La plupart des livres présentant la P.N.L. offrent une panoplie de protocoles de changements qui, à en lire les auteurs, une fois appliqués à nos clients devraient les conduire à "l’obtention" d’un objectif préalablement défini.
Cette présentation réductrice des pratiques des auteurs et de leurs clients, cette confusion aussi entre un processus de changement et un rituel de changement (swish, recadrage en six étapes …) ne rend pas compte de l’audace et du courage dont ils font preuve pour co-créer un contexte dans lequel le changement peut émerger. Pour le dire autrement, l’accent est souvent mis sur le rituel décrit en "step by step" plutôt que sur l’orchestration co-créée par les acteurs dans un environnement signifiant. Or, s’il est une idée forte dans le mythe fondateur de la P.N.L., c’est qu’il existe une distance étonnante entre les théories des praticiens et ce qu’ils font.
J’ai préparé cet article à partir de différents constats que j’énonce comme suit :
la P.N.L. prend des chemins différents ; des chemins "messianiques" pour certains, des chemins linéaires, systémiques, constructivistes pour d’autres (et pour moi, c’est génial - au sens de générateur -surtout si de ces pratiques différentes, des lieux de confrontation se créent entre ces pratiques pour permettre l’émergence de nouveaux chemins)
de ces chemins différents ou de ces tentatives de différenciation, surgit pour certains l’idée d’une "vraie" P.N.L. et d’une autre P.N.L. pas vraiment vraie … (et pour moi, c’est aussi génial - toujours dans le même sens - , pour autant que cette émulation crée aussi des lieux de confrontation et d’interrogation après l’endormissement des premiers slogans du "blanc encore plus blanc que blanc…")
un lieu professionnel de changement est un lieu traversé par des prescriptions culturelles qui ne concernent pas uniquement la bonne volonté des acteurs présents dans ce lieu.
Pour les "visages pâles", la rencontre avec un thérapeute prescrit des récits et des attentes culturellement définies ; dire par exemple à son "psy" : "j’ai rêvé de manger des carottes gorgées d’eau au fond d’un grand souterrain" sera peut-être suivi d’effets différents que si j’énonce le même rêve à ma bouchère.
Je constate qu’en nous inscrivant dans la méthodologie P.N.L nous créons des contextes dans lesquels le changement émerge sans pour autant modéliser ces contextes.
A partir de ces constats, je construis les propositions suivantes :
je crois que plus nous modéliserons comment nous créons des contextes qui favorisent l’émergence d’un changement, plus nous développerons une P.N.L. créatrice, prédictive d’une rencontre sincère avec nos singularités … pour le dire autrement, je crois que plus nous véhiculons l’idée qu’il suffirait de reproduire quelques patterns de X ou Y, pour que thérapeutes de qualité, nous devenions des thérapeutes hors du commun, plus nous fabriquons une P.N.L. réductrice et enfermante.
le client et le thérapeute dans ce lieu de changement viennent avec leurs propres histoires, leurs manières originales de construire des problèmes et éventuellement de les résoudre. Dans ces rencontres, les modèles vont se modifier ou pas … ils vont éventuellement se métisser c’est-à-dire se diriger vers "un horizon imprévisible qui permet de redonner toute sa dignité au devenir".(1)
Pour le thérapeute, reconnaître ses manières de concevoir le changement ainsi que celles de son client peut l’aider à emmener le système vers une autre lecture ou vers un autre processus de fabrication de ressources ; ce faisant, il accompagne différemment la dynamique du changement.
l’approche constructiviste, outre le fait qu’elle intéresse des chercheurs d’ autres champs (favorisant de ce fait des rencontres interdisciplinaires) nous invite à :
1. mettre des "et" plutôt que des "ou" dans notre rencontre avec des praticiens issus de "chapelles" différentes et de là élargir nos choix
2. mettre des "et" plutôt que des "ou" dans notre rencontre avec des clients issus eux aussi de "chapelles" permettant de construire des problèmes à priori insolubles s’ils restent enfermés dans leurs chapelles.
Jacques Derrida (2), nous rappelle que sur le plan étymologique le mot dérive a deux sens distincts :
dérive, se dit d’un trajet continu et ordonné d’une origine vers un but.
dérive, se dit aussi d’une perte de contrôle
Un voyage est le résultat d’une tension entre les deux sens du mot dérive avec tantôt plus de dérive sens 1, tantôt, plus de dérive sens 2.
Pour mieux illustrer cette idée, je vous invite à vivre l’expérience suivante :
"…rappelez-vous un de vos derniers voyages passionnants ! De ce voyage, laissez venir un événement merveilleux pour vous … revivez ce moment comme si …vous y êtes maintenant … et les images que vous voyez, les sons que vous entendez, les odeurs et les goûts vous invitent à retrouver les sensations que vous sentez … puis en revenant ici … reconsidérez cet événement … était-il programmé, prévisible (dérive sens 1), inattendu (dérive sens 2) ? …"
Un contexte de changement (lieu thérapeutique, lieu d’apprentissage, de consultance, de coaching …) peut être envisagé comme un voyage dont la qualité est tributaire de la tension entre les deux sens du mot dérive.
Pour moi, cette juste tension est co-créée par les différents acteurs, dans un contexte riche de sens, chacun y mettant sa propre définition du mot dérive et laissant cette définition, se modifier ou pas.
Je constate que la plupart des livres traitant de la P.N.L. mettent en évidence un nombre impressionnant de modèles de changement qui, à en lire les auteurs, sont destinés à conduire le client du point 1 (généralement appelé l’état présent ou la situation actuelle) au point 2 (appelé lui l’état ou la situation désiré) en passant par un nombre d’étapes plus ou moins élevé. Ces modèles nous montrent l’idéal de changement du professionnel qui s’inspire directement de la dérive au sens 1 de ma proposition.
Or, entre ce que disent ces auteurs et ce qu’ils font, nous pouvons supposer qu’il existe une différence qui, si elle n’est pas interrogée laisserait supposer qu’il suffirait de reproduire certains comportements, certaines prescriptions, certains rituels pour "emmener l’autre … le client …" vers un changement préalablement défini.
Cette lecture un peu naïve des relations, cette pseudo - modélisation causaliste appauvrit pour moi la richesse bien réelle des pratiques de ces mêmes auteurs et des acteurs courageux qui voudraient s’en inspirer.
Je propose une typologie des modèles de changement avec comme projet d’élargir les choix de celui qui s’interroge sur sa pratique et de là, les choix du client qui co-construit cette même pratique.
Il est clair que ces modèles de changement sont reliés à la manière particulière qu’un système utilise pour construire et maintenir un problème. Ils nous indiquent en même temps une autre manière de lire le réel pour créer un autre possible.
Enfin, ils nous invitent à reconnaître nos propres manières de voyager, juste tension entre la dérive au sens 1 ou au sens 2 avec l’interrogation de la pertinence de ces modes pour le plus grand bénéfice "des candidats" (le praticien et le client) au changement.
Je m’inspire directement de Robert Neuburger (3) dans sa proposition d’une modélisation des thérapies familiales.
Pour faire bref, distinguons trois types de modèles :
¸ les modèles prédictifs
¸ les modèles non-prédictifs
¸ les modèles constructivistes
4.a. : les modèles prédictifs :
Avec les modèles prédictifs, "l’effet est prédéterminé, inclus dans le processus thérapeutique" (4)
le modèle causal linéaire : X cause Y, si on supprime X, on supprime l’effet
Exemple : Pierre a des problèmes scolaires parce que ses parents se comportent mal avec lui … il faut donc "soigner" ses parents.
le modèle causal circulaire : soit X, Y, Z, chaque élément est à la fois cause et effet … "la causalité est dans la boucle elle-même" (4)
Exemple : Pierre a des problèmes scolaires ; sa maman s’occupe de lui … son papa se sent rejeté et s’éloigne de la famille … Pierre est inquiet pour le devenir de la famille … sa maman s’occupe de Pierre, le …
3.b. : les modèles non prédictifs :
Avec les modèles non prédictifs " …la solution n’est pas déjà contenue dans le système thérapeutique" (5)
le modèle systémique de type 1 : l’acteur de changement voit le système comme "un ensemble d’éléments évoluant dans le temps. Le problème est interprété comme une tentative du groupe pour bloquer le temps." (6) L’acteur de changement est neutre quand il observe les processus d’autorégulation du système.
Exemple : le problème de Pierre apparaît au moment ou sa sœur aînée rencontre un joli fiancé … Pierre permet à sa maman de se sur activer dans le rôle de mère et ainsi de faire l’économie de l’angoisse insupportable de la séparation avec sa fille et d’un autre réinvestissement du couple … monsieur peut ainsi continuer à croire qu’il n’est pas important et …
le modèle systémique de type 2 : l’acteur de changement se voit, s’entend et se sent dans le système ; il s’observe observant un système qu’il construit.
Exemple : le thérapeute doit se rendre aux toilettes et pourtant continue la séance … constatant cela, il s’interroge : " le fait que je m’interdise de quitter la famille pour satisfaire mon besoin est-il une métaphore corporelle de ce que la famille vit ?"
3.c. :Le constructivisme :
Avec le modèle constructiviste, "où l’acteur de changement cherche le point d’aveuglement"(7) … ce qui n’est pas perçu qui n’est pas perçu et qui est peut être perçu
le constructivisme de type 1 : pour l’acteur de changement, le client construit une réalité et est aveuglé par une lecture unique (par exemple, une lecture prédictive ou systémique)
le constructivisme de type 2 : l’acteur de changement sait qu’il construit une réalité et qu’il est aveuglé par une lecture unique (prédictive ou non)
Pour dire autrement ces modèles, la réflexion de l’acteur de changement se fera successivement comme suit :
avec les parents qu’il a, c’est normal qu’il ait des problèmes scolaires.. soit on le met en internat, soit les parents vont en thérapie …(modèle causal linéaire)
dès qu’il va mieux, il est plus autonome, il sort, ces parents s’inquiètent et il va à nouveau mal …(modèle causal circulaire)
le système est bloqué dans sa nouvelle phase d’adaptation … si Pierre va mieux, alors toute l’organisation familiale va être perturbée … (modèle systémique de type 1)
en quoi est-ce que mes "résonances" avec le système aide le système à changer ou pas ? (modèle systémique de type 2)
qu’est ce qu’il ne voit pas qu’il ne voit pas et comment les aider à voir ? (modèle constructiviste de type 1)
qu’est- ce que je ne vois pas que je ne vois pas ? (modèle constructiviste de type 2)
Le client quant à lui, réfléchira comme suit :
je vais mal à cause de Pierre (modèle causal linéaire)
ma femme diminue son activité professionnelle pour s’occuper de Pierre ; je dois donc travailler plus pour maintenir notre niveau de vie et quand je rentre à la maison ma femme me reproche de ne pas m’occuper d’elle, je m’énerve et je vais boire un verre pour me calmer ou pour me distraire … Pierre s’inquiète (modèle causal circulaire)
je crois que le problème de Pierre nous permet de faire l’économie de rencontrer nos propres désirs … (systémique type 1)
je suis parano et c’est la seule vision du monde valable … (constructivisme type 1)
La P.N.L. a beaucoup investi les changements prédictifs qu’ils soient de causalité linéaire ou de causalité circulaire (quel praticien en P.N.L. n’a pas eu à chercher le déclencheur, le "bon" sur lequel il faut agir pour … ou la redondance relationnelle, le "pattern" à changer pour produire un autre effet …) ; elle s’est aussi intéressée à la systémique de type 1 avec comme modèle de référence, la métaphore du recadrage en six étapes appliquée à un système (chercher l’intention positive du comportement limitant vu comme un symptôme) et ensuite avec les positions perceptuelles.
Le constructivisme de type 1 - modéliser comment le client construit un problème - pour un P.N.Liste c’est un peu la prose de Monsieur Jourdain.
La systémique de type 2 et le constructivisme de type 2 m’apparaissent comme de nouveaux champs à explorer avec la P.N.L.
En introduisant la systémique de type 2, comme lecture complémentaire du réel, nous offrons une métaphore (celle de l’observateur dans le système observé) qui nous invite à mettre toute notre attention sur ce qui nous arrive (sur le plan physiologique, mental, émotionnel et spirituel) alors que nous sommes en relation.
Cette attention - ou cette modélisation du "je" en relation - sans censure, outre le fait qu’elle est une source d’exploration et d’interrogation permanente de l’acteur de changement, nous offre des énoncés dynamiques ; l’inscription consciente de ces énoncés dans le contexte de changement est une voix nouvelle indispensable, par moment pour, co-créer de nouveaux récits. L’ignorance de cette conscience du "je" pourrait à l’inverse nous conduire à aider le client à répéter avec nous ce qui l’aide à ne pas changer.
Le concept performatif de résonance tel que le propose Mony El Kaïm (8) est relié à cette proposition. La résonance n’est pas "un fait objectif", "il ne s’agit pas d’une vérité cachée que l’on devrait faire apparaître à travers un point commun à différents systèmes ; elle naît dans la construction mutuelle du réel qui s’opère entre celui qui la nomme et le contexte dans lequel il se découvre en train de la nommer." (9)
En ajoutant une position perceptuelle supplémentaire (faire comme si nous devenions le méta de l’autre) et dans cette position, en me posant la question : "en quoi est-ce que ce que je ressens et pense maintenant confirme l’autre dans son récit", j’ai un mode opératoire pratique qui m’aide à inventer des réponses inattendues.
Quant j’inscris la P.N.L. dans le constructivisme de type 2, je me crée un cadre dans lequel :
je prends davantage conscience de mes modèles de changement et de ceux du client
je prends davantage conscience de mes résonances ce qui m’aide à utiliser les scénarios répétitifs
je me rappelle qu’un modèle de changement a un sens opérationnel ; il n’est donc ni vrai, ni faux. Il est intéressant s’il élargit les possibles.
je me dynamise pour emmener le système vers une autre lecture plus ouvrante
je me rappelle qu’un "step by step" de changement est un objet dont la "magie" est une co-construction entre les acteurs dans un contexte culturel donné
je m’ouvre à d’autres récits, à d’autres pratiques de la P.N.L. (notamment) sans rechercher celle qui lave plus blanc que blanc
Bibliographie :
1. Laplantine F., Nouss A. "le métissage", Ed. Flammarion, 97, p.83
2. Derrida J., "la contre-allée", Ed. la quinzaine littéraire, 99
3. Neuburger R., "le mythe familial", ESF, 95
4. Neuburger R., op.cit., p.20
5. Neuburger R., op.cit.,p.20
6. Neuburger R., op.cit., p.25
7. Neuburger R., op.cit. p.25
8. El Kaïm M., "si tu m’aimes ne m’aime pas", Ed. le Seuil, 1989
9. El Kaïm M., op cit. p.153
10. Denis Claude, Hostert Jean-Luc "P.N.L., constructivisme et auto-référence", Métaphore 18, 06/96
Jean-Luc Hostert,
Enseignant certifié en P.N.L. (08/88 New-York Institute)
Directeur du Groupe de Recherches et d’ Interventions en Ressources Humaines
(Groupe R.I.R.H.)
Voir la présentation du Groupe RIRH
Jean-Luc Hostert est psychothérapeute (orientation systémique, hypnose et transpersonnelle), coach et formateur dans la Région de Liège ; il est consultant dans le monde des organisations autour des questions de culture d’entreprises, de risques et de leadership. Il est également formateur en PNL (certifié New-York Training Institute en 1988).
Tél. : 04 387 70 20
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