui-même et devenir créatif, imaginatif de sa propre vie.
Ceci nous amène à réfléchir sur le positionnement contre-transférentiel du thérapeute. Il sera de toute façon différent chez le médecin et le psychothérapeute. Notre positionnement au niveau de la prise en charge psychothérapeutique serait d’ajuster cette attitude en fonction du type de personnalité du patient, de sa problématique, et de son histoire personnelle.
Mais il n’en serait rien si nous ne parlions de l’amour.
Pour O. Schwarz [8] , « l’amour est l’exact opposé de l’angoisse ». Aimer, c’est se fixer de la manière la plus stable et la plus sûre, en s’unissant parfaitement à un autre être humain ».
Il [9] dira aussi : « L’amour n’est pas une émotion, ni un désir. Il est un acte de connaissance par lequel nous saisissons l’essence même d’une autre personne ». L’amour [10] ne commet pas d’erreur, seuls les amants en commettent. « L’amour [11] est un acte créateur. Il renferme par conséquent toute la félicité et toute la souffrance que connaissent si bien les hommes occupés à produire une œuvre ».
La prise en charge thérapeutique va passer par cet état afin qu’advienne le patient à lui-même. Bien entendu, à de degrés divers. Les problèmes essentiels ne comportent pas de solution rationnelle. Les questions ambiguës, et/ou angoissantes se résolvent d’elles-mêmes, grâce à des solutions et à des réponses qui jaillissent des profondeurs de notre existence.
L’aide que nous pouvons apporter à nos patients ne pourra se révéler que parce que nous-mêmes auront explorés les zones de doute, d’angoisse, d’inquiétude, de sécurité et de réassurance progressive à travers la relation à l’autre constante et infaillible. |
Dr. Michel Delbrouck
Cet article est le résumé de l’intervention du Dr. Michel Delbrouck au Bistro Mieux-Etre du 1er octobre 2014.
[1] DUYCKAERTS F., in SCHWARZ O., Psychologie sexuelle, Paris, PUF, 1951, p. XIII.
[2] SCHWARZ O., Psychologie sexuelle, Paris, PUF, 1951, ibidem, p. XIII.
[3] BAUDOUIN C., Christophe le Passeur.
[4] SCHWARZ O., ibidem, opus cité, p. XVI.
[5] Infans : le langage de celui qui n’a pas encore de mots pour le dire et qui tente de s’exprimer souvent de manière non verbale, donc l’enfant enfoui chez l’adulte devenu. Cf. DELBROUCK, opus cité, Psychopathologie.
[6] BALINT M., Amour primaire, opus cité, p. 226.
[7] HILLMANN J., Le mythe de la Psychanalyse, Paris, Imago, 1977.
[8] SCHWARZ O., ibidem, opus cité, p. 84.
[9] SCHWARZ O., ibidem, opus cité, p. 90.
[10] SCHWARZ O., ibidem, opus cité, p. 96.
[11] SCHWARZ O., ibidem, opus cité, p. 97.
Le Dr Michel Delbrouck est Psychothérapeute, Formateur et Superviseur. Directeur de l’Institut de Formation et de Thérapie pour Soignants (IFTS). Membre de l’Association Européenne de Psychothérapie - CEP certifié.