Il arrive dans notre vie que nous soyions uniquement focalisés sur nos besoins de reconnaissance, d’attention et de sécurisation, ces besoins qui appartiennent à l’enfance. Nous développons alors des stratégies ou solutions pathétiques pour les combler en négligeant nos besoins profonds et en écrasant les aspirations de notre âme. Cela engendre en nous, à notre insu, des conséquences douloureuses du type angoisses, souffrances du corps, conflits relationnels ou autres troubles. Ces manifestations et symptômes tentent de nous ramener à nous-mêmes en connexion avec qui nous sommes réellement et de nous rendre en capacité de voir les choses telles qu’elles sont.
Nous ressentons parfois le besoin de nous faire accompagner. Il est bon dans ce cas, en abordant le champ particulier des thérapies et du développement personnel, de bien cerner notre focalisation intérieure, à savoir le point privilégié sur lequel nous portons notre attention pour effectuer notre choix. Et par ailleurs, de nous interroger sur la focalisation dans laquelle se trouve le thérapeute. Car les résultats de tout travail sur soi dépendront… de la focalisation choisie.
Souvenons-nous de cette légende selon laquelle la nuit tombée, un homme
ayant perdu ses clés, les cherche sous un réverbère. Un promeneur passant par là s’en approche et lui propose son aide. Après quelque temps de vaines recherches, il commence à s’interroger et demande : Etes-vous sûr d’avoir perdu vos clés à cet endroit ? Ce à quoi l’homme répond : non, mais au moins ici il y a de la lumière. Il reste donc, en maintenant une zone de confort, focalisé là où il ne peut pas trouver. L’être humain a tendance à se limiter au connu, à rester dans le conditionnement, le rationnel, les croyances et les théories, c’est-à-dire dans du “toujours pareil au même”, au lieu de descendre plus profondément en lui-même.
Cherchons-nous à fuir, à occulter cette profondeur, car nous PENSONS que la douleur qu’elle va nous ramener sera insoutenable ? Enfouir certains vécus, par croyance que cela va nous enferrer encore davantage dans le négatif ? Alors, on privilégiera une approche “de solutions”. La vraie question est de voir si l’on est prêt à une démarche plus profonde. Il est possible aussi que nous options simplement pour une thérapie de soutien ou un travail de groupe, dont nous cherchons la chaleur.
Donc, de quelle vision partons-nous pour faire notre choix ?
Pouvons-nous concevoir qu’une libération de symptômes s’accompagne d’une transformation intérieure qui ne peut se faire sans nous ? Il est important de s’arrêter sur ces questions.
La légende rapportée ci-dessus peut illustrer le cas des personnes qui ont vécu un nombre considérable d’années de thérapies et travail de développement personnel. Ce n’est pas un manque de volonté d’en sortir. C’est devoir passer par une expérience, un chemin à vivre pour s’apercevoir au bout qu’il fallait en changer, conscientiser que l’on ne cherchait pas au bon endroit, avoir été dans un tel conditionnement que l’on avait reproduit nos croyances d’enfant, répondu à des injonctions extérieures ou intérieures. C’est, on l’espère un chemin d’évolution et de conscience.
Précisons par un exemple la question de la focalisation et pour cela, abordons le problème délicat de l’alcoolisme. La partie visible de l’iceberg retient principalement l’attention, à savoir la dévastation personnelle et sociale qu’il crée. Tout réside cependant dans son fondement qui se loge dans la profondeur de la personne concernée.
La tendance actuelle est de présenter cette problématique comme une maladie, parfois même par les plus grands vainqueurs de cette « maladie », les « résilients » appelés désormais « alcooliques abstinents ». Pourquoi en est-il ainsi ? Des témoignages bouleversants d‘anciens « alcooliques » font état du soulagement ressenti lorsqu’un addictologue consulté leur certifiait qu’ils n’avaient aucune responsabilité dans leur état, puisque c’était une maladie. Cette forme de reconnaissance les délivrait temporairement de la honte et/ou de la culpabilité.
Or, un élément primordial de notre guérison est de nous libérer de la honte ainsi que de la culpabilité ET de nous rendre notre responsabilité ! Responsables de nous-mêmes, nous avons besoin de revenir à nous-mêmes. Précisons bien que la honte et la culpabilité sont les états ressentis, qu’ils ne sont pas liés à une faute et que le jugement porté l’est par inconscience des vécus profonds ayant conduit à cet état.
Il est avancé que pour guérir, il faut tout d’abord se reconnaître alcoolique. Il est nécessaire en effet de conscientiser son addiction, de sortir du déni dans lequel on a peut-être été. Par contre, s’identifier comme « alcoolique » n’est pas nécessaire et même préjudiciable dans le sens où cela nous fige dans cet état et occulte les vécus profonds qui nous y ont amené. La focalisation est dans ce cas mise sur l’état et non sur le changement qui a besoin de se produire en nous. Ce changement ne consiste pas à « ne plus boire » ; d’ailleurs comment faire un « ne plus » sans créer une tension énorme de contrôle et l’incompréhension totale intérieure de ce qui maintient en nous cette addiction. Sans compter l’angoisse de la « rechute ». J’appelle personnellement et paradoxalement « abstinence » le « maintien de l’addiction » par la dépendance au contrôle et l’enfouissement de la douleur originelle.
La focalisation est une énergie. Il est nécessaire de sortir de la conception de « l’alcool problème à résoudre » pour revenir aux maux logés dans le subconscient.
Ainsi la focalisation en Catharsis ne consiste pas à changer le comportement, mais à libérer tout ce qui a conduit à ce que l’alcool devienne une solution à une souffrance, par ses effets apaisants et sédatifs du mal-être psychique.
A un certain point, féliciter une personne abstinente – même s’il y a une certaine forme de réussite – concourt à enfouir en elle la douleur de l’enfant qu’elle a été. Refuser de l’entendre maintient que la personne ne s’entende pas dans sa vérité. En réalité, il n’y a pas de prix à payer pour en finir avec les problèmes avec l’alcool. On peut bien entendu faire le choix de l’abstinence, si l’on n’est pas prêt à mettre à jour la vérité de ce que l’on a vécu et accepter une transformation intérieure de soi-même. On reste simplement fragile à la rechute en fonction de circonstances de vie plus douloureuses venant réactiver nos blessures intérieures. L’abstinence volontaire est au demeurant une étape - on ne peut faire un travail sur soi en profondeur sous l’influence d’alcool - pas une fin en soi.
Avec une certaine connaissance de soi, on peut savoir que la tendance à boire remonte aux premières sorties estudiantines, ou se souvenir qu’enfant on vidait les fonds de verre des adultes à l’occasion de fêtes à la maison « pour se mettre dans le coup » ou que cela a commencé au décès de son conjoint, lors de réunions professionnelles et mondaines… On croit alors « que l’on sait ». Dans tous les cas, on va découvrir que des états réels profonds intérieurs douloureux de l’enfant que l’on a été ont précédé le tout premier verre en trop et que les causes apparentes ont seulement agi comme déclencheurs, réactivations de détresses anciennes.
En définitive, l’abus d’alcool n’est pas le symptôme d’une maladie mais celui d’une souffrance psychique partiellement enfouie.
On peut dès lors quitter la focalisation de devoir “réussir” à résoudre un problème (si on n’y arrive pas, le thérapeute pourrait invoquer des résistances ou un manque de volonté, le consultant invoquera lui qu’il n’est pas capable). On quitte le dilemme “y arriver ou ne pas y arriver”. L’attente d’un résultat et donc la focalisation sur cette attente nous détourne de l’attention sur le processus en la plaçant sur le “faire”. Cette attente est d’ailleurs fréquemment celle du thérapeute qui parfois installe un protocole : définition de l’objectif, étapes pour y arriver, analyse de ce que l’on va faire pour se saboter, vérification de ce qui montre que l’on y est arrivé… Alors que dans une focalisation sur ce qui est, nous allons suivre le processus du subconscient libérant les affects douloureux et les barrières intérieures, dans la conscience du vécu profond du moment et de la manière dont des mécanismes de survie ont été mis en place. On va s’apercevoir de l’intérieur que l’alcoolisme, pour reprendre notre exemple, était alors une solution pour nous [1] .
Le conditionnement étant une composante majeure du fonctionnement humain, le tout petit enfant déjà - parce qu’il est impuissant face à des situations douloureuses s’il n’a pas une présence compassionnelle à ses côtés - commence à mettre des “solutions” en place à sa manière d’enfant, avec sa pensée d’enfant. Il grandit, ses souffrances même enfouies grandissent avec lui. Il se retrouve adulte… à chercher des solutions aux solutions mises en place précédemment.
Examinons maintenant la focalisation de l’alliance thérapeutique, et comment retrouver la connexion perdue avec soi (par les blessures profondes, l’occultation des événements extérieurs, une éducation non centrée sur la conscience de soi, les conditionnements…) [2] .
J’ai observé qu’un certain nombre de personnes, à mon grand étonnement au départ, avaient des difficultés à dire le motif réel de leur consultation. Elles avaient tendance à expliquer ce qu’il fallait considérer en elles comme « pas normal », à vouloir poursuivre un développement personnel, voire un travail thérapeutique interrompu et décrire là où elles en étaient restées, à répondre à la demande d’une tierce personne leur ayant conseillé de venir me voir. Mais elles, où étaient-elles vraiment dans leur demande ? Nous avons-là une première focalisation : se mettre au cœur du travail.
Ensuite, si nous nous focalisons constamment sur ces symptômes que nous ressentons comme des symptômes de mal à vivre, nous les figeons, nous suscitons des pensées mentales, des (auto)-jugements, des diagnostics ; nous « devenons » ces diagnostics (« je fais ça parce que je suis névrosé »), nous nous identifions, nous nous éloignons de nous. En sommes, nous créons une réalité extérieure à nous sur laquelle nous travaillons, bien souvent à coup d’analyses et d’interprétations.
Alors que si nous nous focalisons sur notre réalité intérieure, nous ouvrons un chemin, nous comprenons cette réalité intérieure, nous conscientisons nos vécus, nous les libérons. Autrement dit, le point d’attention est placé sur notre profondeur et non sur les émotions de surface elles-mêmes résultat de la mentalisation.
Nous lâchons donc l’attention mentale portée sur nos symptômes pour nous centrer sur le processus intérieur à partir du ressenti corporel (ce qui implique le travail au divan), ce qui est dans ce que nous voyons, sentons, croyons… le plus souvent dans l’enfance revécue au présent. C’est notre deuxième focalisation.
« Une femme ne peut être enceinte à moitié » disait parfois Albert Glaude en dispensant ses formations. Si l’on comprend que s’engager dans une Catharsis c’est s’engager non dans une méthode, mais dans un processus personnel, alors l’expression prend tout son sens. C’est vivre ce processus qui nous transforme.
C’est effectivement en allant là où ce qui est EST qu’Albert Glaude a mis sa focalisation première et permis ainsi le chemin de compréhension et de libération.
Dans ce sens, être poussé à la démarche par curiosité, n’est pas une bonne chose, tout simplement parce que la focalisation est alors devenue la curiosité et non la motivation de libération. Il est nécessaire d’avoir une demande authentique pour retirer les fruits de l’accompagnement donné.
L’essentiel est de REVENIR A SOI, « s’arrêter sur » et laisser émerger l’expérience vécue dans laquelle le temps est aboli, que ce soit du passé (dans le sens habituel du terme : qui appartient au temps linéaire) ou d’une prise de conscience actuelle.
Poursuivons et allons plus loin dans la question de la focalisation nécessaire pour ce retour à soi. Il est parfois évoqué en thérapie un besoin d’échange et de « suivi ». La confusion est fréquente chez les personnes bien intentionnées suggérant à l’autre la nécessité d’une consultation, notamment dans le milieu de la formation, de la vie communautaire ou venant des éducateurs ou des enseignants. Autant de mauvaises compréhensions. La thérapie n’est pas un échange d’idées. Le thérapeute ne « suit » pas la personne, il l’accompagne. La focalisation se porte sur la personne qui consulte et non sur le thérapeute, elle ne se porte pas sur son ego, mais sur la partie profonde d’elle-même (c’est celle-la même qui a besoin d’être rejointe, entendue). Elle est pour le consultant : revenir à soi. Et pour le thérapeute : accompagnement dans ce chemin. C’est là l’alliance thérapeutique.
La focalisation sur les symptômes elle-même est à lâcher, nous avons déjà évoqué cela plus en avant. Elle permet juste au début d’être au clair que ce sont ces symptômes, signes des conflits profonds entre ce que nous croyons et ce qui EST, que l’on veut libérer. Après, c’est faire confiance que c’est la partie profonde de nous, par le truchement du subconscient, qui connaît le chemin vers soi à parcourir. Cela demande une certaine humilité. L’ego n’est pas concerné, lui qui « bousille tout » par ses énoncés intempestifs : il faut que, je n’arrive pas à, je suis foutu si, ça ne va pas comment je me comporte, il faut que cela change, c’est l’autre qui me met dedans, je suis nul(le), je serai toujours ainsi, je suis trop vieux pour changer, je ne peux pas me faire confiance, le problème avec moi c’est…
Une fois le passé libéré, si la personne vit par la suite une douleur, un deuil, un problème qui la dépasse un peu, elle aura alors conscience que ces circonstances ont réveillé des aspects de ses blessures aspirant à se faire reconnaître d’elle. Elle aura alors les outils pour « revenir à elle » en pleine conscience. Et si nous reprenons le cas de l’alcoolisme, un signe majeur que quelque chose a changé en profondeur chez la personne (outre les indications claires du travail de Catharsis) : pouvoir consommer un peu d’alcool, seulement pour le plaisir et la convivialité sans excès ou compulsion.
Nicole Lecocq-François
[1] Pour ce qui est des notions de subconscient, occultation, fonctionnement de l’amygdale, voir références sur le site www.therapiecatharsis.info
[2] Voir aussi à ce sujet l’article précédent « L’alliance thérapeutique ».
Nicole Lecocq-François est psychothérapeute à Liège. Formée en psychothérapie et spécialisée en Catharsis glaudienne, celle-ci établissant le lien entre le passé et le présent, entre le corps et l’esprit. Elle se consacre à cette approche depuis l’année 1994. Nicole est également formée par Albert Glaude pour pouvoir transmettre la Catharsis.
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