A l’école, on a appris : « Je pense, donc je suis ». Mais aujourd’hui, les détracteurs de Descartes rétorquent : « Tu penses trop, donc tu ne ressens rien ! ». Pour Daniel Goleman à qui l’on doit le concept d’intelligence émotionnelle, le quotient émotionnel serait plus important pour la réussite individuelle que le quotient intellectuel. Comment trouver dans sa vie un équilibre sain entre ces deux pôles ?
Certains rêvent peut-être d’une potion magique pour se débarrasser à jamais des émotions. Pourtant les émotions sont utiles, indispensables même à la survie de l’homme. Depuis Darwin, on sait que tout être, humain ou animal, naît avec un équipement émotionnel qu’il partage avec ses congénères et qui lui permet d’agir d’instinct, de s’adapter aux situations délicates.
LA RICHESSE DES ÉMOTIONS : PEUR, COLÈRE, CHAGRIN, JOIE, AMOUR
Exprimée de manière saine, la peur protège l’individu. La colère, elle, permet de poser des limites salutaires, et le chagrin de verser les larmes de la guérison. La joie procure l’enthousiasme de vivre la vie avec passion, tandis que l’amour de soi et des autres permet d’établir des relations positives en premier lieu avec soi-même et le monde. Ces émotions essentielles charrient une myriade de sentiments éprouvés par l’être humain au cours de la vie.
PAS DE PLACE AU QUOTIDIEN POUR LES EMOTIONS !
Pourtant, il est socialement inconvenant de se laisser dominer par ses émotions : ne pas ravaler sa colère, ses peurs, son dégoût, sa tristesse passe pour infantile et ridicule, voire même pour un signe de fragilité psychique. Les émotions collectives sont autorisées dans un stade de football et lors d’une catastrophe nationale. Mais pas question de faire crier sa joie au bureau pour une augmentation de salaire ou de pleurer devant vos collègues à la mort d’un proche. Le self-control a l’avantage de vous offrir un certain "confort psychique" : le poids des émotions retenue et ritualisés s’atténue. Mais le revers de la médaille, c’est la frustration qui en découle et surtout une distance grandissante entre ce que vous êtes et ce que vous faites.
LA GUERRE CIVILE ENTRE EMOTION ET REFLEXION
Pourtant aujourd’hui, vous êtes vivant, spontané, créatif, blagueur. Mais il y a aussi en vous un côté renfermé, boudeur, un pauvre petit être peureux. A l’âge adulte, cet aspect de vous-même est plus subtil. Quand vous vous sentez dépassé, vous ne dites pas comme un enfant : "J’ai pas envie !", vous contournez le problème en disant :"Je n’ai pas le temps maintenant, je ferai cela plus tard !"
Elise est amoureuse - tous ses amis l’enjoignent d’appeler son petit ami. "On sait bien qu’il t’aime, et toi, et tu l’aimes aussi, non ?" C’est bien là le problème. Elle l’aime vraiment et les enjeux montent. :"Qu’est-ce que je fais si je l’appelle et qu’il est distant ? Il va peut-être penser que je suis vraiment prête à tout. Et s’il me dit qu’il n’a pas envie de sortir avec moi ? Ce serait encore pire que maintenant. Non, je préfère ne pas appeler en premier. J’attendrai qu’il fasse le premier pas."
Jacques est le jeune directeur dynamique de sa propre entreprise où il a instauré un climat moderne : chaque semaine, le personnel se réunit pour dire ouvertement tout ce qui ne va pas. Juste avant la réunion, Jacques est pris de panique. Il ne peut s’empêcher de se sentir menacé par les gens qui veulent le poignarder dans le dos. Il est sûr qu’ils vont s’unir contre lui et critiquer son impatience, son autoritarisme, son exigence. Ce brillant meneur d’hommes se retrouve dans le rôle de la victime incomprise.
Ici, deux aspects de l’être humain se font la guerre : le premier, issu du cerveau de l’enfant où sont enracinées les réponses émotionnelles, appelé par Bob Hoffman, fondateur du Processus Hoffman, Enfant émotionnel. Dans son enfance, Elise a appris à se tenir "tranquille" sous peine de punition. Elle "réagit" d’une manière "stéréotypée", peu importe qu’il s’agisse d’une situation actuelle ou d’une scène remontant à de longues années ! L’autre aspect est l’Intellect adulte qui filtre les informations, pour faire la différence entre éléments réels du présent et éléments imaginaires du passé. Au lieu de coopérer, les deux aspects sont en compétition. Elise entend un dialogue intérieur, des voix exaspérantes qui lui crient ou murmurent des ordres, des doutes ... Ici, c’est l’Intellect adulte d’Elise qui a été mis hors combat par la peur d’être rejeté de son Enfant émotionnel. Dans le deuxième exemple on découvre le m^me dynamisme.
PRENDRE CONSCIENCE DES DEUX ASPECTS EN VOUS
Avec le temps, votre Intellect adulte, impatient et frustré, finit par ignorer les messages de l’Enfant émotionnel. Le problème, c’est que les vieilles réactions de l’Enfant émotionnel ne vont pas mourir de leur belle mort. La méthode Hoffman met à profit le penchant de l’être humain à se comprendre lui-même. Sur la voie de la compréhension de soi-même, explique Claudio Naranjo, psychiatre, la meilleure forme de guérison de la vision intérieure va naturellement bien au-delà d’une compréhension purement intellectuelle. Elle est inséparable de l’expérience qui élève l’individu vers une conscience accrue de soi-même. Et de la même manière que la souffrance fait naître l’inconscience, l’inconscience elle est perpétuée par le désir d’éviter, de nier et de refouler la souffrance.
Prendre conscience de soi-même, c’est faire un "voyage dans l’enfance pour mieux être adulte", même, si, comme l’a dit C.G. Jung, il n’y a pas de naissance de la conscience sans douleur. Quand l’être humain fait un retour en arrière sur son passé, il revit ses douleurs d’enfant. Cela peut être très inconfortable, mais c’est une expérience nécessaire pour débloquer les émotions.
[…] Le Processus Hoffman, poursuit Claudio Naranjo, met en pratique quelques concepts simples et fondamentaux d’une manière qui permet aux novices de l’approche thérapeutique d’obtenir en l’espace de quelques semaines une vue claire qui leur permettra de changer leur vie, d’émerger de leur conditionnement émotionnel et de leur enracinement dans l’enfance et de tenter de prendre leurs distances par rapport à l’emprise compulsive de ce conditionnement.
L’approche Hoffman permet de faire la paix entre émotion et réflexion. L’objectif est de ne plus nier ce que l’on ressent et de puiser dans ses propres émotions la force d’aimer soi-même et les autres. Parvenir soi-même à la transformation que l’on souhaite pour le monde, a dit Mahatma Gandhi.
Karin Reuter,
Psychologue clinicienne et psychothérapeute