Gestion des émotions

La colère, ce sentiment mal aimé, ce sentiment mal mené...

Par Salomon Nasielski


La colère, ce sentiment mal aimé, ce sentiment mal (...)

C’est assurément un sentiment sur lequel nous sommes désinformés au point de le traiter souvent comme un intrus, un indésirable. Ne dit-on pas Ne nous fâchons pas ? Et aussi a-t-on pu lire, sous des plumes augustes : La colère est mauvaise conseillère.
Quel mauvais psychologue que celui qui a pensé et dit cela !

Quel médiocre usager de sa vie que celui qui prend pour une source de sagesse la peur que lui inspirent ses colères !
Quel ignorant des bonnes méthodes de pilotage existentiel que celui qui se cache ses colères, les réprime, les "ravale", au risque de les voir resurgir dans l’un de leurs multiples avatars tels que rages, dépressions, alcoolisme, accidents cardio-vasculaires, perte de sens et de foi dans la vie, pour n’en nommer que les plus connus.
Quel menteur que celui qui prend la répression de ses colères pour du respect de soi ou d’autrui, pour un gage d’amitié, ou d’estime, ou de bonne proximité...

1. Un cadre de compréhension de la colère.

Je me rallie à ceux qui considèrent que toutes nos émotions constituent un ensemble de signaux existentiels importants. Cet ensemble de signaux représente l’équivalent de ce que sont les cadrans et lampes du tableau de bord d’une voiture, d’un bateau ou d’un avion : autant de signaux indiquant l’opportunité d’agir ou de réagir d’une façon particulière, utile ou nécessaire.

De la peur, on sait mieux qu’elle nous avertit de l’existence d’un danger que notre intellect n’a pas encore défini. En effet, bien avant que nos perceptions et de notre réflexion ne se soient suffisamment organisées pour nous permettre d’envisager une action et d’agir, la peur, qu’on appelle d’ailleurs souvent instinct de survie, nous aura fait adopter de façon "irréfléchie", "réflexe", une posture physique, un positionnement relationnel, ou un geste d’évitement, de protection ou de fuite salutaires. Nous disons alors avoir agi instinctivement suite à une peur. La valeur adaptative de la peur ne semble pas contestée : seule incombe à la raison la vérification sur l’existence et sur la nature réelle du danger. Ce danger est en effet parfois imaginaire, ou relié symboliquement à un danger que nous avons rencontré dans notre histoire passée. Il reste néanmoins bien admis que la peur n’a, en soi, rien de malfaisant ni de dangereux. Elle est reconnue comme un signal, pas toujours pertinent en nature ou en grandeur. Et nous ne retenons aucun grief à l’encontre de la peur.

Pour nos chefs militaires, il en va bien autrement. Ainsi, Winston Churchill disait, en préparant le débarquement allié du 6 juin 1944 : Il ne faut avoir peur de rien, si ce n’est d’avoir peur. Et, dans sa foulée, de nombreux entraîneurs sportifs nous invitent à ignorer notre peur, alors que nous aurions, en fait, mieux à faire en l’écoutant pour en tenir compte d’une certaine façon. Ce qui revient à dire que nous devrions intégrer notre peur parmi l’ensemble des signaux utiles à notre pilotage existentiel.

Pour la tristesse, pour la joie, la jalousie, le dégoût, nous souffrons moins de la désinformation qui frappe la colère.

Pour la honte, nous sommes assez mal lotis, lorsque nous croyons qu’il n’y a rien d’autre à faire qu’attendre qu’elle passe, et qu’il nous faut, en attendant, disparaître un peu du groupe social : aurions-nous honte d’avoir honte ?

Nous verrons plus loin la valeur considérable de la colère, et quelques manières de la mener de façon constructive. Et, ainsi de réagir utilement devant la personne en colère.

2. D’où nous vient notre méfiance et notre rejet de la colère ?

Les raisons pour lesquelles il nous paraît bon de lutter contre la colère tiennent à ses divers mésusages.
Le plus évident est constitué par l’ensemble des comportements physiquement violents.
Un autre groupe de mésusages de la colère comporte la violence symbolique que nous manifestons par la rupture du dialogue, ou par des paroles particulières, ou par des silences lourds de sens.

a) Les silences
Il s’agit de la réaction de quelqu’un qui s’emmure, se referme sur lui-même. Cela peut se produire au milieu d’une conversation, d’une discussion. Par exemple :

Elle lui dit combien elle est mécontente du temps qu’il passe au téléphone avec sa secrétaire le soir, à la maison, et il se tait, ne dit plus rien, avale son repas sans une seule parole, pas même l’anodin "passe-moi le sel". Elle se sent rejetée, "vit" très mal ce silence, se sent comme "tuée".

C’est l’adolescent à qui le père rappelle qu’il avait promis d’étudier pour préparer ses examens, et que cette promesse n’est pas compatible avec la participation aux compétitions de foot, avec les heures de navigation sur internet, et que donc il aurait une sanction, ce à quoi l’adolescent répond par un silence boudeur, moins brutal, mais néanmoins ressenti comme très pénible par la famille.

L’exemple poignant, tragique dans la Flûte Enchantée, du silence du prince Tamino, ainsi que de l’oiseleur Papageno, lorsqu’ils se soumettent à l’épreuve du silence, et devant lesquels la princesse Pamina se sent "pire que mourir ", et veut d’ailleurs se donner la mort.

Et, selon la bible, le point d’orgue du silence de Jésus devant l’accusation de Pilate, silence dont on dit que Pilate en fut "fort surpris". Et bien plus "frappé", sans doute, que par un quelconque argument verbal bien construit.

Remarquons, au passage, que la violence physique n’est pas totalement absente de l’emmurement dans le silence : il s’agit d’un acte plus physique que verbal.
C’est, selon les Gottman, couple de thérapeutes pour couples (Norton gottman et Julie Schwartz Gottman : The Art and Science of Love), l’un des quatre chevaliers de l’apocalypse conjugale.

b) Les paroles symboliquement violentes.
Il s’agit de toute parole qui finit par donner à la colère qui l’a motivée une réputation détestable. Ce sont bien évidemment les paroles de critique s’adressant à la personne (par opposition aux critiques visant un comportement). C’est un autre des quatre chevaliers de l’apocalypse conjugale selon les Gottman.

Il s’agit de ce que l’on appelle, dans le jargon de l’Analyse Transactionnelle, de signes de reconnaissance négatifs inconditionnels : ils visent la personne, l’essence de l’être, la personne que l’on est. Ils sont construits pour blesser la personne du destinataire. Bien évidemment, dans une lecture psychanalytique, on parlera d’une modalité incomplètement socialisée (civilisée) de la pulsion de mort : sans donner la mort physiquement, l’intention est bel et bien de la donner symboliquement.

Remarque importante ici, suite aux multiples réflexions de Fritz PERLS sur le sujet : l’intention de l’émetteur ne contraint en rien le récepteur. Et en cela, il est d’accord avec l’un des enseignements de l’École dite de Palo Alto WATZLAWICK, BATESON, et autres) qui disent que le message est "fait" par son récepteur. En pratique, cela peut s’énoncer comme suit :

Tes paroles mettent en vibration les molécules de l’air qu’il y a entre toi et moi ; ces vibrations arrivent à mes tympans, qui sont faits pour traiter ces vibrations de l’air. Je peux donc entendre et comprendre les mots que tu as dits. Je peux, aussi, deviner au ton de ta voix, l’intention ou l’émotion que tu as émises en même temps. Mais, entre mes deux tympans, je suis tout seul : c’est moi seul qui décide de ce que j’en fais. Je peux donc décider de te prendre à la lettre dans tes mots et ton intonation, et m’en affliger, mais je peux tout autant faire des choses bien différentes, telles qu’en rire, ou m’en moquer, ou choisir de penser que tu t’es probablement bien soulagé la vésicule biliaire, et qu’ainsi je t’ai offert l’occasion de rentrer chez toi de meilleure humeur que si tu ne m’avais pas rencontré.

En somme, l’intention de l’émetteur n’a aucune portée contraignante chez le récepteur. Ceci est vrai tant que le message est verbal (oral ou écrit) ou mimique.

c) Les actes symboliquement violents.
Il semble à priori difficile d’accuser de violence la personne qui quitte une réunion, une conversation, une discussion. Et ce, d’autant moins que la personne qui quitte agit ainsi pour se protéger d’un embarras émotionnel grandissant, qu’il lui semble difficile de contenir. Certaines personnes qui s’octroient le droit de quitter tentent de plaider "non-coupable" : elles disent qu’en agissant de la sorte, elles ont protégé leurs interlocuteurs d’un éclat.

En fait, quitter le lieu d’une conversation est en soi un acte physique. Pour s’y opposer, il faut utiliser un acte physique, tel que s’interposer entre la personne et la sortie par exemple. Quitter est donc un acte physique par lequel la personne ne touche pas physiquement la personne de l’autre, mais qui constitue une invitation faite à l’autre d’agir physiquement en la retenant. Que l’on songe aussi à l’effet produit par quelqu’un qui quitte inopinément la scène : on résume volontiers ce geste en disant "Il a claqué la porte".

Tactiquement, la personne qui quitte le lieu de rencontre sans prendre congé (et donc sans rendez-vous pour la poursuite du dialogue) introduit un saut qualitatif. Il ne s’agit plus, en effet, d’un argument nouveau dans le site propre de la discussion, mais bien d’un changement de niveau. C’est donc un acte d’escalade : un changement de l’ordre de grandeur des actions, appelant autre chose qu’une nouvelle réponse verbale, ou qu’un nouvel argument. Et d’ailleurs, on évoque souvent dans ces conditions la nécessité d’un rappel à l’ordre.

Tactiquement, quitter revient donc à imposer, d’une certaine façon par la force, son point de vue à l’autre, qui n’a plus la possibilité de répondre, de réagir. Et celui qui quitte dit aussi à l’autre qu’il n’en attend plus rien, ou que, en tout cas, ce qu’on pourrait vouloir lui dire ne lui parviendra plus. Sous sa forme extrême, c’est ce que le suicidé fait aux survivants. Il leur ferme définitivement la bouche : ni déclarations ni questions ne seront plus jamais entendues par lui.

À un degré moindre, on est encore tenté de parler de changement de niveau (et donc d’escalade) lorsqu’une personne rompt le dialogue direct avec son interlocuteur pour s’adresse à une tierce personne présente à l’échange. La manœuvre consiste à "expliquer" à un tiers ce que l’interlocuteur semblait ne pas comprendre ou ne pas accepter. La rupture prend une dimension encore plus sensible si cette bifurcation vers un tiers, jusque là observateur, s’accompagne de rires, de moqueries, de dérision.

Toutes ces formes de comportement sont considérées comme symboliquement violentes du fait que la violence physique en est absente, et que seul le sentiment chez l’autre (le récepteur visé) est évocateur d’un stimulus "violent" : sentiment de peur, de coup, de blessure, d’humiliation, de culpabilisation, etc. Malgré l’impression de violence ou de contrainte que l’on peut ressentir en face de ces actes, ils n’ont pas un effet mécaniquement violent ou agressant sur le récepteur. Celui-ci garde en effet l’entièreté de sa liberté et de son contrôle sur son ressenti, sur ses paroles et sur ses actes. Et celui qui a posé ces actes symboliquement violents n’a, de fait, pris aucun pouvoir sur l’autre, tant que cet autre n’aura pas abdiqué du sien. C’est dans la foulée de Fritz Perls qu’une thérapeute a un jour dit : Le pouvoir ne se prend pas, il s’abandonne. Elle exprimait par là que s’il n’y a pas contrainte physique, il nous reste le choix de garder ou d’abandonner notre pouvoir. Qu’on se rappelle, à ce sujet, ce qu’en disait Molière (voir en bas de l’article).

d) Les violences physiques.
Bien des personnes considèrent que la violence est la suite "logique" de la colère lorsque celle-ci n’a pas obtenu l’effet souhaité chez autrui. Nombreux sont ceux et celles qui justifient leur violence par l’exaspération ressentie devant l’absence de la réaction souhaitée de la part de l’autre. Ce qui reviendrait à dire :

Ma colère n’a pas suffi à te faire changer de comportement. Dès lors, il ne me reste plus qu’à te frapper, te contraindre par la force physique. J’y ressens un soulagement légitime : c’est toi qui me mets en colère, c’est toi qui refuses de te conduire autrement, je n’ai plus d’autre choix. C’est toi qui m’as poussé à bout.

Et donc, le passage à la violence représente trois choses à la fois :

- je décide que je n’ai plus aucun pouvoir de négociateur en face de toi, et donc plus aucune responsabilité : c’est donc toi qui détiens, tout seul, tout le pouvoir et toute la responsabilité d’être bon ou non pour moi ;

- je décide que tu n’as aucune alliance avec moi, aucune obligation, et dès lors j’abandonne ma cause dans la négociation visant à obtenir de toi un changement de comportement nécessaire ou utile en regard d’un de mes désirs ou de mes besoins, ce que j’aurais conçu comme potentiellement productif si je maintenais dans mon cadre de référence l’idée selon laquelle mon bonheur ou mon plaisir t’importent ;

- je rejette tout espoir d’obtenir de toi le changement souhaité et donc il m’est permis de te frapper (détruire) : ma violence, qui est une amorce de ta destruction, de ton anéantissement, signifie aussi le rejet, et dès lors le renoncement à l’idée même d’obtenir de toi toute prise en considération de mes désirs, de mes besoins.

- Le passage à la violence aggrave ainsi singulièrement mon risque de te voir ne plus prendre en compte mes désirs, mes besoins.

Dans ma compréhension, le recours à la violence représente un pur et simple avortement de sa colère. C’est en effet la rendre définitivement improductive. C’est ne plus être au service de sa propre colère, de ce qui la causait et la légitimait. La violence ne constitue donc pas du tout une "amélioration" de la probabilité de voir l’autre tenir compte de ses désirs ou besoins. Au contraire, le risque qui grandit est celui de voir autrui prendre distance, se désintéresser de la personne qui aura cru utile de passer par la violence. Et donc, passer à l’acte violent revient à trahir le sens même de notre colère.

3. La vraie nature de la colère

Relevons d’abord une anomalie lexicale. La colère est définie dans les dictionnaires d’une façon qui relie d’une part le ressenti de la personne, et d’autre part certains comportements présentés comme inhérents à ce sentiment, ou comme en découlant "naturellement". C’est un exemple à peu près unique : les autres émotions sont décrites et définies comme autant d’états émotionnels, ne conditionnant pas de manière directe ni automatique tel ou tel comportement. Pour la colère, Larousse et Robert relient le ressenti avec l’agressivité, la disposition à attaquer l’autre. C’est dire combien ces définitions épousent la confusion entre la nature de cette émotion (un signal) et l’un des choix d’action, nullement automatique (l’agression). Or, pour moi, cette distinction est capitale.

Ainsi, je propose une définition de la colère qui restaure la distinction entre sentiment et action, et qui nous permettra une saine et juste réconciliation avec l’indispensable colère :

La définition que je propose :
La colère est un sentiment de base, se manifestant par un mécontentement, un courroux, un emportement, une exaspération, une fureur. Elle ne définit nullement le choix d’une action ou d’un comportement particuliers de par sa seule existence : elle sert à recruter l’énergie de la personne, et la dispose ainsi à améliorer l’impact de ses actes sur le monde extérieur. Elle constitue ainsi un adjuvant important à son efficacité dans la résolution de ses problèmes ou dans la satisfaction de ses besoins. Elle ne devrait en aucun cas servir de justification à l’abandon de sa responsabilité. En particulier, elle ne peut pas justifier la destruction, ni la menace de destruction, d’objets ou de personnes.

4. Comment donc bien mener la colère ?

Je conçois la colère comme une émotion potentiellement utile, à condition d’en faire l’usage adapté, requis.

- 1° Dans un premier cas de figure, il s’agira d’un désir ou d’un besoin à l’égard desquels l’entourage se montre insuffisamment coopérant, aimant, attentionné. On pourra donc dire, dans de tels cas, que la colère est en fait une deuxième émotion, la première étant une frustration, ou un sentiment d’abandon, une blessure, une humiliation, une injustice.

Dans ce cas, le fait déplaisant initial prend un sens très particulier en raison du type de relation existant entre les deux personnes en cause. En effet, il pré-existe à la frustration, à la blessure, une proximité, une alliance qui laissaient prendre pour évident le souci chez chacun du bien-être, du plaisir, du bonheur de l’autre. Ce contexte de proximité, d’alliance, comportait en somme déjà une obligation, dite ou non, de prendre en compte les besoins et les désirs de l’autre. C’est le cas par exemple du couple, où le contrat repose sur un tel type d’obligation réciproque. Et donc, à la frustration va s’ajouter le ressenti de trahison, de manquement aux obligations prises pour évidentes entre partenaires.

Dans un tel cas, il sera approprié de prendre conscience du besoin ou du désir pour lesquels le monde s’est montré mal-aimant. La suite des opérations fera appel au contrat, à la définition même de la relation, ou aux conditions de cette relation, pour attirer l’attention d’autrui sur les attentes frustrées. Dans ce cas, l’opportunité de manifester l’émotion colère est inégale : devant certaines personnes, il s’avère très productif de faire entendre, comprendre que l’on est en colère. Devant d’autres, au contraire, on améliorera l’écoute en masquant plus ou moins complètement le ressenti de colère pour faire entendre ce que l’on attend comme actes de la part de l’autre. Et ici, il peut s’avérer utile de manifester l’émotion première, à savoir la blessure, l’abandon, l’humiliation, etc...

Chaque fois, l’émotion de colère ressentie fournira donc à la personne l’énergie requise pour mettre en œuvre les actions utiles à la transformation du monde extérieur mal-aimant en un monde plus en rapport avec ses espérances et avec ses attentes légitimes.

- 2° Dans d’autres cas, il s’agira d’une colère fondée non pas sur une souffrance ni sur la menace d’insatisfaction d’un besoin, mais sur une rupture morale. Le meilleur exemple que je puis en donner est cette parole de l’Abbé Pierre, qui s’exprimait devant un journaliste de RTL : "La colère, mais c’est une vertu ! J’espère bien que vous vous mettrez en colère si, devant vous, l’on bat vos enfants ! " Il s’agit, dans de tels cas, d’une colère du type de l’indignation. Une protestation morale devant une action immorale, contraire à l’éthique. On a vu des milliers de belges défiler dans les rues, lors de la Marche Blanche, pour marquer l’indignation devant les crimes commis par un pédophile. Il s’agit là de ce que j’appelle une colère sacrée : elle touche à ce que nous avons de plus élevé comme valeurs, comme principes collectifs, plus qu’à une quelconque blessure émotionnelle individuelle.

Comprenons bien que la lecture de cette colère ne peut pas se limiter au décodage que, dans certains cas, la psychanalyse nous offre, et selon lequel nous nous fâchons de voir quelqu’un se permettre de faire ce que nous avons bien du mal à nous empêcher de faire nous-mêmes. C’est le cas dans les conduites liées aux plaisirs, sexuels ou autres, au sujet desquelles il nous arrive de souffrir d’une sorte de code moral trop strict, ou insuffisamment justifié. Nous ressentons cette souffrance de manière exaspérée par la liberté qu’affiche le comportement de l’autre, lorsqu’il nous paraît libéré à un degré inadmissible, scandaleux.

Le bon aboutissement de ces colères réside, à nouveau, dans l’obtention d’un changement de conduite chez quelqu’un. La violence, fût-elle légalisée par l’existence d’une peine de mort, n’aurait ici aucun sens : il ne s’agit que de faire en sorte que la personne visée change son comportement. Si elle ne se montre pas apte à contrôler son comportement, la société se donne les moyens de les contrôler pour lui (l’enfermement), et cela suffit pour apaiser la colère sacrée.

5. Et que faire devant la colère d’autrui ?

C’est ici qu’apparaîtront les plus grands changements tactiques. En effet, plutôt que de prendre distance à l’égard de la personne en colère, je propose tout au contraire de s’en rapprocher, avec un intérêt sincère pour ses désirs, ses besoins, ou ses indignations. Plutôt que de s’en effrayer, et de la fuir, offrons-lui l’écoute attentive, attentionnée.

Ce qui se traduit par des questions opérationnelles du type Veux-tu quelque chose de moi ? Ou : Puis-je t’aider d’une façon quelconque ? Et se montrer attentionné : Je vais réfléchir sérieusement à ce que tu me demandes, et te dirai ce que je compte faire en regard de ta demande. L’essentiel est, en effet, d’inviter la personne en colère à formuler ses demandes en termes opérationnellement clairs. En résumé donc, ce qui permet à son interlocuteur de savoir ce qu’il lui faut faire ou cesser de faire pour lui être meilleur, pour quitter le rôle de mal-aimant.

6. Conclusion

Reprenons pleine possession de la saine colère, celle que se démarque absolument de l’agressivité et de la violence.
Elle nous apporte l’énergie dont nous avons besoin pour remodeler le monde autour de nous.
Elle nous rend plus efficaces dans notre quête d’amour et de respect.
Elle nous permet de reprendre possession des pouvoirs correspondants à nos responsabilités.

Prenons notre vie en mains, quittons la plainte et la menace, assumons la demande. Et plutôt que fuir la personne en colère, suscitons chez elle la formulation de sa demande.

Enfin, à l’appui de ma conclusion, voici deux auteurs qui pensent apparemment de même :

Prenez votre vie fermement en mains,
Et qu’est-ce qui se passe ?
Une chose terrible : plus moyen de rejeter la faute sur personne !

(Erica Jong)

ARISTE
Certes, votre prudence est rare au dernier point !
N’avez-vous point de honte avec votre mollesse ?
Et se peut-il qu’un homme ait assez de faiblesse
Pour laisser à sa femme un pouvoir absolu
Et n’oser attaquer ce qu’elle a résolu ?

CHRYSALE
Mon Dieu, vous en parlez, mon frère, bien à l’aise ;
Et vous ne savez pas comme le bruit me pèse.
J’aime fort le repos, la paix et la douceur,
Et ma femme est terrible avecque son humeur.
(...)
Pour peu qu’on s’oppose à ce que veut sa tête,
On en a pour huit jours d’effroyable tempête.
Elle me fait trembler dès qu’elle prend son ton ;
Je ne sais où me mettre, et c’est un vrai dragon.
Et cependant, avec toute sa diablerie,
Il faut que je l’appelle et mon cœur, et ma mie.

ARISTE
Allez, c’est se moquer. Votre femme, entre nous,
Est, par vos lâchetés, souveraine sur vous.
Son pouvoir n’est fondé que sur votre faiblesse ;
C’est de vous qu’elle prend le titre de maîtresse ;
Vous-même à ses hauteurs vous vous abandonnez,
Et vous faites mener, en bête, par le nez.

(Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, 1622-1673, Les Femmes Savantes, Acte II, Scène 9)

Publication proposée par : Nasielski Salomon - CEPSI s.a.

CEPSI, s.a. (Centre d’Études Psychologiques des Systèmes Interpersonnels, anciennement l’Atelier Transactionnel).
Salomon Nasielski est psychologue, psychothérapeute en pratique privée, formateur de psychothérapeutes. Salomon a été un des pionniers de l’AT en Europe.
Il a acquis des formations approfondies dans les Quatre Écoles classiques de l’Analyse Transactionnelle, auprès de leurs formateurs, à l’occasion de nombreux stages résidentiels.
Consultations autant que supervisions pour professionnels en ligne.
- Tél. 0477 22 26 06
- Courriel : nasielski.s@skynet.be
- Site : www.cepsi.org

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