L’entreprise familiale vit à la croisée de deux mondes : la famille, essentiellement régie par l’émotionnel, et l’entreprise, régie par le rationnel. Elle peut avoir besoin d’un accompagnement spécialisé dans des situations de blocage qui mettent, selon les cas, le bien-être de la famille en péril et dans certaines situations l’équilibre et parfois la survie de l’entreprise en danger.
L’article suivant présente la première situation qui m’ait été confiée. Deux frères, codirigeants, sont embourbés dans un conflit familial qui menace leur capacité de cogérer leur entreprise. A l’époque, j’ignorais tout de la particularité des entreprises familiales.
Brigitte a 47 ans et fait partie d’une famille de 5 enfants.
Deux de ses frères sont codirigeants d’une société de services. Suite à une brouille familiale, ils sont dans une situation qui semble inextricable : ils sont quasi dans l’incapacité de s’adresser la parole, ce qui rend le travail de terrain ainsi que la gestion de l’entreprise très difficiles.
Les réunions familiales, devenues explosives, sont depuis peu désertées.
Brigitte est impactée à différents niveaux par la situation : elle souffre de voir ses frères en conflit et tente de soutenir ses parents, et en particulier sa maman, désespérée par la tournure qu’a pris ce désaccord qui envahit toute la sphère familiale.
Elle connaît mon parcours professionnel et estime que mes compétences de psychothérapeute relationnelle et de juriste sont susceptibles d’aider ses deux frères. J’accepte que mes coordonnées leur soient transmises afin d’établir un premier contact et de recueillir des informations sur leur problématique.
C’est le fondateur, Victor, qui me contacte. Je le reçois rapidement, avec pour objectif de récolter des informations susceptibles de m’éclairer sur la situation, en croisant les aspects juridiques et humains. Il sera aussi question d’offrir à Victor un lieu d’écoute pour déposer la souffrance qui le mine.
Spontanément, Victor me parle de sa famille, de sa place dans la fraterie, de son lien avec ses parents, de comment il a fondé l’entreprise puis proposé à son frère, Jules, alors dans une impasse professionnelle, de l’y rejoindre en lui offrant une place quasi équivalente à la sienne. Il me dit combien il est blessé par l’attitude actuelle de son frère, qui réveille d’anciennes blessures familiales.
Il se sent incapable de poursuivre leur collaboration, est conscient de se trouver dans un état émotionnel débordant, et craint de prendre une décision trop peu réfléchie et préjudiciable à l’entreprise.
Je demande à Victor de me fournir les statuts de la société ainsi que le contrat d’agence qui la lie à une enseigne connue. J’ai besoin de saisir la toile de fond juridique ainsi que les enjeux, notamment financiers, en présence.
Victor et moi allons analyser les possibilités de sortir de la collaboration avec son frère ainsi que les impacts sur leurs situations financières ainsi que sur la santé de l’entreprise. Il s’agit d’envisager cette option comme une des multiples possibilités, non comme la solution absolue.
Dans le même temps, nous avons comme but de faire redescendre et d’apaiser l’intensité émotionnelle qui entrave la capacité de Victor à collaborer avec Jules. Cet objectif est intéressant car il rend au binôme sa capacité de collaboration et de co-construction, quitte à ce qu’un de leurs choix puisse être de mettre fin à cette collaboration.
Lorsqu’il semble y avoir de la place pour cela, c’est-à-dire quand Victor a retrouvé une sérénité émotionnelle suffisante, nous envisageons une rencontre avec Jules. Il nous apparaît essentiel de restaurer la capacité de dialogue et de cogestion du binôme.
La perspective de cette rencontre est anxiogène et nous prenons le temps de la préparer avec soin, dans le respect du rythme de Victor. Lorsqu’il s’en sent prêt, il sollicite son frère qui répond favorablement à l’invitation. Nous pouvons poser le rendez-vous !
L’entretien qui rassemble Jules et Victor démarre prudemment et révèle un aspect inattendu : Jules semble très peu conscient de la souffrance qu’il a générée chez son frère. Il n’arrive pas à en prendre la mesure. Malgré cela, l’entretien permet de renouer le dialogue entre eux, de mettre des mots sur leurs vécus respectifs, de sortir progressivement de la blessure relationnelle. Nous avançons à petits pas, précautionneusement. Je cadre beaucoup cet échange : pas question de risquer de réveiller la douleur or la situation reste sensible. Progressivement, une nouvelle sécurité s’installe dans leur communication et je sens le lien se retisser.
Quelques autres rendez-vous seront nécessaires pour consolider ces bases nouvelles. Les deux frères reconstruiront leur capacité de cogestion et pourront s’appuyer sur celle-ci pour avancer. Différemment, probablement. Ensemble ou pas, selon leur choix.
(Les prénoms et signes distinctifs des personnes et situations qui ont inspiré cet article ont été modifiés).
Christine Henseval est psychothérapeute et coach en Gestalt à Liège. Elle est spécialisée en Psychothérapie individuelle – thérapie familiale – thérapie de couple – thérapie de groupe - thérapie d’entreprises familiales - Conférencière.
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