Le Coaching Narratif

Par Sonia Bonkowski


Le Coaching Narratif

Comment accompagner les histoires identitaires blessées ?

Le coaching narratif inspiré des Pratiques Narratives de Michaël White et de David Epston [1], consiste à accompagner à travers des conversations particulières les personnes, groupes ou collectivités dont les récits identitaires sont bloqués parce que saturés par des discours emprunts de croyances limitées sur soi, sur les autres et sur le monde.

L’Approche Narrative dans le coaching donne une dimension toute particulière aux histoires que se racontent les personnes pour prendre leur place dans la Vie.
En effet, comme l’explique très clairement Nancy HUSTON dans son livre "L’espèce fabulatrice" "Nous échafaudons des romans pour raconter notre séjour sur terre. Mieux : nous sommes ces romans ! Moi," je" est ma façon de (conce)voir l’ensemble de mes expériences [2]."
Elle ajoute cette précision qui fait l’objet du coaching narratif "Quand le moi romancier défaille, n’arrive plus à conduire efficacement (et imperceptiblement) son travail de construction, d’ordonnance, d’invention, d’interprétation, d’explication, la "réalité" devient du n’importe quoi." Le sens de l’existence échappe, l’absurde s’installe. L’identité se bloque, se sclérose et le moi n’arrive plus à se réinventer, se redéfinir, à se narrer nouvellement.

Or, comme Vincent de Gaulejac le précise dans son livre "La société malade de la gestion", l’idéologie dominante de la réalisation de soi qui s’impose dans notre société de plus en plus individualiste, oblige l’individu à construire sa cohérence et à trouver lui-même le sens de sa vie. C’est, plus que jamais à chacun, de se définir dans un monde où tout est mouvant, instable, changeant. "L’affirmation de soi" est devenu une nécessité pour avoir une place dans la société, pour être reconnu par les autres. Mais à tout moment l’on peut être délogé de sa place : perdre son emploi, divorcer, devoir être mobile ou migrer pour le travail, être écarté par un burn-out ou une maladie de longue durée...

Dans ces différentes situations, l’identité de la personne est bousculée, remise en question et la perte de confiance en soi, la perte de l’estime de soi peuvent entraîner celle-ci dans une histoire d’échec lourde à surmonter.

Le sens de l’existence peut alors échapper à la personne parce que les histoires qui la définissaient sont imbibées de ces discours sociaux dominants, convenus et stéréotypés. Ces discours l’amènent à se vivre de façon déficiente, pas à la hauteur, pas suffisamment compétente ou encore hors des standards.

La personne est alors mise en tension entre un récit d’elle-même où elle joue un personnage inventé par d’autres et le récit dont elle souhaite être le véritable héros c’est-à-dire celui qui a l’initiative de sa quête, qui construit sa propre version de lui-même.

En effet, souvent ce qui fait son originalité a été nié et lorsqu’elle s’est trop adaptée à ces normes extérieures (familiales, sociales, professionnelles), la personne ne sait plus trop qui elle est vraiment ! Elle n’est plus l’Auteur de sa vie. Elle se vit dans le rôle qui lui a été assigné et se perd !

Le coaching narratif va donc mettre l’accent sur les ressources et potentialités du coaché négligées dans ses récits de soi chargés de visions limitantes afin de nourrir d’autres récits de lui, plus porteurs d’initiatives nouvelles et régénérateurs de nouveaux scénarii de vie.

Ce type de coaching repose, en effet, sur le principe de base de l’Approche Narrative : notre identité est narrative, sociale et toujours mouvante. Il met tout particulièrement en lumière le postulat d’accompagnement propre aux thérapies brèves : la personne est l’expert de sa vie et elle a en elle toutes les ressources et expériences utiles pour se réapproprier l’initiative d’actions de changement et être l’Auteur de son destin.

Dans le coaching narratif, la personne n’est pas le problème et ses résistances au changement sont vues comme les signes visibles de valeurs cachées souvent bafouées qui demandent à être entendues comme ressources. Dans un coaching narratif, il importe de dissocier la personne du problème et de déconstruire les normes sociales qui empêchent l’émergence d’une version de soi plus porteuse d’épanouissement et d’une réalisation heureuse. Il s’agit d’aider la personne à dissocier ce qui lui appartient en propre et ce qui appartient au discours normé qu’elle a intégré et auquel elle a tenté de se conformer.

Mettre le problème à la porte !

Ainsi, le problème va être considéré non comme faisant partie de la personne mais comme un élément externe à elle. En effet, dans l’Approche Narrative, le coach considère que la personne n’est pas le problème ! Le problème est envisagé comme une "créature narrative" qui n’est pas constitutive de la personne. C’est pourquoi les expressions comme "Je suis maladroit", "Je suis triste", "Je suis en dépression" sont substantivées en
" Maladresse", "Tristesse", " Dépression ou Déprime" pour donner au problème un nom. En le nommant, il devient une entité propre, un personnage dans le récit de la personne accompagnée.

Tel un opposant dans la quête du héros (le coaché), le problème déploie des stratégies pour lui mettre des bâtons dans les roues et lui empoisonner la vie.

En dissociant la personne du problème, le coaching met une distance narrative entre le coaché et ce dernier. Il l’en libère, lui permettant d’envisager une autre relation à cette entité exprimée.

Le coach et le coaché mènent alors une véritable enquête sur les modes de fonctionnement du problème : ainsi on cherchera à savoir, par exemple, comment "Tristesse" s’y prend pour s’installer dans la vie du coaché, à quels moments plus privilégiés elle montre son nez ? Comment elle a l’habitude de s’y prendre pour se manifester ? Si elle a des complices ? Quand "Maladresse" est-elle apparue pour la première fois ? Comment cela se passe-t-il lorsqu’elle entre en scène ? Comment s’y prend-elle pour mettre la personne en échec ? Comment "Déprime" parle-t-elle ou qu’a-t-elle l’habitude de dire ? Qui est son allié préféré ? Qu’est-ce que "Déprime" n’aime pas ? Qu’est-ce qui se passe lorsque "Déprime" entre en scène ? ...

Dans ce qui est appelé une conversation "externalisante", le coach et le coaché interrogent le problème afin d’identifier ses effets dans la vie du coaché, de les évaluer et de déterminer comment agir pour changer la relation entretenue par le coaché avec le problème. Il s’agit dans ce type de conversation de permettre à notre héros, le coaché, de mettre le problème à la porte et d’être davantage conscient des modes opératoires de cet opposant à son bien-être ; de mettre le problème en échec et plus d’être mis en échec par lui.

Déconstruire les discours dominants

Il s’agit aussi de faire émerger un autre récit de soi car le coaché peut désormais vivre différemment sa relation avec la problématique évoquée. En effet, si, par exemple, "Tristesse" est une véritable "empêcheuse" d’être soi car elle met le coaché en tension par rapport à des normes dominantes, elle peut aussi être l’expression d’une facette toute personnelle du coaché qui manifeste son originalité.
Il s’agira donc, par exemple, dans le coaching de mettre en évidence le contexte plus global dans lequel la "Tristesse" exprime soit une soumission aux discours dominants : "Un homme n’est pas triste, ne pleure pas !" ou au contraire l’expression d’une particularité faisant partie intégrante de l’identité originale du coaché : sa sensibilité, sa compassion.

Si "Déprime" ronge la vie du coaché en le mettant hors jeu par rapport à son travail, il importe d’explorer au cours des conversations narratives d’où vient l’interprétation que le coaché donne à son sentiment d’échec. De quels discours dominants le contexte organisationnel, dans lequel il travaillait, était-il porteur ? "Un bon manager sait motiver ses troupes  !", "Il faut faire plus avec moins", "Il n’y a pas de problème, il n’y a que des solutions ! [3]" Dans un coaching narratif, l’on tient compte du contexte dans lequel l’histoire du problème évolue. Quelles sont les croyances et idées qui nourrissent l’histoire du problème véhiculées par des standards sociétaux, managériaux ou autres ?

"Maladresse" est-elle l’expression d’une norme qui qualifie une certaine façon d’agir efficacement ? Est-elle soumise à un standard de rentabilité ? Qui a décrété (par exemple dans la famille) que tel comportement était jugé maladroit et tel autre non ?

Explorer le contexte dans lequel l’identité narrative du coaché est blessée permet de déconstruire les discours qui empêchent la créativité d’autres définitions de soi.

C’est notamment dans la façon que le coaché a de se raconter que s’opère la transformation identitaire.

Rechercher des exceptions salvatrices

Mais il n’est pas toujours utile d’externaliser le problème, quelquefois le récit du coaché est imprégné de "fines traces" relevant d’autres histoires plus positives et vivantes qui offrent d’autres possibles pour nourrir son identité profonde. Ainsi les conversations telles un échafaudage bien structuré vont amener le coaché à identifier dans son expérience vécue des compétences et des savoirs de vie, peut-être un peu oubliés mais, qui n’attendent qu’un espace pour se dire, se raconter et faire naître une autre facette identitaire plus porteuse d’initiative personnelle. Ces expériences bien qu’étant des épisodes d’exception dans le récit du coaché pourraient n’être qu’une parenthèse si le coaching était orienté sur la solution du problème. Lui conférant dès lors le statut de "personnage central".

Or il n’en est rien ! Dans le coaching narratif, l’accent est principalement mis sur ce que l’on appelle les "histoires préférées" c’est-à-dire les histoires qui offrent une alternative à l’histoire dominante, ressassée et sclérosée qu’est l’histoire du problème.
Michaël White précise : "Les conversations pour redevenir auteur sont pour les gens une invitation à continuer à développer et à raconter des histoires au sujet de leur vie, mais aussi à les aider à inclure certains événements et des expériences les plus négligées mais potentiellement significatifs, et qui ne sont pas "en phase" avec leur histoire dominante [4]."

Dans sa quête de sens et de reconstruction identitaire, le coaché va à l’aide des questions du coach regonfler une histoire différente, plus porteuse d’alternatives et d’initiatives nouvelles. "En utilisant des questions qui encouragent les gens à faire appel à leur expérience vécue, à élargir leur esprit, à exercer leur imagination et à se servir de leurs compétences à créer du sens. [5]" Le récit du coaché peut rebondir et s’ouvrir à d’autres aventures. Une autre histoire de soi peut alors naître et être renforcée redonnant l’énergie d’une quête jamais véritablement abandonnée.
Peu à peu, le coaché redevient auteur de sa vie en retrouvant en lui un espace pour agir et apporter les changements utiles à son épanouissement.

Le coaching narratif en entreprise : une gageure ?

Si aujourd’hui les professionnels du coaching s’emparent de l’Approche Narrative c’est sans doute qu’ils cherchent à ajouter à leur longue liste d’outils d’accompagnement une technique supplémentaire. Mais c’est aussi parce que bon nombre de coaches s’interrogent sur le rôle qu’ils tiennent dans la société post-moderne qui est la nôtre et qu’ils interrogent l’éthique de leur métier émergent.

"L’approche narrative n’est ni un outil, ni une école et n’a pas de vocation à le devenir... [6]" comme le précise Pierre Blanc-Sahnoun. L’approche narrative est ouverte à l’esprit d’aventure et c’est pourquoi elle s’est étendue de la thérapie familiale et du travail social à bon nombre d’autres secteurs de la santé, de l’éducation et aujourd’hui au terrain de l’entreprise.

Alors, importer les idées narratives en entreprise, terrain privilégié du coaching est-ce une gageure ? C’est, en tous cas, de facto interroger la place et la posture du coach dans ce type de contexte. C’est, comme dit Pierre Blanc-Sahnoun "se trouver instantanément confronté à l’influence démesurée des histoires dominantes qui façonnent la culture économique contemporaine..." et il ajoute c’est "Se soumettre au projet de ces histoires et de leurs affiliés sans les questionner, devenir un auxiliaire zélé de leurs activités ce qui fait souvent courir au coach le risque de devenir un agent de normalisation culturelle et sociale, et à la limite, se mettre au service du symptôme et pratiquer un coaching pathologisant. [7]"

Le coach narratif propose donc de déconstruire les récits dominants qui engendrent du mal-être dans les entreprises : la rentabilité, l’efficacité, la croissance, la performance ... Des personnages haut en couleur qui jouent un rôle prédominant dans les histoires de vie de ceux qui sont tombés sous leur diktat.

Le coaching narratif, un accompagnement des histoires identitaires blessées

Pour le coach narratif, accompagner les histoires identitaires blessées, tant en entretien individuel que dans un dispositif plus groupal, c’est être à l’écoute de ces récits minoritaires vivants mais enfouis sous la chape des histoires de problèmes. C’est proposer des passerelles et des échafaudages qui permettent aux savoirs de Vie des personnes et des communautés de remonter à la surface.

C’est redonner à la diversité des narrations une place afin de remettre en route ceux et celles qui, à un moment de leur histoire, n’ont plus pu en être l’Auteur.

Sonia BONKOWSKI est Coach narratif et Formatrice.

[1Michaël WHITE travailleur social et psychologue, co-directeur du Dulwich Center à Adélaïde et David EPSTON travailleur social et anthropologue, co-directeur du Centre de thérapie familiale d’Auckland.

[2Nancy HUSTON, L’Espèce fabulatrice, Actes Sud, coll. Babel, 2010

[3Vincent de Gaulejac, Le capitalisme paradoxant, Seuil, Economie Humaine, 2015

[4Michaël White, Cartes des Pratiques Narratives, Satas, Le germe, 2009

[5id.

[6Pierre Blanc-Sahnoun Directeur de la Fabrique Narrative à Paris.

[7Pierre Blanc-Sahnoun in"La souffrance au travail est-elle soluble dans la culture d’entreprise ?"

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